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EAN : 9782213594149
480 pages
Fayard (27/09/1995)
4.75/5   6 notes
Résumé :
4° de couverture :
(Edition source : Fayard - 09/1995)


Pourquoi les Occidentaux n'avaient-ils pas vu venir la catastrophe ? Pourquoi avaient-ils méprisé les avertissements ? Etait-il donc fatal que le monde dit civilisé tombât dans une telle torpeur spirituelle à la fin du XXe siècle et finît par se donner la mort entre 1999 et 2002, lors de ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler la Grande Implosion ?

C'est à répond... >Voir plus
Que lire après La grande implosion. Rapport sur l'effondrement de l'Occident, 1999-2002Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Nous fonçons droit dans le mur, nous le savons, nous le voyons. Mais, dans le bus fou, chacun poursuit son voyage, imperturbable, et n'en continue pas moins de lire, de roupiller, de bavarder ou de regarder par la fenêtre, comme si de rien n'était. On n'essaie même pas d'alerter, de menacer ou de supplier le chauffeur pour qu'il change la trajectoire… Telle est, à peu près, l'histoire de la Grande Implosion de Pierre Thuillier, sous-titré Rapport sur l'effondrement de l'Occident, 1999-2002.
Quand j'ai lu ce livre la première fois, lors de sa sortie en poche en 1996, tout en reconnaissant la pertinence du diagnostic et des analyses, j'ai voulu y voir l'exagération et la dramatisation propres à ce genre littéraire de la contre-utopie et, comme dans le 1984 de George Orwell, la proximité de l'échéance (choisie pour produire un choc mais aujourd'hui largement dépassée) contribuait à l'interprétation symbolique, épique et apocalyptique du récit. Et puis, dans le contexte de l'an 2000, foisonnant de peurs, de superstitions et de visions prophétiques de toutes sortes, ce récit semblait consoner un peu trop avec les prédictions récurrentes des Témoins de Jéhovah ou les délires millénaristes de circonstance. Bref, j'ai été tenté à l'époque de relativiser le pessimisme et l'acrimonie de Pierre Thuillier… lequel est mort d'ailleurs deux ans plus tard, avant donc la date fatidique ! Mais vingt ans ont passé, les choses se sont sérieusement aggravées, nul ne peut plus ignorer aujourd'hui que le bateau prend eau de toutes parts, que le naufrage est imminent… et pourtant tout continue comme avant, ou presque ! On parle depuis peu de « collapsologie » (pour éviter sans doute les jérémiades sur la fin du monde), on essaie de mobiliser l'opinion sur la crise climatique et les catastrophes prévisibles, certains se préparent à « survivre »… mais fondamentalement rien ne change, une logique fatale semble entraîner inéluctablement le monde à sa perte. C'est pourquoi j'ai eu envie de relire Pierre Thuillier, philosophe et sociologue, historien des idées autant que des sciences et techniques.
Non pas pour ajouter sa voix à celles de tous les précurseurs et lanceurs d'alertes qu'il évoque ou convoque lui-même au fil de ses 450 pages ou de ceux qui continuent de s'époumoner en vain (Latour, Morin, Chomsky, Jouzel, Larrouturou, etc.). Non : tous les signaux d'alarme ont été tirés et ils finissent quand même, à la longue, par être entendus et par faire peur ; mais la peur ne suffit pas, elle peut affoler, aveugler, anesthésier et paralyser, au moins autant que mobiliser. Surtout quand nous sommes tous solidairement responsables et coupables autant que chacun victime incertaine. En fait, nous avons beau nous savoir condamnés, nous n'y croyons pas vraiment et nous sommes donc incapables de rompre le cours fatal des choses et des habitudes. C'est tout le mérite du livre de Pierre Thuillier d'expliquer ce paradoxe. Il y parvient en montrant que la crise économique et financière, les inégalités scandaleuses, le dérèglement climatique, l'épuisement des ressources, la disparition des espèces vivantes, le déclin ou la corruption des institutions et des valeurs, les gangrènes individualiste et populistes, le retour en force des obscurantismes, des intégrismes et des tribalismes, la destruction de la nature et la dégradation des sociétés… ne sont pas des phénomènes indépendants ni contingents, qu'on pourrait résoudre ou résorber avec des mesures ad hoc, mais des éléments d'une logique systémique qui, sous couvert de progrès, a fait main basse sur le monde moderne et programmé le devenir (catastrophique) de notre humanité. Derrière cette évolution, l'auteur montre à la manoeuvre, dans une tragique inconscience (au double sens du mot) les génies ou les démons de la civilisation occidentale, devenue de force et de gré culture universelle et couvrant aujourd'hui la planète entière. Si nul n'en réchappe et succombe à cette fatalité autant qu'il y participe, c'est que nous avons été façonnés depuis des siècles par cette culture et que, l'habitude devenant une seconde nature, nous pensons, sentons, vivons et voulons conformément aux orientations prises, en cédant à une pesanteur qui produit sa propre accélération.
La Grande Implosion a donc eu lieu autour de l'an 2000. Dans des circonstances qui ne sont nulle part précisées, puisqu'au milieu des menaces actuelles on les imagine fort bien. Mais le récit se situe quatre-vingts ans plus tard quand, au sein de la population rescapée qui n'a pu survivre qu'en prenant le contrepied de l'humanité précédente, une équipe de chercheurs (sous la houlette du professeur Dupin, alter ego de l'auteur) remet son rapport sur les causes historiques, culturelles et spirituelles qui ont conduit à cet événement catastrophique et aussi donc (re-)fondateur. Rapport abondamment documenté et dûment étayé de citations, comme autant de pièces à conviction pour confondre les coupables (Descartes, Saint-Simon, Condorcet, Berthelot, Monod, etc.) et témoigner des avertissements et mises en garde (Valéry, Sorel, Wiener, Tocqueville, Dostoïevski, etc. ) qui n'avaient pas manqué d'être opposés à leurs entreprises. L'essentiel du livre, composé de « réflexions préliminaires » (sur les symptômes les plus criants et sur les signes avant-coureurs de l'effondrement)) suivies de cinq chapitres sur les différentes facettes du type d'humanité occidental, est constitué de ce rapport.
• HOMO URBANUS : et comme le mot « civilisé » renvoie étymologiquement à la cité, à la ville (par opposition au « sauvage » des forêts et des champs), il faut d'abord rappeler que l'Occident moderne est né dans les villes, à la fin du Moyen-Âge, sous les traits du « bourgeois » (l'homme des bourgs) qui incarne à la fois l'exclusion de la nature, les moeurs « urbaines » et « policées », la « citoyenneté politique », la circulation des marchandises et de l'argent.
• HOMO ECONOMICUS : né du négoce, l'Occidental-type valorise le travail et l'argent, et il vise plus encore à « faire travailler l'argent ». Son point de vue sur le monde est essentiellement économique, obsédé par la « gestion », le « profit », le « rendement », la « rentabilité », la « rationalisation », l'« utilité ».
• HOMO CORRUPTUS : l'esprit mercantile et le culte de l'argent entraînent inévitablement la corruption des hommes, des moeurs et des institutions à tous les niveaux, puisque, par principe, « tout s'achète et tout se vend ». Même condamnable et condamnée, elle apparaît comme un phénomène « normal » (au sens où il découle des normes occidentales).
• HOMO TECHNICUS : l'esprit d'entreprise et le culte du travail conduisent à préférer l'artefact à la nature, à forger une mentalité d'« ingénieur » et à encourager toutes les « inventions » et « innovations ». Idolâtrant les machines, l'Occidental impose dans tous les domaines une vision « mécaniste » des choses, au point de tout ramener (le monde, la vie, les animaux, l'homme lui-même et ses sociétés) à des mécanismes purement matériels.
• HOMO SCIENTIFICUS : la force et les succès de la technique dans la maîtrise du monde lui viennent de son alliance avec la science moderne. Alliance qui n'a rien de fortuit, mais originelle et naturelle au contraire, puisque notre savoir objectif et expérimental (aux antipodes de la science contemplative des Anciens et des Orientaux) a été conçu d'emblée comme un pouvoir, en liaison avec le complexe militaro-industriel. On est loin de la science neutre, pure, désintéressée dont l'image sulpicienne nourrit le culte. Car l'Occidental idolâtre la science (devenue quasiment la seule religion) au même titre que la « rationalité », au point d'attendre même de la « technoscience » la solution à tous les problèmes qu'elle a pourtant largement contribué à créer !
Précipité donc de plus en plus, par l'engrenage du système et par la logique des mentalités, vers l'urbanisation, la marchandisation, la financiarisation à outrance et vers une conception (au double sens du mot) à la fois amorale et technocratique du monde, sous la caution des experts scientifiques, la planète occidentalisée glisse sur le toboggan de ce qu'on ose encore appeler « Le Progrès »… jusqu'au clash annoncé : conséquence prévisible de « la faillite culturelle de l'Occident » !
Corrosif et démonstratif, le rapport de Pierre Thuillier est indispensable à qui veut affronter l'inéluctable en gardant les yeux ouverts. Implacable et sans illusions sur nos chances de salut… À moins que (comme le dit Edgar Morin, pour laisser encore sa chance à l'optimisme volontaire), on ne parie sur l'« improbable », qui vient parfois miraculeusement sauver les situations les plus désespérées.
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Ce livre, comme il est présenté, anticipe la destruction du monde occidental, en se positionnant dans un avenir proche comme pour prendre du recul face à ce qui nous entoure. L'auteur a su cerner des problèmes essentiels et les placer dans un contexte non pas calomnieux mais plutôt d'avertissement. Il n'y a pas d'histoire, ce n'est pas un roman, mais les pages se dévorent au fur et à mesure, comme si une trame nous dirigeait et indiquait à notre volonté d'essayer de comprendre encore plus.
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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Ce mépris des « erreur anciennes », il importe de le noter, était inscrit au cœur même de la doctrine.
Comme le disait le professeur Dupin, « les modernes n’ont jamais voulu voir à quel point la religion du Progrès était une école du mépris ».
Hypnotisés par les promesses progressistes, ils trouvaient tout à fait normal que l’humanité passée soit décrite de façon générale sous des traits abominables et systématiquement dépréciée.
(page 67)
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Max Weber, au début du XXe siècle, s’était interrogé : le développement de la civilisation n’annonçait-il pas « les derniers hommes » ?
Déjà il évoquait la « pétrification mécanique »  ; déjà il entrevoyait que l’Occident moderne finirait prisonnier d’une « cage d’acier ».
Qu’eût-il dit s’il avait vu apparaître les machines à faire l’amour ?
(page 93)
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Il fallait donc dire merci à Descartes, héraut de la modernité.
Mais la médaille avait son revers.
Nous l’avons constaté au passage, le cartésianisme consacrait une rupture certainement irréversible entre les hommes et l’Univers.
Dans l’histoire poétique de l’Occident, ce fut là un événement décisif, une blessure symbolique dont il n’est jamais parvenu à effacer les traces.
Désormais, la Terre et les cieux eux-mêmes seraient perçus comme des objets strictement matériels.
À croire que la notion de nature n’avait plus de sens.
Pour décrire cette mutation culturelle, Max Weber parlait du « désenchantement du monde » (die Entzauberung der Welt).
(page 284)
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"Qu'on comprenne bien : ce n'était pas simplement le manque de neutralité des journalistes qui était en cause.

Certains, à coup sûr, se livraient à des commentaires tendancieux, voire à de honteux bourrage de crâne. Et le public, parfois, devait gober d'énormes falsifications.

Mais c'était l'idée même d'une information objective qui était illusoire.

Les poètes et les prophètes, eux, savent qu'ils créent ou recréent la réalité à leur manière.

Trop de modernes, ingénument, croyaient pouvoir échapper à la nécessité d'interpréter les faits, de leur donner sens en les intégrant dans un cadre mythique."
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Car en réduisant l'âme humaine à un "appareil psychique", ils en faisaient un objet. Lequel objet pourrait être scientifiquement et expérimentalement analysé, se prêterait à toutes sortes de traitements psychologiques ou neurochirurgicaux, et serait la cible privilégiée des psychotechniciens de la propagande et de la publicité. Selon le professeur Dupin, cette grossière conception de la psyché était insidieusement répressive. Éliminer l'âme, n'était-ce pas nier ou dévaluer l'univers du Sens ? N'était-ce pas exclure la poésie ? Car un poète ne s'adresse pas à des "appareils psychiques". Il s'adresse à des hommes et des femmes qui ont une âme. faute de l'avoir compris, les Occidentaux étaient condamnée à une perpétuelle errance.
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