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Critique de Zebra


Zebra
31 décembre 2014
Kim Thúy est née à Saïgon en 1968 pendant l'offensive du Têt ; elle a fui le Vietnam comme boat-people avec ses parents à l'âge de 10 ans puis s'est installée au Québec avec eux avec le statut de réfugiés. Elle a suivi un solide cursus universitaire à Montréal (linguistique et droit), a exercé de nombreux métiers (dont celui de restauratrice) et se consacre à l'écriture depuis 2009. En 2013, elle publie chez Liana Levi «Mãn», un roman de 159 pages encensé par la Presse et apprécié (noté 3,74/5) par les lecteurs de Babelio. En quatrième de couverture, l'éditeur fait un bilan rapide de l'ouvrage : « subtil balancement entre passé et présent, l'auteure dessine une mosaïque où se mêlent la mémoire, l'amour et l'enrichissement d'être ailleurs ».

Ce livre vous bousculera à plus d'un titre. D'abord par son entreprise de déconstruction systématique des sentiments : dissimuler ses sentiments à celles et ceux qui étaient témoins ou juges de la déchirure de son pays, de sa culture, de son peuple ; « la cause collective éclipsait sa vie individuelle » ; s'efforcer d'être transparente, de s'effacer, de « sceller ses tristesses personnelles dans des compartiments hermétiques sous une carapace hérissée d'épines » ; « ne pas laisser ses émotions déborder des limites de l'assiette ». Ensuite, par sa naïveté auto-programmée, naïveté qui confine à l'abnégation : se convaincre de l'innocence de ses proches, de leurs faits et gestes ; se sentir parfaitement comblée car son nom lui « impose cet état de satisfaction et d'assouvissement ». Et par sa recherche d'harmonie familiale, de calme et de tendresse : être en quête de moments privilégiés, répéter les mouvements apaisants. Et par son attachement à sa mère : maman était « la seule à savoir envelopper sa fille de cette crêpe pour que sa peau puisse se comparer au reflet de la neige et à l'éclat de la porcelaine » ; « Maman dont la ration quotidienne était limitée à trente grains ». Et par son souci de pureté : « les lotus conservent leur parfum malgré la puanteur des marécages ». Et par les remontées glaçantes mais très contrôlées de fragments d'images issues des conflits vécus par l'auteure pendant son enfance : histoire terrible d'une jeune fille qui s'est sacrifiée pour sa famille ; « dans ses années-là, on partait sans espérer revenir » ; «  à cette époque, il suffisait d'habiter dans une grande propriété pour être soumis à diverses accusations » ; « creuser des canaux avec une pelle à la main et des rations d'orge dans le ventre » ; « un faux mouvement pouvait faire sauter une mine » ; « des soldats prêts à empêcher les canons de glisser sur une pente boueuse en se couchant devant les roues, en se sacrifiant pour la cause d'une nation ». Et par son instinct de survie : « si tu veux survivre, dépars-toi de ton identité » ; épargner à sa famille tout soupçon et toutes accusations de trahison ; se résoudre à suivre le mouvement ; grandir sans rêver ; « accepter les choses telles qu'elles sont, telles qu'elles arrivent, sans jamais questionner ni le pourquoi, ni le comment » ; « oublier pour avoir une chance de recommencer, de se reconstruire » ; « demeurer solide et, surtout, lisse ». Par sa quête d'amour, avec Julie qui lui apprend à dire « j'aime » puis avec Luc qui lui sert longuement la main, qui échange avec elle, qui lui apprend à regarder et à découvrir son corps de femme, qui lui donne envie de « se faire tatouer un point rouge à la lisière du front » afin de « dessiner la carte de son destin sur son corps ». Et enfin par sa volonté de rester (ou de paraître) optimiste : « A Saigon Proverb: Doe la chine tran, neu buon la thua. Life is a struggle in which sorrow leads to defeat ».

Pour Kim Thúy, le passé n'est pas une tare. Il ne faut « pas céder à la compassion ». Il faut tout mettre en oeuvre pour « réintégrer le passé au présent ». Belle leçon d'humilité et d'humanité quand la barbarie et l'indifférence vous entoure. Chapeau bas : vous avez entre les mains un livre simple par son écriture mais fort par son message, un livre subtil, délicat, agrémenté de touches de poésie et de parfums. Je mets quatre étoiles.
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