L'atmosphère était pesante et transpirait de chaque visage.
En réalité, ces quartiers ne méritaient vraiment pas le qualificatif de "neuf". Car comme la plupart de ces endroits où les immeubles et les maisons sortaient de terre du jour au lendemain, ils passaient directement de l'état de chantier à celui de délabrement total, sans la moindre transition.
L'opinion publique paumée avait fini par tout délégitimer : l'école, l'État, le droit. Seule l'autorité religieuse semblait prédominer et ne souffrir ni concurrence ni suspicion. Elle avait doucement investi la sphère publique pour devenir incontournable.
La jeunesse "dorée" algérienne aimait les grosses cylindrées, quels que fussent les éléments. Dans les villes, les bagnoles les plus luxueuses feulaient sous les coups d'accélérateur pour impressionner les passants. En mer, les jet-skis slalomaient sans précaution entre les baigneurs pour leur en mettre plein les yeux. Le désert devenait une aire de jeux infinie pour l'élite insouciante.
Par petites touches, la ville tentait de retrouver son âme dans l'espoir que les hommes recouvrent la raison.
La Morte, quant à elle, était l'entité magique qui les protègerait tous, une nouvelle mère spirituelle qui, en s'ouvrant à eux, les avait à tout jamais pris en elle.
Elle était toujours drapée dans un pan de tissu beige, le haïk traditionnel que portaient les Oranaises avant l'arrivée de cette mode horrible de djellaba et de foulard.
À l'époque, longtemps après l'indépendance, l'Algérie se reposait toujours le dimanche. Aujourd'hui le week-end, c'est jeudi et vendredi. Mais le samedi restait un jour particulier où l'activité était ralentie. Ce jour demeurait une sorte de prolongement de la fin de semaine officielle, histoire de rester en phase économique avec l'autre rive de la Méditerranée. Le week-end de trois jours était né.
Lorsque la génération qui a fait la guerre sera éteinte, le pays entrera alors dans le XXI° siècle avec ses rejetons imprégnés d'une idéologie directement inspirée du Moyen Âge. Bonjour la modernité !
Même si tous les égouts de la ville s'y déversaient faute de centrale d'épuration , la mer restait un des rares éléments naturels à ne pas présenter de pollution visible, contrairement aux rues et aux plages.