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EAN : 9782296965317
114 pages
Editions L'Harmattan (18/04/2012)
4.33/5   3 notes
Résumé :
Je ne suis pas cette femme murée dans un trou, je ne suis pas cette femme qui ne sert à rien, je ne suis pas cette femme gentille qui est à l’écoute des autres, je veux me libérer de la prison de vos rêves. Je veux être au monde pour exercer mon plein pouvoir de domination, de contrôle, je veux être au monde pour le changer, pour le transformer. Je veux être une présence au monde. Je veux que tu plonges tes mains, encore endoloris par la foi, dans l’amertume putride... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique

Texte Critique de Patricia Laranco




Lecture (littérature mauricienne) : Umar TIMOL, « LE JOURNAL D'UNE VIEILLE FOLLE », L'Harmattan – Collection « Lettres de l'Océan Indien », 2012.


Avec ce tout premier roman, le brillant écrivain (poète, nouvelliste et accessoirement bédéiste) mauricien Umar TIMOL choisit une forme de récit tout à fait particulière : dans un journal intime, sous l'espèce d'un monologue à tendance fortement répétitive (presque incantatoire), une femme dévide inlassablement son mal-être aigu et la montée en puissance de sa déraison exaspérée.

Ce livre est une véritable étude psychologique, d'une grande richesse. En effet, il nous brosse le portrait d'une personne tourmentée et complexe qui tente de se mieux connaître, de partir, en quelque sorte, à la recherche d'elle-même en un effort d'introspection qui s'avèrera, hélas pour elle, au bout du compte, un échec de plus.

Car cette malheureuse femme à l'automne de sa vie, non contente d'être saisie d'une trouille viscérale, animale à l'idée d'entrer, à l'issue d'une vie sans gloire, sans réalisations, dans la vieillesse, est, comme beaucoup de femmes mauriciennes, en prison dans sa propre névrose dont, en dépit d'une lucidité indéniable, elle ne parvient pas à dénouer les fils. La démesure, l'excès des sentiments, la haine d'elle-même et des autres et le désir d'autodestruction sont déjà là, à l'oeuvre depuis longtemps, et ils l'emportent ; c'est trop tard.

Cette femme, aux prises avec son marasme intime, n'a personne pour l'aider : elle est seule (et on se demande d'ailleurs dans quelle mesure elle ne désire pas le rester). Sa tentative pour lever enfin le masque, pour conquérir enfin son authenticité propre, pour remplir enfin cette espèce de coquille vide qu'elle se révèle être, est aussi pathétique que vaine. Quelque soit la direction vers laquelle elle se tourne, elle est victime de l' « Incommunicabilité des êtres » et d'une société impitoyablement jeuniste et sexiste (où elle n'a pas sa place), qui, ensemble, la prennent au piège. Elle tourne en rond, comme emmurée en elle-même, dans son propre isolement de personne trop passive et trop intériorisée, sans parvenir à comprendre comment elle a pu en arriver là. A l'image d'une Madame Bovary, elle se consume dans un ennui et dans une « médiocrité » qui l'insupportent, la rongent, entretiennent tant son amertume que son ressentiment. Et, à l'instar cette fois de Phèdre, sa nature, secrètement très passionnée (voire volcanique)et très absolue l'amène à faire ce que les psychologues appelleraient une « fixation » sur une homme beaucoup plus jeune qu'elle chez qui elle cherche une sorte de « sursaut », d' « élixir de jouvence » salvateur – et à reporter sur lui (à son insu qui plus est) toute l'effrayante avidité de ses désirs inassouvis.

Comment pourrait-on ne pas le voir ? Cette pauvre femme est MALADE DU VIDE. Vide qui, à l'extérieur, la cerne : anonymat de la grande ville européenne, couplé à l'isolement social d'une épouse mauricienne traditionnelle sans enfants ni activité professionnelle qui de surcroît n'a pas su se trouver de centre d'intérêt, d'occupation, de raison de vivre, ni de vie mondaine ; mais sans doute, ce qui lui importe le plus, vide intérieur profond, hérité de sa propre culture qui l'a faite esclave de la discrétion, du self control asiatique ainsi que de conventions sociales rigides (être, ou plutôt offrir l'image contraignante d' une femme « comme il faut » et d'une épouse dévouée, irréprochable…et effacée !).

Cette femme le crie dans son journal de façon déchirante, émouvante : elle a « à dire » et elle existe ! Elle veut le clamer avant qu'il ne soit définitivement trop tard…Ce qu'elle est vraiment ne correspond en rien au visage qu'elle offre, et il se trouve qu'elle n'a pu – par inhibition – le « dévoiler ». Il en résulte un malaise, une animosité contre elle-même et une impression de non-vie, de ratage qui défient l'imagination. Chaque mot, chaque phrase deviennent prétexte à l'expression d'une colère rentrée, d'un bouillonnement de rage prêt à exploser et à se déverser à la manière d'une coulée pyroclastique de volcan pour ravager tout ! Cette femme pour le moins désorientée croit aimer (en l'occurrence, le jeune homme qui, de son côté, ne peut rien soupçonner de ce qu'il inspire pour la bonne raison que, par sempiternelle dignité, par peur du ridicule, elle n'ose en laisser deviner une parcelle) mais là encore, elle se fourvoie sur ce qu'elle ressent : elle ne fait, en réalité, que le désirer sur un mode atrocement fusionnel, presque cannibale, qui n'est que le reflet de sa frustration et de son effarant vide intérieur, et qui s'assortit d'une ambivalence de sentiments (traduite par une alternance d'amour et de haine) qui le nie en tant qu'autre, en tant que lui-même. Elle ne l'aime qu'à travers ce qu'elle attend de lui, ce qu'elle projette sur lui et ne lui reconnait pas le droit d'avoir une vie propre, distante de la sienne. Il ne l'intéresse, au fond, que dans la mesure où elle peut l' « habiller », l'emplir de ses fantasmes, et, en cela, sa jeunesse, son inconsistance l'aident. Lui aussi, il est « vide ».

Cette personne se sent niée (par l'absence d'empathie patente de son entourage) et elle finit par vivre cet état de fait comme une agression. Elle en veut au monde de ne pas être en mesure de la soulager, de l'extirper de sa propre détresse. En ce sens, elle révèle toute l'étendue de sa dépendance, de sa faiblesse. Elle n'a pas compris que le soi et la liberté ne se trouvent jamais à l'extérieur. Sa lucidité, pourtant réelle (et à même de nous la rendre attachante, ou, à tout le moins, un peu moins antipathique) s'arrête là. Nous sommes en présence d'un être trop écartelé, bien trop écorché vif pour qu'elle aille plus loin.

L'intelligence et la finesse de cette femme (au potentiel manifestement inexploité, ce dont elle souffre aussi) auraient facilement, on le sent, pu faire d'elle une philosophe ou une poète. Car, dans le fond, au travers de son « expérience », ce qu'elle nous dépeint de manière si grondante, si grinçante, si inquiétante, c'est un drame universel : celui de l'angoisse existentielle. Comment donner un quelconque sens à sa vie dès lors que le Temps passe, que l'entropie universelle attaque, érode, balaye tout ce qui est, se riant de toute forme d'attachement ? Comment se débrouiller, lorsqu'on est affublé d'une conscience humaine, de la finitude et des limitations de notre être même ?

Cet ouvrage développe une vision de la vie – et de la condition humaine – extrêmement pessimiste. Non seulement le Temps nous piège, se moque de nous d'une façon particulièrement cruelle, mais en outre notre vie nous coupe de nous-mêmes, de notre propre vérité (si tant est que cette dernière existe).

Ce qu'il y a de riche, de très intéressant (voire de fascinant) dans ce roman qui n'a rien de classique, c'est qu'il possède un très grand nombre de facettes, de niveaux d'interprétation.

Tragédie de l'amour impossible, hors d'atteinte et, de ce fait, élevé au rang de pure chimère ? Certes.

Drame féminin, lié à l'injustice de la condition féminine qui, partout, enferme les femmes dans l'attente et le regard du monde externe, et ne leur pardonne pas leur âge ? Sans conteste.

Méditation sur les illusions et les dangers que la passion amoureuse peut induire, en tant qu'addiction destructrice ? C'est sûr.

Mise en évidence, voire en accusation, d'une certaine façon d'être masculine, grossière, maladroite, égoïste, dénuée de finesse psychologique et d'empathie ? Cela aussi.

Constatation de (et insistance sur) la difficulté pour chacun d'entre nous d'exister pleinement sans une forme de reconnaissance de la part des autres ? Sans doute.

Réflexion sur la nature cachée des êtres en opposition à la façade souvent lisse et trompeuse qu'ils donnent à voir (particulièrement dans des sociétés du type de la société mauricienne) ? Certainement.

Mise en lumière de la pression sociale qui peut amener un individu (sans doute n'importe lequel) à « péter les plombs » ? A n'en pas douter.

Plus généralement – et plus « philosophiquement » - évocation de ce qui « coiffe » tout le reste, à savoir la solitude existentielle, ontologique, inhérente à notre statut même de créature ? Il y a également de cela.

On peut s'interroger, enfin, sur la raison d'être de ce « journal ». Appel au secours déguisé d'une âme qui se noie ? Tentative de reprendre, par les mots, le contrôle de ladite âme ? Expression d'une révolte, fenêtre vers une éventuelle évasion, vers une ré-autonomisation de l'être ? Forme d'auto-thérapie ? Finalement, on peut en douter, car on constate, au fil des pages, que la locutrice, via ses mille et uns ressassements, semble en fait se complaire à forcer le trait de sa propre « noirceur », à entretenir son mal, à en fouailler la plaie comme si cette dernière était, au fond, sa seule réelle forme d'existence et d'identité possible…et c'est là que l'on entre dans la dimension de la tragédie grecque. de cet amour et de ces mots, l'héroïne dit espérer un mieux…Mais, tout bien pesé, elle réalise rapidement qu'elle s'achemine, bien au contraire, vers une forme de fatum. A trop regarder dans son propre abîme, à trop le sonder, elle y coule à pic et rien dès lors ne la sauvera du passage à l'acte.

C'est indubitablement remué, accablé par un sentiment d'oppression que l'on ressort de cette lecture. Et avec trop de questions qui, tout à coup, s'accumulent dans notre tête. En tout premier lieu, bien sûr, la question (très mauricienne) de l'identité, ou plus exactement de la fragilité identitaire.

Pour un coup d'essai, Timol nous gratifie ici d'un coup de maître. Car il a su à merveille allier la vigueur et le lyrisme poétique du style à la force des thèmes, à la vraisemblance du mode d'expression choisi et à la subtilité de l'analyse psychologique. Son personnage, du coup, s'enrichit d'une densité singulière, redoutable. Je verrais bien, pour ma part, une telle oeuvre adaptée, plus tard, au théâtre.

Patricia Laranco.

http://patrimages.over-blog.com/article-lecture-litterature-mauricienne-umar-timol-le-journal-d-une-vieille-folle-l-harmattan-co-109502069.html

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Texte Critique de Patricia Laranco




Lecture (littérature mauricienne) : Umar TIMOL, « LE JOURNAL D'UNE VIEILLE FOLLE », L'Harmattan – Collection « Lettres de l'Océan Indien », 2012.


Avec ce tout premier roman, le brillant écrivain (poète, nouvelliste et accessoirement bédéiste) mauricien Umar TIMOL choisit une forme de récit tout à fait particulière : dans un journal intime, sous l'espèce d'un monologue à tendance fortement répétitive (presque incantatoire), une femme dévide inlassablement son mal-être aigu et la montée en puissance de sa déraison exaspérée.

Ce livre est une véritable étude psychologique, d'une grande richesse. En effet, il nous brosse le portrait d'une personne tourmentée et complexe qui tente de se mieux connaître, de partir, en quelque sorte, à la recherche d'elle-même en un effort d'introspection qui s'avèrera, hélas pour elle, au bout du compte, un échec de plus.

Car cette malheureuse femme à l'automne de sa vie, non contente d'être saisie d'une trouille viscérale, animale à l'idée d'entrer, à l'issue d'une vie sans gloire, sans réalisations, dans la vieillesse, est, comme beaucoup de femmes mauriciennes, en prison dans sa propre névrose dont, en dépit d'une lucidité indéniable, elle ne parvient pas à dénouer les fils. La démesure, l'excès des sentiments, la haine d'elle-même et des autres et le désir d'autodestruction sont déjà là, à l'oeuvre depuis longtemps, et ils l'emportent ; c'est trop tard.

Cette femme, aux prises avec son marasme intime, n'a personne pour l'aider : elle est seule (et on se demande d'ailleurs dans quelle mesure elle ne désire pas le rester). Sa tentative pour lever enfin le masque, pour conquérir enfin son authenticité propre, pour remplir enfin cette espèce de coquille vide qu'elle se révèle être, est aussi pathétique que vaine. Quelque soit la direction vers laquelle elle se tourne, elle est victime de l' « Incommunicabilité des êtres » et d'une société impitoyablement jeuniste et sexiste (où elle n'a pas sa place), qui, ensemble, la prennent au piège. Elle tourne en rond, comme emmurée en elle-même, dans son propre isolement de personne trop passive et trop intériorisée, sans parvenir à comprendre comment elle a pu en arriver là. A l'image d'une Madame Bovary, elle se consume dans un ennui et dans une « médiocrité » qui l'insupportent, la rongent, entretiennent tant son amertume que son ressentiment. Et, à l'instar cette fois de Phèdre, sa nature, secrètement très passionnée (voire volcanique)et très absolue l'amène à faire ce que les psychologues appelleraient une « fixation » sur une homme beaucoup plus jeune qu'elle chez qui elle cherche une sorte de « sursaut », d' « élixir de jouvence » salvateur – et à reporter sur lui (à son insu qui plus est) toute l'effrayante avidité de ses désirs inassouvis.

Comment pourrait-on ne pas le voir ? Cette pauvre femme est MALADE DU VIDE. Vide qui, à l'extérieur, la cerne : anonymat de la grande ville européenne, couplé à l'isolement social d'une épouse mauricienne traditionnelle sans enfants ni activité professionnelle qui de surcroît n'a pas su se trouver de centre d'intérêt, d'occupation, de raison de vivre, ni de vie mondaine ; mais sans doute, ce qui lui importe le plus, vide intérieur profond, hérité de sa propre culture qui l'a faite esclave de la discrétion, du self control asiatique ainsi que de conventions sociales rigides (être, ou plutôt offrir l'image contraignante d' une femme « comme il faut » et d'une épouse dévouée, irréprochable…et effacée !).

Cette femme le crie dans son journal de façon déchirante, émouvante : elle a « à dire » et elle existe ! Elle veut le clamer avant qu'il ne soit définitivement trop tard…Ce qu'elle est vraiment ne correspond en rien au visage qu'elle offre, et il se trouve qu'elle n'a pu – par inhibition – le « dévoiler ». Il en résulte un malaise, une animosité contre elle-même et une impression de non-vie, de ratage qui défient l'imagination. Chaque mot, chaque phrase deviennent prétexte à l'expression d'une colère rentrée, d'un bouillonnement de rage prêt à exploser et à se déverser à la manière d'une coulée pyroclastique de volcan pour ravager tout ! Cette femme pour le moins désorientée croit aimer (en l'occurrence, le jeune homme qui, de son côté, ne peut rien soupçonner de ce qu'il inspire pour la bonne raison que, par sempiternelle dignité, par peur du ridicule, elle n'ose en laisser deviner une parcelle) mais là encore, elle se fourvoie sur ce qu'elle ressent : elle ne fait, en réalité, que le désirer sur un mode atrocement fusionnel, presque cannibale, qui n'est que le reflet de sa frustration et de son effarant vide intérieur, et qui s'assortit d'une ambivalence de sentiments (traduite par une alternance d'amour et de haine) qui le nie en tant qu'autre, en tant que lui-même. Elle ne l'aime qu'à travers ce qu'elle attend de lui, ce qu'elle projette sur lui et ne lui reconnait pas le droit d'avoir une vie propre, distante de la sienne. Il ne l'intéresse, au fond, que dans la mesure où elle peut l' « habiller », l'emplir de ses fantasmes, et, en cela, sa jeunesse, son inconsistance l'aident. Lui aussi, il est « vide ».

Cette personne se sent niée (par l'absence d'empathie patente de son entourage) et elle finit par vivre cet état de fait comme une agression. Elle en veut au monde de ne pas être en mesure de la soulager, de l'extirper de sa propre détresse. En ce sens, elle révèle toute l'étendue de sa dépendance, de sa faiblesse. Elle n'a pas compris que le soi et la liberté ne se trouvent jamais à l'extérieur. Sa lucidité, pourtant réelle (et à même de nous la rendre attachante, ou, à tout le moins, un peu moins antipathique) s'arrête là. Nous sommes en présence d'un être trop écartelé, bien trop écorché vif pour qu'elle aille plus loin.

L'intelligence et la finesse de cette femme (au potentiel manifestement inexploité, ce dont elle souffre aussi) auraient facilement, on le sent, pu faire d'elle une philosophe ou une poète. Car, dans le fond, au travers de son « expérience », ce qu'elle nous dépeint de manière si grondante, si grinçante, si inquiétante, c'est un drame universel : celui de l'angoisse existentielle. Comment donner un quelconque sens à sa vie dès lors que le Temps passe, que l'entropie universelle attaque, érode, balaye tout ce qui est, se riant de toute forme d'attachement ? Comment se débrouiller, lorsqu'on est affublé d'une conscience humaine, de la finitude et des limitations de notre être même ?

Cet ouvrage développe une vision de la vie – et de la condition humaine – extrêmement pessimiste. Non seulement le Temps nous piège, se moque de nous d'une façon particulièrement cruelle, mais en outre notre vie nous coupe de nous-mêmes, de notre propre vérité (si tant est que cette dernière existe).

Ce qu'il y a de riche, de très intéressant (voire de fascinant) dans ce roman qui n'a rien de classique, c'est qu'il possède un très grand nombre de facettes, de niveaux d'interprétation.

Tragédie de l'amour impossible, hors d'atteinte et, de ce fait, élevé au rang de pure chimère ? Certes.

Drame féminin, lié à l'injustice de la condition féminine qui, partout, enferme les femmes dans l'attente et le regard du monde externe, et ne leur pardonne pas leur âge ? Sans conteste.

Méditation sur les illusions et les dangers que la passion amoureuse peut induire, en tant qu'addiction destructrice ? C'est sûr.

Mise en évidence, voire en accusation, d'une certaine façon d'être masculine, grossière, maladroite, égoïste, dénuée de finesse psychologique et d'empathie ? Cela aussi.

Constatation de (et insistance sur) la difficulté pour chacun d'entre nous d'exister pleinement sans une forme de reconnaissance de la part des autres ? Sans doute.

Réflexion sur la nature cachée des êtres en opposition à la façade souvent lisse et trompeuse qu'ils donnent à voir (particulièrement dans des sociétés du type de la société mauricienne) ? Certainement.

Mise en lumière de la pression sociale qui peut amener un individu (sans doute n'importe lequel) à « péter les plombs » ? A n'en pas douter.

Plus généralement – et plus « philosophiquement » - évocation de ce qui « coiffe » tout le reste, à savoir la solitude existentielle, ontologique, inhérente à notre statut même de créature ? Il y a également de cela.

On peut s'interroger, enfin, sur la raison d'être de ce « journal ». Appel au secours déguisé d'une âme qui se noie ? Tentative de reprendre, par les mots, le contrôle de ladite âme ? Expression d'une révolte, fenêtre vers une éventuelle évasion, vers une ré-autonomisation de l'être ? Forme d'auto-thérapie ? Finalement, on peut en douter, car on constate, au fil des pages, que la locutrice, via ses mille et uns ressassements, semble en fait se complaire à forcer le trait de sa propre « noirceur », à entretenir son mal, à en fouailler la plaie comme si cette dernière était, au fond, sa seule réelle forme d'existence et d'identité possible…et c'est là que l'on entre dans la dimension de la tragédie grecque. de cet amour et de ces mots, l'héroïne dit espérer un mieux…Mais, tout bien pesé, elle réalise rapidement qu'elle s'achemine, bien au contraire, vers une forme de fatum. A trop regarder dans son propre abîme, à trop le sonder, elle y coule à pic et rien dès lors ne la sauvera du passage à l'acte.

C'est indubitablement remué, accablé par un sentiment d'oppression que l'on ressort de cette lecture. Et avec trop de questions qui, tout à coup, s'accumulent dans notre tête. En tout premier lieu, bien sûr, la question (très mauricienne) de l'identité, ou plus exactement de la fragilité identitaire.

Pour un coup d'essai, Timol nous gratifie ici d'un coup de maître. Car il a su à merveille allier la vigueur et le lyrisme poétique du style à la force des thèmes, à la vraisemblance du mode d'expression choisi et à la subtilité de l'analyse psychologique. Son personnage, du coup, s'enrichit d'une densité singulière, redoutable. Je verrais bien, pour ma part, une telle oeuvre adaptée, plus tard, au théâtre.

Patricia Laranco.

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UMAR TIMOL: Psyché d'une vieille folle

ARTICLE PARU DANS SCOPE | 3 AOÛT, 2012 - 11:00

Umar Timol gratte le vernis des apparences pour sonder l'être dans le journal d'une vieille folle, ouvrage publié aux éditions L'Harmattan dans la collection Lettres de l'océan Indien. L'auteur met à jour les pensées torturées d'une Mauricienne établie dans un faubourg parisien et qui cherche désespérément à donner un sens à sa vie.
La narratrice est une Mauricienne qui vit avec son mari dans un appartement miteux des faubourgs de Paris. Elle n'a plus goût à rien et déteste profondément celui qui partage sa vie. Elle se met à écrire un journal au quotidien afin de cracher son mal-être et son désespoir. Cette femme anonyme tombera éperdument amoureuse d'un étudiant mauricien invité chez eux par ce même mari, qui croit naïvement que ce jeune homme permettra à sa femme de retrouver la joie de vivre.
Déchirure.
Elle sait pertinemment que c'est un amour inaccessible, mais ne peut s'empêcher de l'aimer. Dans son journal, elle ressasse cet impossible amour, jusqu'à l'obsession. S'enfonce graduellement dans une certaine folie. Se met à se mutiler avec délectation à l'aide d'une lame. On devinera, au fil des jours et des événements inscrits dans son journal, qu'elle a subi un grave traumatisme dans le passé. Et s'apprêtera à récidiver à un moment où l'amour et la mort se confondent…
Le journal d'une vieille folle procède d'un déclic venu au poète alors que ce dernier se trouvait à Paris. Umar Timol a donné une image à cette femme esseulée dans la froideur parisienne. Un personnage imaginaire construit au gré de ses écrits poétiques préalablement consignés. On retrouve ainsi des fragments de poésie disséminés dans le corps du texte. Ces morceaux poétiques sont intégrés dans la trame du présent ouvrage. Est aussi présente une déchirure entre ce qu'est le personnage et ce que voudrait être cette vieille femme.
Quête.
L'auteur explique que ce journal interroge deux thèmes. Il est d'abord question de l'individu en quête d'un bonheur inaccessible, peu importe le pays dans lequel on se trouve. Cette femme a fui le carcan social mauricien pour se retrouver en France, perçue comme un pays de liberté des moeurs. Mais la Mauricienne deviendra rapidement prisonnière de l'individualisme. Ce personnage en quête de bonheur ne parvient pas à donner un sens à sa vie.
C'est aussi une quête amoureuse. le désir de trouver un amour idéalisé, sans trop y croire. Car cette quête est vouée à l'échec, en raison des années qui séparent la vieille Mauricienne du jeune étudiant venu chercher du réconfort auprès d'une grande soeur. Auprès d'une “Didi” qui, derrière les apparences, souffre intérieurement de ne pas savoir comment vivre face à un amour inaccessible.
Rêve brisé.
Didi est un personnage construit avec les bribes de vie de personnes qui sont confrontées à des situations plus ou moins semblables. La sensibilité du poète est aussi en jeu dans l'élaboration de ce personnage torturé qui pourrait probablement avoir une existence bien réelle.
Ici, c'est l'histoire d'une Mauricienne prisonnière d'une vie ratée. Une femme qui s'est rendue à Paris avec des rêves plein la tête et qui se retrouve dans un petit appartement minable. Une femme qui avait foi en son mari, mais qui s'aperçoit que ce dernier n'est pas parvenu au bonheur auquel il avait aspiré. Elle n'est qu'une femme invisible et esseulée dans la grande ville.
Le journal d'une vieille folle est un ouvrage qui explore les pensées d'une femme devenant de plus en plus excessive envers elle-même. L'auteur dit vouloir tenter de pénétrer l'âme d'une personne et essayer de comprendre ce qu'est un homme et ce qu'est une femme. Percer l'énigme qu'est l'humain. Parfois à l'aide d'accessoires. Un vieux miroir brisé dans lequel se regardait une jeune Mauricienne, aujourd'hui devenue une vieille femme brisée et sans éclat. Une femme qui ne rayonne plus. Ce miroir conservé précieusement renvoie à un passé et à un rêve parisien brisé par la réalité.
Rupture.
Susciter des émotions. C'est ce à quoi aspire Umar Timol à travers ses écrits. Une autre façon d'appréhender et de ressentir le monde. “Mon rêve est d'écrire pour toucher profondément le lecteur et lui donner le sentiment d'accéder à un autre monde, si ce n'est lui permettre d'entrevoir un autre monde. Une autre réalité. C'est comme provoquer une rupture chez le lecteur. D'où peut-être ce désir d'aller vers l'excès. Vers la répétition. Vers la poésie. Marteler constamment les mêmes choses pour aller aux confins des mots.”
L'auteur dissèque les mécanismes de l'amour à travers cette femme amoureuse et qui n'en demeure pas moins lucide. Elle sait que l'on aime une personne avant de la rencontrer. le désir d'aimer précède la rencontre avec l'être aimé, souligne Umar Timol. Qui poursuit en affirmant que cette femme est consciente du mécanisme d'idéalisation : au fond, on n'aime pas vraiment la personne; on aime une image idéalisée où l'on recrée la personne. La narratrice conserve une lucidité certaine face au désir pour ce jeune homme, mais ne peut l'empêcher de hanter ses pensées.
Lien : http://www.lemauricien.com/a..
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LE JOURNAL D'UNE VIEILLE FOLLE
de Umar Timol
Dominique Ranaivoson

Umar Timol est à l'île Maurice mais, connecté en permanence, ses textes circulent sur la toile dans tous les réseaux francophones. Après trois recueils de poésie, il propose avec le Journal d'une vieille folle un long monologue à la première personne, comme dans plusieurs nouvelles déjà publiées dans des recueils collectifs. La nouveauté vient de l'identité du personnage, une vieille Mauricienne qui vit à Paris et ressasse son amertume et son mal-être. Elle note scrupuleusement, dans un journal qui dure deux mois, les étapes visibles et invisibles qui mènent une femme en apparence sage et exotique à une manipulation meurtrière présentée comme une impitoyable quête d'amour. Dès l'incipit, elle manifeste la lucidité qui nourrit sa révolte : "Je suis un cliché. D'abord, cliché exotique" (11). Tout le journal sera une adresse à ceux qui ne voient pas en cette femme ordinaire et effacée l'être insatisfait qui mûrit sa vengeance : "narguer est tout un art et je suis une artiste […] Je veux être au monde pour exercer mon plein pouvoir de domination, de contrôle, je veux être au monde pour le changer, pour le transformer" (37 et 103). Face à elle mais absents du texte, les ombres du mari détesté et du jeune homme qui surgit de nulle part comme un divertissement miraculeux. Elle le traite d' "ange" et de "fils" en notant le défi muet qu'elle lui lance : "il faut que quelqu'un m'aime, il le faut, et ce sera toi" (104). Elle semble s'abandonner à l'illusion d'un désir qui est possession plus que don et qui la mène, entre lucidité et folie, au paroxysme final.

Le romancier élargit le sujet en faisant de cette femme l'image de l'humain dont le coeur est naturellement complexe : "je suis l'étrangère, celle qui vient d'ailleurs, alors que je suis comme vous, bien plus que vous ne le croyez, que je suis emplie de cette même merde qui grouille dans les bas-fonds de vos rêves avortés" (11). Cherchant à échapper aux conventions et aux routines étouffantes, cette femme énonce les questions existentielles : "Je suis en quête d'une lumière qui m'assènera le sens. J'ai envie de rassembler tous les éléments disparates de mon existence, les unir pour en soutirer l'essence […] il y a en moi un vide" (39 et 105).

L'alternance des longues phrases aux formules répétées et des brèves coupures, ces "mots qui jaillissent à tout vent" (105) entretiennent une tension qui ne faiblit pas si bien que cette confession se lit d'un trait. Cette femme à la fois minable et monstrueuse, monstrueuse parce que perdue, folle et lucide, apparaît comme le personnage central d'un drame, celui d'une humanité prise dans la contradiction entre ses idéaux et la violence de la réalité. On est très loin, avec elle et avec Umar Timol, des gentils insulaires sous leurs cocotiers. Il faut entendre cette voix, se laisser cisailler par la violence contenue dans une langue épurée et rejeter les clichés car la vieille folle est aussi l'auteur quand elle réclame : "il faut que quelqu'un m'écoute, me comprenne, il le faut. Et ce sera toi" (105).
Dominique Ranaivoson




Umar Timol, le Journal d'une vieille folle, Paris, L'Harmattan, 2012, 114 p.

Lien : http://www.africultures.com/..
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I liked this book much more than I had expected. The "vieille folle", with her knife-sharp intelligence, sarcasm, and shocking awareness of her own self-destructive tendencies, enchanted me, the way a snake might enchant me. The protagonist reminded me a bit of Sylvia Plath or Hagar in "The Stone Angel" by Margaret Laurence.
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11 Janvier



Je suis un cliché.



D’abord cliché exotique, car après bien trente années passées à Paris, on me sert encore, avec la régularité d’un métronome, les mêmes questions et les mêmes commentaires. Vous venez donc de là-bas, que ça doit être beau, splendide, pourquoi habiter ici alors que votre île est si belle, moi je rêve d’y aller, me reposer sous le beau soleil des tropiques, permettez-moi, madame, de vous dire que vous avez le charme et la douceur des gens de là-bas. Oui c’est ça, gentille et charmante, c’est ce qu’on retient de moi, je suis l’étrangère, celle qui vient d’ailleurs, alors que je suis comme vous, bien plus que vous ne le croyez, que je suis emplie de cette même merde qui grouille dans les bas-fonds de vos rêves avortés.



Ensuite cliché misérabiliste, qui s’exerce généralement après quelques verres d’alcool, quand on est rouge et penaud et qu’on ne sait plus tout à fait ce qu’on dit ou plutôt si, quand on se laisse aller à dire ce qu’on pense vraiment, que, oui, là-bas, c’est les cocotiers et qu’est-ce qu’ils sont heureux les indigènes, ils s’amusent à tout bout de champ, c’est ça, la fameuse paresse des îles, c’est le temps, le soleil indolent qui vous donne envie de rêver et de dormir, heureusement qu’on est parvenus à les civiliser.



Cliché aussi car je suis dans la moyenne de la moyenne. Je vis dans un appartement miteux dans les faubourgs de la grande capitale. Il n’est pas utile de le décrire. Il suffit de savoir qu’il répand tous les relents de la médiocrité. Je ne suis ni riche, ni pauvre, ni belle, ni laide, ni intelligente, ni bête. Je ne suis rien. Mais ça il faut éviter de le dire. On vit à l’ère du positif. Il faut positiver. Le monde va mal. On dispose d’assez de bombes pour nous renvoyer aux enfers mais il faut positiver. Je positive alors. Je ne suis rien mais je positive.

Cliché car je suis une vieille femme et une vieille est censée savoir se comporter en société. Il faut se tenir, ma chère. Elle ne doit pas se mettre, par exemple, à éructer qu’elle crève de peur à l’idée de la mort. Elle ne doit pas non plus dire qu’elle n’a nullement envie de jouer avec ses petits-enfants. De toute façon je n’en ai pas. Elle doit se faire toute petite, recroquevillée, comme un pot de chambre, mais non pardonnez-moi cette impolitesse, on dira donc comme un vase à fleurs dont on a envie de se débarrasser mais qu’on n’y arrive pas parce qu’on a la nostalgie des vieilleries. Là-bas, dans mon île, on aime bien les vieux, surtout quand ils ont assez de terres pour nourrir plusieurs générations d’héritiers. Ici, puisque c’est la civilisation, on les confie à ce qu’on appelle pudiquement une maison de retraite. Étrange pudibonderie quand on sait qu’on y passe ses journées dans des couches bourrées de pisse et de merde.



Cliché car je suis une femme prévisible dans un corps prévisible, dans un lieu prévisible, dans une société aseptisée, qui a évacué la violence, qui vend des rêves préfabriqués aux masses, qui croit tromper la mort avec ses frénésies de consommation. Nous vivons à l’ère de la banalité. La prospérité nous a rendus mièvres. Je suis une femme prévisible dans une société du prévisible.



Je suis un cliché car évidemment je déteste mon mari. Le contraire aurait sans doute étonné. Est-il possible d’aimer encore son conjoint après plus de trente années de vie en couple ? La question mérite d’être posée. Et dire que c’est à cause de cet imbécile que j’ai abandonné la merveilleuse île exotique et mes parents pour venir habiter ici, mais à l’époque, pour être tout à fait franche, j’y croyais, aller là-bas, au pays de la culture, se réinventer, devenir autre et j’y ai cru, à son baratin, à ses discours, j’y ai cru avec la ferveur du nouveau converti, avant, inévitablement, de perdre la foi et de me réconcilier avec la médiocrité infinie de, et là encore je suis polie, de mon cher, très cher mari. Il ne faut jamais sous-estimer la ferveur des croyants qui se convertissent à l’athéisme.

Je suis donc un cliché mais j’ai décidé, ultime combat d’une pseudo-guerrière, de m’exercer à partir d’aujourd’hui, jour à marquer d’une pierre noire, à écrire un journal. Je vous préviens que je n’ai pas déniché cette idée dans on ne sait quel magazine féminin, qui déverse ses effluves stupides sur du papier glacé, mais en lisant un ouvrage d’un grand écrivain, dont je ne me souviens plus du nom. Il faut préciser que je suis une intellectuelle. Je vais donc disséquer, analyser, décortiquer ma petite vie minable, non pour en faire une oeuvre d’art car je ne sais pas écrire, ni parce que je rêve d’une quelconque postérité, est-ce que les clichés ont droit à la postérité, la question mérite d’être posée, mais, tout simplement parce que je vais tenter de me comprendre, oui, moi, la vieille folle, pénétrer dans les méandres de mon âme pourrie, comme c’est bien dit, on croirait entendre une poétesse, et surtout pour une raison beaucoup plus prosaïque qui est celle-ci, me défouler, oui j’ai envie de me défouler, de m’éclater.



On verra bien ce qu’il en adviendra. Cliché ou pas.

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