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Critique de Apoapo


Si l'on envisage les technologies de l'information et de la communication comme « machines communicantes », leur archétype premier nous vient de l'Antiquité romaine, qui connaissait la distinction entre instrumentum mutum – l'outil agricole ou autre –, instrumentum semi-vocale – le bétail pouvant réagir à quelques instructions orales – et instrumentum vocale – l'esclave intéragissant par la parole (p. 27) : nous pouvons donc investir notre informatique d'au moins autant de rôles (substitutifs ou non) que l'on en confia naguère à ce dernier.

Plus près de nous, deux technologies nous ont préparés aux bouleversements psychologiques et existentiels du virtuel : le téléphone, qui brouille la dichotomie présence-absence (surtout s'il est muni de répondeur) et la photographie (surtout retouchable) qui favorise des identités multiples et en mouvement. La première partie de cet ouvrage s'occupe de ces deux prolégomènes ; j'ai été particulièrement intéressé par cette problématique de flottement identitaire, qui s'appuie (quelque peu, trop peu, hélas !) sur les blogs, ainsi que sur les profils personnels dans les réseaux sociaux et sites de rencontres.

La seconde partie analyse quelques aspects par lesquels le virtuel affecte le vivre ensemble : la rencontre et les rapports amoureux (« La nouvelle Carte de tendre » - chapitre qui me paraît très insuffisant à l'aune des résultats de la recherche sociologique sur ce sujet), la famille (chapitre fondé sur un peu de clinique), les rapports cognitifs et émotifs face à l'image (réf. à un filon de recherches antérieur de l'auteur), la connaissance (critères herméneutiques, temps, espace, etc.), consacrant enfin un utile chapitre (« Tous scotchés ? ») à infirmer quelques lieux communs sur l'aspect prétendument psychopathologique des pratiques du virtuel.

La troisième partie, enfin, est consacrée au statut psycho-ontologique de l'avatar dans les sites comme Second Life et World of Warcraft. Elle est innervée par l'idée-phare que le virtuel n'est ni réel ni imaginaire mais qu'il « constitue justement une porte d'entrée vers les deux » (p. 163). Les approches que l'on peut avoir à l'égard de la fiction (ex. littérature, cinéma) ne s'avèrent donc pas pertinentes dans le virtuel (p. 203), alors que le parallèle entre technologie informatique et « les yeux de l'âme » au Moyen Âge semble plus probant à l'égard de la dichotomie : réalité/« autre chose ». Cependant, l'avatar est surtout « un objet comme les autres », doté donc, en psychanalyse, de trois fonctions : pratique, narcissique et de support de relation émotionnelle (p. 174 et ss.). Ces deux dernières notes ne sont que capturées très accidentellement au fil du discours, au gré de ma curiosité.

En effet, mon intérêt au cours de la lecture a très nettement décru d'une partie à la suivante. Conformément, je vais m'attarder dans une cit. in extenso concernant les trois moments successifs de la construction de l'identité sur l'Internet :

« Sur cet espace, l'internaute expose au monde des fragments de lui-même, c'est-à-dire, selon ses choix, des éléments de son anatomie, de ses pensées ou de ses créations. Cette démarche n'est pas sans risque parce qu'elle aggrave le narcissisme du miroir. Rien n'est pire qu'un blog ou un site sur lequel on ne reçoit aucune visite ! […]
Le premier internaute qui vous rend visite casse ce soliloque. C'est le deuxième moment. Vous êtes invité à profiter de son regard sur vous à travers son intérêt et ses remarques. […] le premier miroir de l'identité de chacun n'est d'ailleurs pas une surface polie réfléchissante, mais le regard de sa mère […] (cit. Winnicott).
Enfin arrive le troisième moment, celui où les échanges dessinent peu à peu un groupe d'internautes partageant les mêmes goûts et les mêmes centres d'intérêt. […] C'est la sortie du monde autocentré où chacun était invité à tourner autour de soi, un peu comme au Moyen Âge l'univers entier était censé tourner autour de la Terre, et c'est l'entrée dans un monde hétérocentré où l'on est invité à tourner avec d'autres dans des regroupements appelés « communautés ». » (p. 37-38)
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