Il y a dans ces farces quelque chose de l'exercice de style (à l'image de la mise en abyme proposée par le Bateleur), de la prouesse attendue servant à attirer l'attention : vont-ils être au niveau ? Autour d'un schéma dramatique connu et peu contraignant, les acteurs ou bateleurs vont démontrer leur savoir-faire aux moments attendus mais aussi donner libre-court à l'improvisation, établir des liens avec le contexte local ou actuel. La distance entre la scène et le public est moins importante dans ce théâtre de tréteaux et l'on peut facilement imaginer des interactions fréquentes (questions-réponses, avertissements naïfs, choeurs...). Les textes, bien que sûrement réécrits et modifiés au cours des siècles par les troupes, sont des sortes de canevas extrêmement attendus et un peu figés, lexique, gestuelle et rimes, objets, mais souples, modifiables à souhait, permettant non seulement une grande popularité des oeuvres mais aussi la personnalisation et la virtuosité de l'adaptation.
De prime abord, cette sélection correspond au stéréotype : intrigue simpliste, humour immédiat des cascades et coups, gestes osés et grossièretés. A-t-on perdu l'essentiel de ce théâtre qui passionnait les foules du Moyen-Âge, trop tardivement mis par écrit (XVe siècle) ? Ces foules étaient-elles si rustres (telles qu'on a longtemps voulu les décrire) que seule la grossièreté était susceptible de leur plaire ? Contrairement aux pièces réécrites par
Dario Fo dans son
Mystère bouffe, le politique n'apparaît pas immédiatement dans ce choix (à part dans la farce-moralité des Gens nouveaux). L'essentiel de ces farces regarde l'intime, le trivial du ménage, des relations de voisinage et du petit commerce quotidien... Mais l'intime n'est-il pas justement le premier lieu d'une lutte d'émancipation, comme pour les anarchistes (qu'on pense à Vis ma vie, d'
Emma Goldmann) ? Comment à la fois être libéré de la pesanteur de ses proches et faire communauté ? Si homme et femme ne passaient plus leur temps à se disputer, alors ne seraient-ils pas prêts à se révolter contre l'injustice du seigneur, le jugement du prêtre, l'arnaque du bourgeois ?
La farce semble prendre son sens plein dans la faculté d'élever la personne du peuple qu'elle croque (et parallèlement de rabaisser les personnes qui se voudraient supérieures). Figures de la société ordinaire, femmes et hommes, célibataires, jeunes et vieux… artisans, marchands, gens de petite éducation, mendiants… médecins et curés. Ces farces proposent une galerie de portraits du peuple, questionnant les relations des uns aux autres. Comme autant de mini comédies de moeurs, le but est bien de montrer à chacun l'envers, le point de vue de l'autre, afin de favoriser la bonne entente, le refus des déséquilibres et des entourloupes (on remarquera que la morale n'est pas celle habituelle du plus malin, mais bien le retour à terre de ceux qui cherchent à tricher). Il ne s'agit pas de se moquer du sort de l'un ou de l'autre (nul ne paraît totalement condamné), mais bien de faire rire et réfléchir de ses propres défauts, à regarder son propre petit monde avec compréhension et autodérision, afin de mieux faire corps (et diriger le monde à la place des princes, qui se présentent toujours comme Gens nouveaux mais le mènent à sa perte).
Chronique détaillée de chaque pièce sur mon blog.
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