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EAN : 9782021279092
252 pages
Seuil (07/05/2015)
3.25/5   67 notes
Résumé :
Qui sommes-nous vraiment, nous qui avons affiché une telle détermination dans le refus de la violence aveugle et notre foi dans la République le 11 janvier dernier ?

La cartographie et la sociologie des trois à quatre millions de marcheurs parisiens et provinciaux réservent bien des surprises. Car si Charlie revendique des valeurs libérales et républicaines, les classes moyennes réelles qui marchèrent en ce jour d’indignation avaient aussi en tête un ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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On a tous joué à "Où est Charlie ?". Grâce à Emmanuel Todd, on joue depuis deux mois à "Qui est Charlie ?".
Son livre est un pavé dans la mare. Sa thèse est aussi simple que provocatrice pour toutes les bonnes âmes qui ont défilé le 11 janvier pour la liberté de la presse et contre le terrorisme : la France, dit-il, s'est achetée ce jour-là une bonne conscience. Pire : elle aurait sans le savoir versé dans l'islamophobie et l'antisémitisme.

Son livre ne s'y résume pas qui rassemble de nombreuses idées déjà développées par ce sociologue-anthropologue-géographe prolixe que la modestie n'étouffe pas.
Et c'est peut-être le principal défaut de ce livre qui part un peu dans tous les sens.
Emmanuel Todd y remâche ses obsessions. le pêché originel de Maastricht. La haine de l'Allemagne. La fascination de la Russie. L'obsession de l'antisémitisme.
La méthode développée mêle la sociologie, l'anthropologie, la géographie. Rien de neuf qu'il n'ait déjà exposé dans son précédent ouvrage "Le mystère français" co-signé avec Hervé le Bras. la France, y écrivait-il, est divisée en deux : le Bassin parisien et le pourtour méditerranéen forment une France laïque attachée aux valeurs d'égalité, le reste de la France (la "France périphérique" dirait Christophe Guilluy) attachée aux valeurs d'autorité, en voie de déchristianisation, connaît la persistance d'un "catholicisime zombie". C'est cette France-là qui penche plutôt à gauche (notons le paradoxe de l'enracinement du PS dans des terres dites d'inégalité et la provocation de voir en François Hollande un "catholique zombie archétypal" (p. 56)) et qui a défilé pour Charlie.
L'approche spatiale de Todd ne convainc pas. Elle survalorise la géographie au détriment de l'économie et néglige la mobilité qui caractérise, à court et long terme, les populations françaises.

Pour autant, son analyse du 11-janvier touche souvent juste.
Sans le suivre dans son analyse spatiale des manifestations, on ne peut qu'être d'accord avec son analyse sociologique. Charlie nous renvoie une image déformée de notre pays - même s'il faut la pondérer par la sociologie des manifestations : surreprésentation des CSP, âge médian élevé, sous-représentation des ouvriers et des immigrés.
De là à prêter aux foules bon-enfant du 11 janvier des intentions qui n'étaient pas les siennes, il n'y a qu'un pas que Tood franchit (trop) vite. Il a tort de les imaginer en quête d'un bouc émissaire à leur mal-être métaphysique : les manifestants du 11-janvier n'étaient pas islamophobes, pas plus qu'antisémites. Il a raison en revanche de dénoncer "l'éloge du blasphème" (c'est le titre du dernier pamphlet de Caroline Fourrest) auquel se sont livrés certains laïcards : c'est une chose de se battre, comme Voltaire en son temps, pour le droit de blasphémer sa propre religion, c'en est une autre que d'assigner aux tenants d'une religion minoritaire le devoir de le faire.

Les Français ont surréagi le 11 janvier. Ils se sont inventés un 11-septembre. Hollande, comme Bush en 2001, a donné un sens idéologique à des actions terroristes qui n'en avaient guère. C'est faire trop d'honneur aux frères Kouachi que d'imaginer qu'ils luttaient contre la liberté d'expression. C'est exagérer l'influence de l'Islam dans les banlieues et déformer son message que de voir dans tous les immigrés des antisémites assassins, des Coulibaly en puissance. L'Islam n'est pas une menace, c'est tout au plus une réponse que des jeunes immigrés désocialisés donnent, avec plus ou moins de fanatisme, à leur désir frustré d'assimilation.
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Les attentats de janvier à Paris ont provoqué des manifestations de soutien quelques jours plus tard dans toutes les grandes villes de France. Certains observateurs n'ont pas manqué de souligner que certaines catégories sociales n'étaient que peu ou pas représentées parmi les manifestants : le monde ouvrier et les français issus de l'immigration étaient aux abonnés absents.

Pour expliquer cette différence, Todd remonte assez loin dans le temps, jusqu'à la révolution française, et défend l'idée d'une France coupée en deux : une qui a laissé tomber le catholicisme à la révolution et l'autre qui l'a laissé tomber dans les années 60, et qui se cherchent une utopie de substitution, qui est devenue l'Europe et la monnaie unique. En passant en revue les différentes élections, les référendums concernant la constitution européenne, l'auteur en déduit que ce rêve s'est effondré, et que l'islamophobie sert désormais de lien social (je résume très grossièrement, ça va de soi).

C'est bien joli tout ça, mais j'ai quand même un peu de mal à faire le lien avec la question initiale. Qu'est-ce que je dois en déduire ? Que les manifestants de janvier, ouvertement islamophobes, ont manifesté pour défendre l'euro, tandis que les autres, rongés par l'antisémitisme, se sont abstenus pour protester contre le traité de Maastricht ? J'admets volontiers qu'il existe des causes cachées dans les mouvements de foule, mais là ça me paraît tout de même un peu tiré par les cheveux.

Je n'ai pas fait beaucoup d'efforts pour comprendre cet essai, qui m'a paru dès le départ très opportuniste. Il ne répond pas vraiment aux questions auxquelles je m'attendais en ouvrant le livre, et j'ai eu l'impression de me faire refiler de vieilles idées, ré-estampillées « Charlie » pour l'occasion. Je déplore aussi le ton général de l'essai, assez polémique (« écrit sous le coup de l'exaspération »), ce qui nuit toujours à la crédibilité de l'ensemble. Pour découvrir les analyses de Todd, je me tournerai plutôt vers ses anciens livres (puisque visiblement tout ce qui a été décrit ici l'a déjà été dans d'autres ouvrages), celui-ci manque beaucoup trop de sérénité à mon goût.
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On vient de célébrer à grands renforts de témoignages, de sons et d'images, les six mois des événements dramatiques de janvier. Et la fragile communion républicaine dans laquelle toute une partie de la population s'était retrouvée dans la rue, bras dessus bras dessous, derrière les désormais incontournables “Je suis Charlie”, semble bien délitée avec le temps, le chômage et la Grèçomania. Non que les témoignages d'alors n'étaient pas sincères, mais dans un effet de sidération collective et compréhensible, tout le monde était Charlie. En tout cas, tous ceux qu'on interrogeait, et dont on diffusait les déclarations, les autres n'avaient pas d'intérêt et étaient même incongrues voire incompréhensibles.
Moi aussi j'étais Charlie, forcément, comme dessinateur de formation, et travaillant pour des quotidiens ”papier“, mais pas dessinateur de presse pour être précis. Ce n'est pas pour autant que je cautionnais la ligne éditoriale de Charlie Hebdo que je ne lisais jamais, et j'irai même jusqu'à dire que quelle que soit la religion caricaturée, ou les hommes moqués ou attaqués, je me sentais parfois gêné par cet acharnement, mais puisqu'on a la chance inestimable de vivre dans un pays dont la Liberté est un des trépieds de notre devise, je laissais aux victimes concernées la possibilité de se défendre par voie du justice si l'envie les en prenait.

Durant les semaines suivantes tous les journaux, magazines, émissions de télévision et de radio, nombres d'éditorialistes, de chercheurs, de sociologues se sont penchés sur ce mouvement spontané et quasiment universel, par la grâce d'un slogan apparu sur les réseaux sociaux, et l'ont analysé, décortiqué, expliqué, controversé, critiqué, …

Emmanuel Todd (sociologue, politologue, historien,…) est de ceux-là. Il a publié son livre “Qui est Charlie ?” voici un peu plus de deux mois, et a fait largement parler de lui sur les plateaux de télévision et dans les colonnes des magazines et des journaux. Un ami m'a prêté ce livre, comme ça, parmi d'autres, et j'ai eu envie de savoir de quoi il retournait…
Je l'ai parcouru plus que lu, car à aucun moment je n'ai réussi à m'accrocher à un fil conducteur, ne maniant pas la sémantique sociologique faite de “isme(s)” et de démonstrations dont les terminaisons de phrases me laissaient au minimum perplexe voire le plus souvent embarrassé de ne pas avoir compris un traitre mot de ce que j'avais sous les yeux. Bref, grâce mes proches qui ont l'affection de m'assurer que je ne suis pas complètement abruti, j'en ai conclu que je n'étais pas fait pour ce genre de lecture, mêlant allègrement des affirmations à minima confuses voire choquantes, des tableaux et des cartes à qui l'ont fait dire ce qu'on veut en les analysant dans le sens de sa propre démonstration, et des conclusions (pour celles que j'ai assimilées) par trop alambiquées ou édifiantes.

Je vous renvoie à quelques extraits que j'ai tirés du livre, pour vous montrer à quel point de perplexité je me trouvais, en disant à ma femme : “je ne comprends rien !”. En précisant toutefois que je ne cautionne aucun des propos tenus, quels qu'ils soient.

Je me consolerai en me disant que je ne suis sans doute pas le seul dans ce cas-là, et m'en retournerai à mes romans policiers et historiques, mes bandes dessinées et mes auteurs favoris qui manient la belle langue qu'est le français dans un style qui me convient tellement mieux.

À tous et aux autres, je souhaite de bonnes vacances, à l'ombre d'un parasol et avec soi de nombreux bouquins d'été qui reposent l'esprit sans créer de polémiques stériles !
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Dans son introduction, Emmanuel Todd affirme que son livre est une étude sociologique "rigoureuse".
Cela ne l'empêche pas, dès le premier chapitre, de se lancer dans des comparaisons métaphysiques très personnelles, insuffisamment fondées et particulière audacieuses. Ainsi, il compare par exemple les camps de concentration nazis aux théories luthériennes de la damnation éternelle...

ll tombe dans ce travers classique des sociologues, qui est de vouloir à tout prix faire rentrer l'intégralité des faits historiques, politiques, religieux, etc. dans un système globalisant et inflexible, quitte à faire des parallèles plus que douteux entre des époques, des lieux et des moeurs différents. Tout événement doit ainsi s'expliquer par des lois supérieures, universelles et invariantes, qui tendent à simplifier à outrance les faits, afin de les forcer à se confiner dans ce système de pensée qui doit forcément tout expliquer, sans nuance ni exception.

Beaucoup d'assertions sont dénuées de tout exemple, et il faudrait croire sur parole l'auteur... Pas très rigoureux comme méthode, surtout pour quelqu'un qui se présente comme un scientifique et prétend faire de la science "par l'analyse et le raisonnement". Les affirmations de Todd ne sont pas nécessairement fausses, mais en tous cas elles sont très insuffisamment justifiées.

Pour ne prendre qu'un exemple, Todd affirme que la chute de l'Église, dans l'immense majorité des cas, est suivie d'une montée du nationalisme car l'universalisme qui était défendu par cette dernière est alors abandonné, laissant les hommes à leurs passions xénophobes naturelles (il n'explique d'ailleurs pas l'origine de cette xénophobie supposément substantielle, mais passons).
Il lui aura vraisemblablement échappé que les pays européens, bien que tous chrétiens pendant des siècles, se sont néanmoins faits la guerre malgré la présence d'Églises nationales puissantes. Que l'affirmation d'identités patriotiques fortes coexistait avec la présence de la religion catholique. Qu'en France, "l'anglophobie" ne date pas des années 60 mais remonte au contraire à des conflits bien plus anciens, où la religion était pourtant extrêmement présente dans les deux contrées. Les sources littéraires démontrant le nationalisme des peuples ne manquent pourtant pas... L'on aimerait donc qu'il soigne un peu plus ses théories, augmente ses sources, et vérifie ses affirmations.

Il crée donc des liens de cause à effet souvent ambigus, par exemple entre la pratique religieuse (conséquence) et le niveau d'égalité dans la cellule familiale (cause) , alors que l'on pourrait légitimement se demander si ce rapport de causalité n'est pas plutôt inversé, ou s'il n'existe pas des causes communes supérieures... La différence de système égalitaire aurait donc, d'après lui, induit une différence de pratique religieuse selon les régions de France. Mais d'où vient cette différence de système égalitaire familial ? Todd n'en dit pas un mot. Cette différence de système ne serait-elle pas elle-même issue d'une différence de pratique religieuse ? N'existe-t-il pas de cause commune à ces deux phénomènes ? La corrélation qu'il observe implique-t-elle forcément une relation de causalité ? Autant de questions qui restent en suspens... C'est pourtant la base de tout raisonnement scientifique : on ne déduit pas d'une corrélation une nécessaire causalité !

Emmanuel Todd poursuit ainsi son raisonnement, taillant à travers la forêt des possibilités, choisissant une explication qui lui convient mais dont on doute profondément qu'elle soit à chaque fois la seule possible.

On atteint le fond sur certaines cartes, où l'auteur n'offre aucune explication méthodologique. Ainsi, il trace par exemple la carte de France de l'égalité dans les familles, indiquant une "intensité d'égalité" allant de 0 à 3, sans expliquer nulle part la méthode qui lui permet de quantifier ainsi l'égalité. N'importe quelle revue scientifique, n'importe quel organisme de recherche digne de ce nom rejetterait une telle hérésie méthodologique ! Et pourtant, l'intégralité de son livre est basée sur ces "scores d'égalité" aucunement définis !
Il a également recours à des artifices fallacieux dans ses illustrations, notamment des échelles relatives qui masquent l'absence de proportionnalité des informations affichées.

Avec de tels manquements déontologiques, Emmanuel Todd ne mérite pas son statut autoproclamé de chercheur. Il est au mieux un essayiste ou un polémiste. L'on comprend mieux pourquoi ses travaux n'obtiennent de succès qu'auprès d'un public profane et sont tant critiqués par les milieux universitaires.

Ce travail est, en conclusion, un vaste n'importe quoi du point de vue scientifique, une multiplication d'allégations affirmés sur un ton docte, et néanmoins absolument infondés, non sourcées, injustifiées, et dont les liens tissés par l'auteur sont carrément farfelus. Todd semble chercher les formules chocs plutôt que des vérités factuelles. Il cède aux bons mots ("du Dieu unique à la monnaie unique", etc. ) quitte à construire pour cela des théories tout à fait fantaisistes.

Les faits que Todd exploite ne sont, dans leur majorité, que des biais de confirmations de théories qu'il a préalablement élaborées. Chaque élément doit servir à la justification de ses thèses, quitte à verser dans le comique, comme quand il exploite des variations de l'ordre d'un ou deux pourcents sur le vote au référendum de 2005.

Autre exemple : Todd fustige l'augmentation de l'âge moyen des prisonniers (30,1 ans en 1980, 34,6 en 2014), mais oublie que sur la même période, l'âge moyen de la population a lui-même augmenté (35,1 en 1980, 40,7 en 2014), expliquant à lui seul cette statistique. C'est le principe du rasoir d'Ockham : l'explication la plus simple d'un phénomène est bien souvent la meilleure... Mais Todd préfère omettre, volontairement ou par ignorance (je ne sais pas quelle explication serait la plus désastreuse) ces explications simples pour leur préférer des théories aussi alambiquées que farfelues !

Tout cela est d'autant plus dommage que cela dessert et entache certaines thèses pourtant intéressantes, comme le lien entre l'inégalité entre les frères héritée du droit d'aînesse et l'acceptation postérieure de l'inégalité entre les hommes issue du capitalisme. Il en est de même pour l'explication très convainquante de la monté du Front national, résultat de la combinaison de l'universalisme/égalitarisme populaire et de la découverte/encouragement d'un mode de vie différencié des populations immigrées par les élites prônant le "droit à la différence".
La différenciation qu'il fait entre arabophobie, populaire, et islamophobie, bourgeoise, est également intéressante. Quel dommage que tout cela ne soit que pure hypothèse, privé de fondations sourcées et rigoureuses !
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J'ai abordé ce livre avec beaucoup de méfiance, connaissant déjà Emmanuel Todd, ses méthodes, ses obsessions et ses biais idéologiques (dont il tire un argument d'autorité qu'il distribue sur tous les plateaux de télévision, répétant à l'envi qu'ils sont issus de "quarante ans de recherche", comme si le fait de ressasser les mêmes idées depuis une éternité leur donnait un poids supplémentaire). Pour autant, l'envie de sortir du discours bien-pensant sur la France formidable, qui défend le droit d'expression et la liberté de pensée, descendue unanimement dans la rue le 11 janvier, m'a poussé à rechercher des voix discordantes. C'est à peu près le seul point sur lequel je n'ai pas été déçu.

Ce qui est irritant chez Emmanuel Todd, c'est surtout sa prétention scientifique de sociologue / démographe, scientifique donc forcément incontestable. S'appuyant sur la confusion classique entre corrélation et causalité, qui permet de faire dire ce que l'on veut à des cartes (si ça se superpose à peu près, c'est que l'un explique l'autre), l'auteur nous ressert sa théorie du "catholicisme zombie". Qu'est-ce qu'un catholique zombie? Ce n'est pas forcément un catholique, ce qui est bien pratique quand on cherche une catégorie fourre-tout propre à tout expliquer. C'est un nostalgique du catholicisme (défini non pas comme une religion, mais comme un ensemble de valeurs dont on comprend plus ou moins qu'elles sont "de droite"). Au fond, c'est surtout quelqu'un qui ne pense pas comme Emmanuel Todd, ce qui vaut auxdits zombies quelques qualificatifs qui soulignent la démarche rigoureuse et scientifique de l'auteur (citation: "besoin pathologique des couches moyennes et supérieures de détester quelque chose ou quelqu'un"). le "besoin pathologique" d'une catégorie sociale, ça c'est de la science, ça c'est de la rigueur, quarante de recherche, on vous le dit!

le fond de la pensée d'Emmanuel Todd, c'est que les couches populaires de culture musulmane sont le nouveau prolétariat opprimé par la bourgeoisie acquise au "catholicisme zombie", qui a exprimé sa haine de classe le 11 janvier. Pourquoi pas, c'est une thèse qui se défend, sauf que cette idée de 'nouveau prolétariat" n'est pas nouvelle et constitue depuis longtemps déjà le fond de commerce électoral de certains partis d'extrême-gauche, déboussolés d'avoir perdu leur électorat traditionnel qui soit s'est embourgeoisé, soit s'est tourné vers le FN. Et que le parallèle est glissant, qui finirait par conduire à présenter les terroristes comme une sorte d'avant-garde de la révolution prolétarienne à venir. Pas sûr que les populations concernées se retrouvent là dedans (pas plus que les anciennes classes populaires ne se reconnaissaient dans les attentats anarchistes), mais l'auteur lui ne semble pas loin de vouloir sauter le pas (quand par exemple, certes dans une interview postérieure à la publication du livre, il s'est dit plus choqué par le fait qu'un enfant de 8 ans ait été convoqué par la police, qui le soupçonnait de sympathie pour le terrorisme, que par les attentats eux-mêmes... L'enfant, lui, est sorti vivant du commissariat. Les clients de l'hyper-casher n'ont pas tous eu cette chance).

A tous ceux qui trouvent cette pensée novatrice ou provocante, on rappellera que nombre d'intellectuels français des années 1930 à 1980 se sont successivement émerveillés sur l'Union soviétique, puis la Chine de Mao, puis les Khmers rouges, au nom de la défense du prolétariat opprimé et de la haine du bourgeois et de la police. Rien de nouveau sous le soleil et tout cela au fond n'est que de la nostalgie; Emmanuel Todd le reconnaît lui-même dans une interview donnée à l'Humanité, dans laquelle il livre le fond de sa pensée sur la manifestation du 11 janvier "Des foules immenses qui acclament la police, ce n'est pas le monde habituel des manifestations ouvrières auxquelles je participais dans ma jeunesse". Derniers soubresauts d'une idéologie à l'agonie qui trouve dans le djihadisme un dernier, et bien ambigu, sujet d'empathie? Chacun se fera son opinion. On n'a en tout cas peu (pour ne pas dire "pas") entendu Emmanuel Todd après les attentats du 13 novembre 2015.
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critiques presse (1)
NonFiction
18 mai 2015
Il faut rendre à Emmanuel Todd le mérite d'une interprétation originale et rendre aux sociologues qu'il invoque le sens exact de leur pensée pour interpréter l'événement.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (68) Voir plus Ajouter une citation
Comment expliquer calmement, en prenant le temps de la démonstration, que l'urgence, pour la société française, n'était pas en 2015 une réflexion sur l'islam mais une analyse de son blocage global ? Comment faire comprendre que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient bien des Français, des produits de la société française, et que le recours aux symboles de l'islam ne fait pas nécessairement de celui qui les utilise un véritable musulman ? Qu'ils n'étaient que le reflet inversé, pathologique en quelque sorte, de la médiocrité morale de nos chefs élus, plus soucieux d'optimiser le niveau de leur retraite que de tirer les jeunes de la surexploitation par les bas salaires ou de la marginalisation par le chômage ?

INTRODUCTION.
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La presse anglo-américaine a refusé de reproduire le Charlie du 14 janvier 2015. Les Russes, les Japonais, les Chinois, les Indiens nous ont tous jugés inutilement insultants, en somme, mal élevés. J’allais presque oublier « l’ensemble du monde musulman. La vérité est que, enfermés dans notre laïcisme radical, nous nous retrouvons seuls, tragiquement provinciaux, comme une bande ethnique qui encenserait son idole dans l’indifférence ou la désapprobation générale. À l’âge de la mondialisation, on n’insulte pas les symboles culturels des autres pour le fun.
(1) - Jusqu’à l’effondrement de la religion dans ses provinces périphériques de l’Ouest, des Pyrénées occidentales, du Sud et de l’Est du massif Central, de la Région Rhône-Alpes, du Jura, de Lorraine, d’Alsace et de l’extrême nord de l’Hexagone, la laïcité n’avait jamais eu à se définir dans l’absolu d’un monde sans Dieu. Elle avait pu se contenter de jouer en contre. À partir du début des années 1990, le problème fondamental de l’incroyance peut enfin émerger. L’inexistence de Dieu, conception hautement raisonnable, ne résout pas la question des fins dernières de l’existence humaine. L’athéisme n’aboutit qu’à définir un monde dépourvu de sens et une espèce humaine sans projet.
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Si la France poursuit dans la voie d’une confrontation avec l’islam, elle doit, tout simplement, se préparer à se rétrécir et à se fissurer. Au sein des jeunes générations, les Français classés comme « musulmans » constituent à peu près 10 % de la population. Ce n’est pas la submersion évoquée par les radical-laïcistes puisque la majorité de ces musulmans sont en réalités peu pratiquants, souvent mariés à des Françaises ou à des Français d’origine plus ancienne. Il se trouve désormais des musulmans partout et à tous les niveaux de la société française, dont une bonne partie déjà soudés par leur descendance au corps central de la société française. Une accentuation de la lutte contre l’islam ne saurait donc en aucune manière aboutir à sa réduction. Mais elle aliènera les musulmans complètement assimilés.Elle durcirra les croyances protectrices des musulmans paisibles des banlieues et des provinces françaises. Dans des conditions de chômage infini, sous l’horizon assombri de l’Europe du veau d’or, en l’absence d’un avenir compréhensible, la multiplication des adhésions au radicalisme islamique est à peu près certaine. Les conversions à l’islam de jeunes d’origine européenne devraient être les plus nombreuses dans les parties du territoire dont le fond anthropologique est nucléaire et individualiste, c’est-à-dire un vaste Bassin Parisien, puisque c’est là que les générations sont les moins solidaires et les jeunes le plus abandonnés.
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Quoi qu'il en soit, l'unanimité tant vantée par les médias est une fiction. Ne soyons pas déçus, n'en tirons pas la conclusion que tout ne fut qu'illusion et qu'il ne reste rien. Au contraire. Comprendre comment une partie de la société fut capable d'imposer une image fausse de la réalité à l'ensemble de la population, c'est mettre à nu la réalité de notre système social. C'est ainsi que la manifestation du 11 janvier, moment d'hystérie collective, nous offre une fantastique clé de compréhension des mécanismes du pouvoir idéologique et politique dans la société française actuelle.
Quelques surprises de taille nous attendent. Nous allons ainsi constater que le débat actuel sur la laïcité ne s'inscrit pas dans la continuité des valeurs laïques, que les forces qui se réclament aujourd'hui de la République ne sont pas d'essence républicaine, bref, que Marianne n'est plus la femme aimable que nous avons connue. Nous allons saisir en son cœur le grand détraquage du système politique français, comprendre pourquoi le Parti socialiste est désormais ancré à droite et pourquoi la droite flotte dans l'espace français sans trop savoir ce qu'elle est. Nous allons chercher à identifier les forces puissantes, efficaces et parfaitement méprisables qui maintiennent la France dans le carcan de choix politiques et économiques qui détruisent une partie de sa population.
p. 23
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Videos de Emmanuel Todd (45) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Emmanuel Todd
En tête des ventes dans la catégorie essais, "La défaite de l'Occident" d'Emmanuel Todd, attire par ses thèses dénoncées comme pro-Poutine. Guillaume Erner le reçoit pour en discuter, avec également Bernard Guetta, député européen et ancien correspondant de presse à Washington et Moscou.
Visuel de la vignette : Maxppp, AFP
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