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Critique de Apoapo


La théorie huntingtonienne du choc des civilisations est encore très répandue, car elle est facile. Très répandue aussi la réduction stigmatisante de l'identité des Musulmans à leur seule culture religieuse, de celle-ci à l'islamisme, de celui-ci au terrorisme, réductions successives qui constituent déjà à elles seules une forme d'islamophobie. le terme de barbarie opposé à civilisation appartient à ce langage, pour dénoter l'altérité entre "eux" et "nous".
Or, en refusant tout débat idéologique, c'est justement par l'analyse des termes que Todorov démolit ce discours, en véritable sémiologue (et philosophe spécialiste des Lumières). Qu'est-ce que la barbarie ? qu'est-ce que la civilisation (au singulier) à ne pas confondre avec les cultures (au pluriel) ? Quels sont les contenus des identités collectives ? Comment sortir du dilemme entre ethnocentrisme naïf et relativisme absolu (p. 30) ? Comment la culture (dans son sens national) évolue-t-elle entre pluralité et variabilité (p. 89) ? Comment les identités collectives multiples des migrants furent prises en compte depuis le Des lois de Cicéron (p. 102) et les actes de violence des banlieues françaises relèvent non d'un conflit entre cultures prétendument incompatibles mais de la "déculturation" (p. 144)...
Sans solution de continuité au fil des pages, la démonstration sémiologique et philosophique (anthropologique, sociologique) s'ancre de plus en plus dans les "affaires internationales", c'est-à-dire dans le politique, notamment dans le ch. 3 "La guerre des mondes" et le ch. 4 "Naviguer entre les écueils". Sont traités: les campagnes militaires américano-otaniennes, l'islamisme, la torture, mais aussi le meurtre de Theo van Gogh à Amsterdam, les caricatures danoises du Prophète, le discours de Benoît XVI à Ratisbonne...
Le dernier ch., "L'identité européenne", marque à mon sens une perte de pertinence, d'intérêt et, pire, de subtilité de pensée. Je n'en retiendrai(s) que la critique d'un certain discours sur l'identité européenne, fondée fort justement sur son incohérence:
"L'idée d'égalité entre tous les êtres humains nous vient de l'histoire européenne, pourtant celle d'esclavage est loin de lui être étrangère. le prosélytisme religieux et la laïcité lui appartiennent au même titre, tout comme l'esprit révolutionnaire et le conservatisme. La tolérance est européenne, mais le fanatisme et les guerres de religion ne le sont pas moins. [...] la soumission des peuples étrangers à la volonté du plus fort, l'impérialisme même appartiennent également à l'héritage européen." (pp. 250-251).
Il s'agit donc dans l'ensemble d'un ouvrage d'une rigueur et d'une clarté mémorables, dont le style est beaucoup moins académique et ardu que celui de certaines oeuvres de Todorov (surtout celles de sa jeunesse) sans perdre de précision historique et philosophique : une véritable leçon de citoyenneté à recommander à toute personne éveillée et minimalement intéressée par ces aspects de notre politique.
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