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Critique de Henri-l-oiseleur


Tolkien était un perfectionniste, on le sait, et il accumulait de considérables retards pour rendre ses manuscrits aux éditeurs, quand il les rendait. Pareille manie de la perfection aboutit paradoxalement au résultat inverse : une énorme masse de brouillons, de réécritures, de reprises et de repentirs, formant tout le corpus désordonné de la mythologie de son monde, maigrement publié dans le Silmarillion.

Le fils de l'auteur, Christopher Tolkien, s'est donc lancé dans l'entreprise de publication de tous les contes inachevés, ébauchés, rêvés, raturés, par son père, et ce volume est le premier de la série du "Livre des contes perdus", paru en français dans la traduction d'un autre Tolkien, Adam. Ce premier tome relate la création du monde et l'éveil des Elfes et des Hommes, ainsi que les combats des dieux contre Melko, figure satanique de l'orgueil et de la révolte, à l'origine de tout le mal. Le Silmarillion esquisse brièvement cette histoire, ici très détaillée. A la fin de chaque conte on lit un commentaire de Christopher Tolkien et des notes explicatives, linguistiques et onomastiques.

Cette lecture est doublement décevante. Comme il s'agit de brouillons, on tombe inévitablement sur des défauts littéraires qui n'ont pas échappé à l'auteur, parfois au point de le décourager. On se prend à penser "quelle belle histoire ferait ce conte si ... !". Les pages magnifiques sont nombreuses, pour notre plus grande frustration.

Ces récits de la Création sont rédigés dans ce qui passait, aux yeux de l'auteur, pour du style noble, plein d'archaïsmes et d'inversions. Il y en a aussi dans "Le Seigneur des Anneaux", qui est un magnifique livre de prose anglaise, mais dans ce roman, les passages en style noble alternent avec d'autres écrits dans une langue plus courante, quand il s'agit de personnages plus proches de nous. Ici, il n'y a que des Dieux et des Elfes, ce qui conduit à une grande monotonie de ton et de style, insupportable en français, fatigante en anglais. Entre 1917 et 1920, Tolkien rédige des récits en faux anglais archaïsant à la façon victorienne de Tennyson, quand Pound et Eliot créaient leur poésie, Joyce ses premiers textes.

Le second grave défaut de l'ouvrage est dans la traduction française. Certes, Adam Tolkien prend soin de préciser à son lecteur qu'il ne corrige pas le texte anglais, qu'il traduit ce qu'il a sous les yeux. Admettons. Mais il lui arrive de se tromper lourdement, comme on le voit à un simple mot anglais qui revient mille et une fois dans le texte : "now". "Now" suivi du présent veut dire "maintenant". Suivi de verbes au passé, il veut dire "en ce temps-là", "alors", "jadis", "et alors" (dictionnaire Webster : at the time referred to ; then ; next) ; ou bien, "donc, de ce fait" : given the situation, with things as they are ; ou enfin, c'est juste une particule d'insistance dépourvue de toute signification. Comme ce mot revient au moins deux ou trois fois par paragraphe dans les contes, il est dommage qu'il soit toujours pesamment traduit par "maintenant". Adam Tolkien ne savait pas assez de français pour traduire ce livre.
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