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J. Wladimir Bienstock (Traducteur)Jil Silberstein (Préfacier, etc.)
EAN : 9782868535313
91 pages
Le Temps qu'il fait (21/01/2010)
4.15/5   51 notes
Résumé :

L'individu " animé d'un immense amour-propre ", dont le but est d'" atteindre la perfection et le succès dans toutes les entre-prises, et d'obtenir ainsi l'admiration et les louanges de son entourage", cet individu-là, brusquement contrarié dans son élan par un détail qui l'insupporte, peut-il, tournant le dos au monde, se consacrer à Dieu ? Ou bien, pour être plus précis : si la décision d'un tel être se trouve motivée par le désir de montrer à tous son... >Voir plus
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La longue nouvelle de Tolstoï «Le père Serge» est de l'or en barre, un véritable joyau.

Cette nouvelle traite de connaissance de soi, de recherche de la bonne voie, du chemin et de ses dangers, de réconciliation intime, du dialogue intérieur, peut-être avec la "divinité" (même si on est athée, eh oui, du moins je le crois fort, et même si la divinité n'existe pas).

Les mystiques orthodoxes, rhénanes, bouddhistes, soufies nous parlent toutes du chemin, quasiment de la même façon…Mais il n'est pas besoin de connaissances spéciales pour comprendre le cheminement du père Serge.

C'est une histoire humaine, exigeante et terrible.

Un jeune officier, le prince Stéphane Kassatsky, promis à une carrière brillante et désireux d'être le premier en tout, abandonne brutalement le monde et sa fiancée pour entrer au couvent sous le nom de Père Serge. Que s'est-il passé pour occasionner une telle rupture en lui ?

Il entame alors une longue recherche spirituelle, mais est rongé par deux "démons" intérieurs qui troublent sa progression sur le chemin de la foi, ou plus exactement de l'abandon du soi égo-centré vers la sérénité : ces deux «démons» marchent main dans la main et ne font qu'un : ce sont l'orgueil et l'appétit charnel. Que faire de ces deux accompagnateurs bruyants qui lui barrent la route, frappent à sa porte, s'allongent sur sa paillasse ? Il cherche, et… finira par trouver, mais le chemin sera long et difficile.

Ce personnage ne peut que nous être très proche dans ses épreuves : il est honnête, il ose s'avouer qu'il n'aime personne, au moins cela signifie qu'il SAIT ce qu'est aimer. Peu de gens osent s'avouer qu'ils n'aiment personne. le père Serge sait ce qu'est l'Amour, au moins par la place que cet Amour laisse vacante en lui.

Car la solution réside dans l'Amour avec un grand A, pas l'amour humain, mais l'Amour oblatif, réunificateur, réconciliateur.

Le père Serge est hautement exigeant (c'est le bon avers de son manque d'humilité).

Comme Raskolnikov, il trouvera ce qu'il cherchait… en Sibérie. Dans une vie dure et simple.

Sa quête a abouti : Tolstoï nous l'annonce très brièvement en fin de texte en un petit paragraphe faussement anodin : «En Sibérie, il s'installa sur la terre d'un riche paysan. Maintenant, il vit là-bas. Chez son maître il travaille au potager, enseigne l'écriture aux enfants et soigne les malades.»

Le génie de l'auteur est d'évoquer, l'air de rien, la réussite de la quête du père Serge après des années de recherches et d'errance (il est presque vieux). Pour qui est attentif, la modestie du style, la concision de l'évocation renforcent encore, par contraste, l'immensité de la réussite du Père Serge.

Je ne peux m'empêcher de mettre en parallèle le héros de Tolstoï avec l'un des personnages de «Notre-Dame-de Paris» de Victor Hugo que je lis en ce moment. Je suis fascinée par l'archidiacre Claude Frollo qu'on présente volontiers comme d'une noirceur absolue, alors qu'il n'est qu'humain, juste humain… (rien à voir avec la représentation exécrable et de parti pris qu'en a fait Walt Disney en transformant le prêtre en juge et en dénaturant toute l'oeuvre... ou alors admettons que la création de Walt Disney est toute différente).

Frollo, vit en 1480 et non au XIX ème siècle comme le Père Serge. Et contrairement au héros tolstoïen, il, échoue splendidement, avec fureur et fracas, et j'en suis fort marrie, car j'ai un faible pour lui (dis-moi, Ô miroir, que je ne suis pas la plus laide...).

Frollo est un perdant magnifique, qui s'écrase avec grandeur.

Les deux personnages ont bien des points en commun : ils sont tous deux orgueilleux, intelligents, habités par une soif de savoir inextinguible. Tout leur réussit, ils ont le pouvoir, les honneurs. Et puis arrive une rupture : pour le père Serge, aristocrate en vue, une mauvaise nouvelle le fait rompre avec le monde (on devine qu'en lui cheminait depuis longtemps déjà une crise existentielle qui ne demandait qu'un incident pour se manifester).

Frollo, ecclésiastique de haut rang, se heurte de son côté au «mur de verre de la science" (l'expression est de Hugo) qu'il ne peut franchir : ce sont les limites de l'immense savoir qu'il a accumulé mais en pure perte car toujours la ligne d'horizon se dérobe. Or Frollo veut tout maîtriser. Il finit par franchir les limites autorisées par l'Eglise dont il fait partie et verse dans l'Alchimie : il est assez puissant pour ne pas craindre l'Inquisition malgré le fumet de sorcellerie que renifle le bon peuple à son passage (et ce ne sont pas les instances ecclésiastiques ni le cupide roi Louis XI qui le dissuaderont de vouloir changer le plomb en or).

Mais ce qu'il veut en réalité, c'est changer la vile existence divisée et souillée par la matière grossière en existence réconciliée et unifiée (l'Or). Pour y parvenir, il faut purifier l'âme des matériaux impurs qui l'inclinent vers le sol.

Le prêtre sait, comme le père Serge, que ce qui manque à sa quête de Vérité, c'est l'Amour, encore avec un grand A, qui se confond avec la pierre philosophale, quand l'Oeuvre-au-rouge est achevée.

Mais il échoue parce qu'il rencontre le désir charnel trop tardivement, la rage d'étudier lui ayant jusque là tenu lieu de tout. Il comprend avec effroi que le savoir sans l'Amour purificateur n'est qu'un serpent qui se mort la queue ; il n'a plus la force de lutter, il est enfermé dans sa spirale dépressive. C'est là, au pire instant de sa crise métaphysique, qu'il aperçoit du haut des tours de Notre-Dame une jeune fille qui danse sur le parvis, Esmeralda. Son coeur s'enflamme. Elle résiste à ses assauts (par trois fois, TROIS fois...), il veut tuer pour elle, elle le hante et fait de lui un damné : car il veut s'emparer de la «Table d'Emeraude», écrit-source de la connaissance alchimique ; et, comme le hasard fait bien les choses, "Émeraude" est précisément le nom de la bohémienne «Esmeralda». Or on n'accède pas au but suprême de la vie humaine par la force.

Contrairement au Père Serge, il a perdu son chemin. Pourtant très avancé dans la connaissance théorique, il est empêché, entravé par la matière, car il n'a pas laissé à temps s'exprimer en lui la nature humaine qui se venge sauvagement de la répression contre-nature de tous les instincts : son amour pour la gitane est englué dans le vil plomb, et le désir charnel le rend littéralement fou de douleur. L'attaque perfide du Démon n'est autre la rébellion de la chair trop longtemps contenue. Cet état d'auto-dévoration s'oppose à la nécessaire dissociation du corps et de l'Esprit, en vue de leur Ultime Unification et Réconciliation, seul accès possible au plan supérieur de l'existence. Dès lors, Frollo, définitivement divisé, s'enfonce dans la désespérance et meurt. Au moins a-t-il entrevu la Voie et a-t-il osé signer son échec : sa dépouille mortelle ne restera pas inutilisée, quant à son âme... prions...

Le père Serge, est plus aguerri car il a connu l'amour charnel avant d'entrer au couvent ; mais surtout il a identifié très vite son second ennemi : le manque d'humilité et a su se dépouiller peu à peu jusqu'à l'obéissance absolue, alors que jamais Frollo ne s'est départi du pouvoir que lui conférait sa toute-puissance sur Notre-Dame-de-Paris.

Le père Serge a suivi le parcours initiatique jusqu'au bout, renoncé à la chair et à la gloire, vaincu toutes les épreuves en embuscade le long du chemin.

Il est incontestablement lumineux. Il fait penser à Saint François d'Assise, à la béguine Marguerite Porete, par l'abandon christique de toute volonté personnelle.

En fait, il fait penser au Christ lui-même.


Tolstoï a écrit là une grande oeuvre qui traverse les préoccupations spirituelles de sa vie.
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J'ai moyennement apprécié cette nouvelle de Tolstoï écrite dans les années 1890 et publiée après sa mort. C'est une fiction moraliste qui raconte le long et difficile parcours vers Dieu d'un beau prince orgueilleux devenu moine, tourmenté par la vaine gloire et la luxure.
Tous prédisaient qu'il serait l'aide de camp de l'empereur Nicolas Ier et qu'une carrière brillantissime auprès de Sa Majesté qu'il vénérait l'attendait. Il allait se marier avec Mary une dame d'honneur de l'impératrice, d'une beauté remarquable, un ange. Mais un mois avant son mariage, il donne sa démission, rompt avec sa fiancée, vend ses biens et se retire au couvent dans l'intention de se faire moine. Que s'est-il passé ? Disons que le conte de fée a pris fin dans un beau jardin. Il a été désenchanté et humilié. Et pourquoi le monastère ? D'après sa soeur en devenant moine il montrait qu'il méprisait tout ce qui paraissait important aux autres, il se plaçait au dessus d'eux. Et son désespoir l'avait amené à la foi enfantine qui était demeurée en lui. Au couvent, il fournit tous les efforts nécessaires pour atteindre la perfection, il travaille, fait preuve d'humilité devant les inférieurs et croit avoir vaincu le péché de luxure....
Je ne suis pas suffisamment versée dans le mysticisme ou l'ascétisme orthodoxe pour apprécier pleinement cette nouvelle. Les tourments du Père Serge m'ont semblé de plus en plus pathétiques au fil du texte et j'ai eu du mal à lui pardonner ses remords d'obsédé.

Lue gratuitement sur la BRS (traduction de Bienstock 1912)



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Stépane est jeune, Stépane est idéaliste, Stépane a devant lui un brillant avenir. Il est riche, il est noble, il est fiancé à une belle jeune fille qu'il adore et qu'il voit comme un ange. Un jour, il apprend qu'elle a été la maîtresse du tsar, et son monde s'écroule.

Il se retire dans un monastère, mais il n'y trouve pas la paix. L'orgueil et le bruit du monde continuent de le poursuivre. Il devient ermite. Par jeux, une belle et riche veuve tente de le séduire. Pour résister à la tentation, il se coupe un doigt. Sa réputation grandit. Un jour, un paysan le supplie de guérir son enfant. Il prie, et l'enfant guérit. Bientôt, on accourt de toute la Russie pour se faire soigner. L'orgueil et la foule l'ont encore rattrapé. Une nouvelle fois, une jeune fille tente de le séduire – et cette fois y parvient.

Dégoûté de lui-même, plus que jamais désirant fuir l'orgueil et les tentations, il se rappelle soudain une amie d'enfance qui mène une vie de misère quelque part en Sibérie, et comprend que c'est elle qu'il doit aller voir...

Dans ce texte Tolstoï livre une très profonde réflexion, non seulement sur le monde mais également sur la foi et la vie religieuse. Violemment, il rejette la vie monastique, qu'il présente comme un orgueil déguisé. Pour lui la foi, la vrai, ne peut se vivre que par le peuple et avec le peuple, au contact des simples et dans la vie de tous les jours. Vivre simplement, faire le bien autours de soi, voilà la vrai humilité.

On y retrouve l'idéal de vie de Tolstoï, tel qu'il l'a toujours prôné et jamais mis en oeuvre, et qui lui valut tant d'âpres disputes avec sa femme. Son désir, souvent exprimé et jamais réalisé, de tout abandonner et de partir sur les routes comme pèlerin...

Une contradiction qui lui inspira un autre texte bien plus lucide et amer... Qui fera l'objet d'une autre critique !
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Le Père Serge
Léon Tolstoï, années 1890

Le Père Serge est une nouvelle qui fait une petite centaine de pages écrite par Léon Tolstoï alors que celui-ci est dans la parfaite maîtrise de son art : il signe en 1895 Maître et serviteur qui flatte son égo puisqu'il connaît un succès considérable auprès des russes. Il se prouve à lui-même une nouvelle fois s'il en était besoin que son impact artistique auprès du public est intact bien que ça le répugne, dit-il, en raison de la gloire que ça procure, et de gloire il n' en veut pas, dit-il, alors le chemin de la vérité reste ouvert ? D'autres textes qui ont précédé ont jailli de l'antre de Iasnaïa Poliana, ont connu un retentissement mondial , on parle de récits de conversion, comme La Mort d'Ivan Iliitch, La Sonate à Kreutzer, chefs d'oeuvre absolus de la littérature universelle et on met dedans le Père Serge. On appelle cela des récits de conversion puisqu'il faut toujours expliciter les choses ou cocher les cases comme on dit aujourd'hui ? L'auteur célébré dans le monde entier comme le plus grand romancier de son époque connaît un regain de désir pour la littérature, une fièvre insondable l'habite alors qu'il produisait des écrits religieux, métaphysiques, didactiques et semblait à jamais détourné de sa voie initiale. Sophie son épouse en est soulagée même si elle vit de drôles de moments à cause des incessants penchants de son mari pour une vie plus simple qui confine à la sainteté, ce qui n'était pas du tout le plan de départ de ce couple légendaire qui a défrayé la chronique quelques dix ans plus tôt... Alors à qui la faute, n'est-ce-pas ?

Dans ces années 1890, L'homme se sent en forme tel jour, en méforme le lendemain, sa barbe commence à grisonner, son entreprise ici avec le Père Serge va être hachée et s'étendre sur la décade. Il attaque la nouvelle en 1890, remet la gomme en 1895 pour l'achever en 1898, et à chaque fois qu'il lève la plume, il en sort mécontent, assombri, préférant se consacrer à d'autres textes comme le Récit de Koni ; d'ailleurs en 1898 quand il se détourne du Père Serge c'est au profit de Résurrection oeuvre colossale qui sera son roman préféré. Tout cela est relaté comme des balises dans son journal intime, mais il n'en dit pas plus non plus, il commente rarement sa production et quand l'oeuvre qui est à l'ouvrage nécessite un investissemnt total ou suscite une passion dévorante, son journal intime se réduit d'autant ; il faut le croire un peu quand même plutôt que de se laisser happer par les mains des empathiques et autres exégètes si doués fussent-ils. Les récits de conversion très bien, mais que dire alors de cet enchâssement avec Maître et Serviteur et Résurrection ? La morale chez Tolstoï n'est pas une fin en soi. Il faut s'assumer à tout âge, il y a un temps pour tout. L'art est toujours ce qu'a su faire le génial Tolstoï : il usitera ce don naturel jusqu'à la fin de sa vie, ce qui vaut tout autant que sa quête vers une vérité incertaine, idéalisée à travers un parcours semé d'embûches. Avec ce personnage si désarçonnant qu'est le maître russe, là où on le croit à poursuivre une quête inlassable vers la vérité absolue, sa vérité, -ce qui est vrai et casse les pieds à son entourage -, il est à caresser son poil d'artiste et inversement. Et il est aussi un pêcheur comme tout un chacun, avec ses doutes, sa mauvaise conscience, sa bonne conscience, et quand bien même ce ne serait pas son lot, il aspire à être quelqu'un d'ordinaire un simple paysan et il voit qu'il ne le peut pas parce que les choses ne sont jamais si simples que ça surtout quand on a affaire à un personnage encore une fois si complexe. Il y a non seulement un antagonisme entre sa personnalité et sa conscience, mais plus encore entre une vie vertueuse et sa vérité. Il est troublant d'observer chez lui une pudeur extrême à parler de lui - il n'écrira en tout et pour tout sur lui qu'une centaine de pages dans "Souvenirs", une commande d'un biographe proche qu'il réfuta finalement -, et de retrouver un peu son ombre dans chacune de ses fictions. Si on ajoute à ce portrait qu'il aura nourri toute sa vie jusqu'à l'obsession une image de la femme dans son esprit, inaccessible, l'empêchant de dormir manifestement, ce n'est pas pour arranger les choses ni une approche du personnage. Il déjoue toutes les pistes !.. A chaque fois que je cède à l'exercice de parler de lui en particulier, j'y vais à pas comptés, là où je peux mettre pied car j'ai toujours le sentiment de n'être sûr de rien le concernant. En revanche, je sais qu'on a dit beaucoup de conneries sur lui et que ça l'exaspérait au plus haut point sans vraiment le cultiver.

Alors j'ai une profonde interrogation sur le Père Serge et peut comprendre l'abandon de cette nouvelle qu'il laisse au milieu du gué, en proie au doute finalement. Il retombe néanmoins comme le chat sur ses pattes avec cette histoire, mais il estimera objectivement qu'il a mieux à faire avec Résurrection où il aura toute latitude pour exprimer le fond de lui-même et de son prochain sous forme de fiction, en reprenant les choses dans l'ordre, dans le sens de la vie en définitive.

Finalement la Mule de Clint Eastwood ressemble tout autant à Tolstoï et à son Père Serge qu'à n'importe qui quand nous avons là deux grands artistes qui ont le mérite de savoir bien dire les choses sur ce que chacun éprouve devant sa mort inéluctable, face à sa conscience. Personne n'échappe à son destin. Quand dans la Mûle, le chef du deuxième clan de mafieux qui neutralise à sa manière le premier arrête sa main d'assassin prête à tuer parce que Earl s'est dérobé à leur pacte à cause de la mort de sa femme, c'est du même registre que ce que vit le Père Serge : une conscience ultime à toute chose humaine, tant que le coeur bat, le miroir d'une vie que le quotidien répugne, qu'elle soit chargée ou moins chargée. Qu'est-ce que la morale a à voir là-dedans ?

Dans les années 1890, ce sont des éléments extérieurs qui vont mettre fin temporairement aux brouilles du couple Tolstoï : les famines dans les provinces du sud où Léon et Sophie vont s'activer comme personne, remuant ciel et terre pour obtenir des aides. Ce sera une parenthèse de près de deux ans pour ces bienfaiteurs d'un peuple à l'agonie alors que jusque là Tolstoï se refusait à faire l'aumône car, pensait-il que l'éducation commence par soi-même . Léon sera la cible du pouvoir réactionnaire qui lui envoie ses agents ; le ministre de l'intérieur aidé en cela d'une presse plus agressive encore fait flèche de tout bois. Une agitation fermente dans la paysannerie, Léon Tolstoï serait le nouvel Antéchrist, celui-ci rédige l'Appel, manifeste contre les menées de l'Etat et la faillite du système et en "appelle" à la réforme, comme un casus belli, dans une conjoncture pas évidente où l'intelligentsia se déchaine et Nicolas II toujours tenté de maintenir l'ordre quoiqu'il en soit..

Les Tolstoï n'ont alors aucun mauvais gré pour élever leur dernier enfant le petit Vanitchka né en 1888 qui comble leurs espérances. La mère va porter une extrême attention à son enfant. le père voit cette progéniture comme un don du ciel, c'est un prodige, il est son fils spirituel dont il en rêvait, mais de santé fragile !.. Quoiqu'il en soit, il est là pour raffermir le couple. Les allées et venues sur Moscou sont de plus en plus nombreuses. C'est dans ce contexte chaotique que l'artiste russe hors normes se débat et mène son travail comme il peut, dérangé de partout à cause de sa popularité. C'est alors un géant !

Les études sont assez circonscrites sur le Père Serge en ce sens que c'est une oeuvre posthume qui sera publiée en 1912, époque où l'histoire de la Russie et du monde s'accélère et occupe les esprits. Une poignée de contemporains pondent quelques textes à ce sujet dûment renseignés et élogieux, allant jusqu'à regretter même sa subordination à l'ensemble de l'oeuvre du maître : Marie Sémon l'évoque dans les Femmes dans l'oeuvre de Tolstoï, vue sous l'angle du diablotisme féminin, Sante Graciotti évoque les fuites multiples du protagoniste dans La Fuite du Père Serge avec une fin qui représenterait une parfaite identification avec le Christ ; Michel Niqueux mise sur l'orgueil dans son texte : "Humilie-toi, homme orgueilleux, le Père Serge comme illustration du premier des vices capitaux", et la critique russe dans son ensemble évoque plutôt l'aspect chimérique du monachisme dans cette nouvelle.

Si l'on peut tenter de raconter l'histoire du Père Serge, en voici les points saillants :
Pour Marie Sémon, c'est un pas de plus vers la vérité, sa vérité commencée en gros avec le Prince André, Bezoukhov, Levine .. jusqu'à son lit de mort où il parlera encore de vérité, parcours initiatique donc duquel il serait imprudent d'extraire le Père Serge de l'ensemble , ayant valeur intrinsèque
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Stepane Kassatski est un jeune élève officier promis à un brillant avenir. Il est même nommé officier au régiment aristocratique de la Garde à l'âge de dix-huit ans.
Il éprouve une admiration sans borne pour le tsar Nicolas 1er, qu'il a eu l'honneur de rencontrer à plusieurs reprises.
Il est fiancé à Mary, une délicieuse jeune fille de la meilleure noblesse mais son monde s'écroule lorsque sa fiancée lui apprend qu'elle a été autrefois la maîtresse du tsar.
Alors Kassatski renonce à tout: carrière brillante, mariage avantageux, fréquentation de la meilleure société, pour devenir un simple moine.
Il va apprendre, dans un monastère reculé, le dur apprentissage de la vie de moine, l'obéissance, les longues heures de prières..et devenir le père Serge.
Une occasion lui sera donnée de devenir un "moine mondain" en étant affecté à un monastère proche de la capitale.
Le père Serge va rester peu de temps à cette "affectation" et mener ensuite la vie d'un simple ermite.
Sa quête de pureté et d'absolu est sans frein.
Sa renommée est immense et il acquiert des talents de guérisseur.
Il parvient à déjouer la tentation incarnée par une jeune femme qui s'égare et demande refuge; il se coupe un doigt plutôt que de céder à la tentation..
La jeune femme, elle, deviendra religieuse..
Mais cela ne suffit pas.. Il lui faudra fuir tout, absolument tout, et se retrouver simple vagabond, pour avoir le sentiment de servir Dieu.
C'est un récit profondément mystique et peu connu de Tolstoï.
Le caractère déterminé du personnage ressort tout au long du récit.
En même temps, ses faiblesses et ses doutes le rendent profondément humain et proche de nous.
Cette nouvelle met en relief aussi toutes les interrogations métaphysiques de Tolstoï et son rapport complexe, pour ne pas dire conflictuel, avec les autorités religieuses "officielles".
Une oeuvre forte et dense... qui marque le lecteur.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Le prince Kassatsky était riche, jeune et beau, quant à célèbre, c'était en bon chemin, et fréquentait les milieux les plus en vue de la capitale ; on sait qu'il était ambitieux, son amour-propre était démesuré, mais il se rendit compte que dans le monde huppé des amours en particulier, nouveau pour lui, il ne maîtrisait pas tout, la concurrence était soudainement rude et même s'il bravait toute résistance sur sa route avec brio, l'épreuve était salée : il n'était plus le premier comme il était habitué à l'être, et était bien décidé à le rester. On ne pouvait douter qu'il ne réussît pas. Alors pour atteindre cette couche supérieure de la société et combler ce manque, il prit le pari d'engager une liaison avec une femme du monde ..

Son plan tenait sauf qu'un évènement survint, un de plus qu'il s'apprêtait à surmonter, mais dont il ne soupçonnait nullement l'importance que ça allait revêtir dans sa propre vie :

" Kassatzky fit sa demande en mariage à une jeune fille d'une rare beauté, admise à la cour, la comtesse Korotkova, suffisamment bien placée pour qu'il atteigne le milieu supérieur qu'il convoitait. Il fut agréé. Il était étonné de la facilité avec laquelle il avait obtenu ce bonheur, et aussi de quelque chose de particulier , de bizarre, dans les rapports de la mère et de la fille. Il était très amoureux et aveuglé, ce qui l'empêcha d'apprendre ce que toute la ville connaissait, qu'un an auparavant sa fiancée était la maîtresse de l'empereur Nicolas.."(*)

(*) L'empereur Nicolas était la personne à qui il venait de prêter le serment de le servir de toutes ses forces
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Elle vit son visage blême, sa joue gauche qui tremblait, et soudain elle eut honte. Elle tressaillit, prit sa pelisse et s'en enveloppa.
- Oui, j'avais mal... Je me suis refroidie.. Je
Il leva sur elle ses yeux brillants d'une lueur de joie paisible et dit:
- Pourquuoi, ma soeur, as-tu cherché à perdre ton âme qui est immortelle?
Il faut qu'il y ait des tentations en ce monde, mais malheur à celui qui les fait naître.
Elle l'écoutait en le regardant.
Tout à coup, elle entendit un liquide couler goutte à goutte.
Et elle vit que la soutane de l'ermite se teintait de sang.
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Que mon sort est étrange, extraordinaire! Je ne crois pas qu'il existe, parmi les malheureux persécutés qui souffrent de la violence et du luxe des riches, quelqu'un capable d'éprouver la centième partie de ce que m'inspirent maintenant toute l'injustice, la cruauté, l'horreur de cette violence, de cette moquerie des riches envers les pauvres, toute cette humiliation, toute cette oppression, toute cette misère de l'énorme majorité des hommes appartenant à la classe ouvrière.

Il n'y a pas de coupable
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Cet événement paraissait extraordinaire, inexplicable, pour qui n'en connaissait pas les raisons intimes. Mais pour le prince Stepan Kassatzky tout cela était arrivé si naturellement qu'il ne pouvait même se représenter comment il aurait pu agir autrement.
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L'officier demanda la main de la jeune fille, demande qui fut acceptée.
La rapidité avec laquelle il avait conquis son bonheur le surprit, de même que l'attitude étrange à son égard de la mère et de la jeune fille.
Aveuglé par l'amour, il n'avait pas remarqué ce que toute la ville savait:
qu'un an auparavant, sa fiancée était la maîtresse de Nicolas Pavlovitch. (le tsar Nicolas 1er)
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