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220 pages
Gallimard (30/04/2023)
3.81/5   267 notes
Résumé :
A travers les paysages du Caucase et le régiment de Cosaques auquel il est affecté, un jeune officier,.. Olénine, qui n'est autre que Tolstoï lui-même, découvre la splendeur du monde primitif. «Dieu que notre Russie est triste», soupirait Pouchkine; le Caucase, c'est pour Tolstoï la découverte de la joie, l'oubli de l'accablant sentiment de culpabilité qui est au fond de l'âme russe.
D'admirables évocations de nature. Le pittoresque éclatant des voyages roman... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Dans ce récit, Tolstoï déploie son style franc et incisif plein de beaux adjectifs vigoureux qui vont droit au coeur. Il endosse l'habit d'Olénine, son double littéraire, jeune aristocrate épris d'absolu et aspirant à une vie simple et sauvage qu'il va vivre au contact des Cosaques.

Ces guerriers et leurs familles sont un peuple aux moeurs bourrues : costauds et agiles comme Lucas ; rusés et grandes gueules comme « l'oncle Erochka » ; ils sont riches d'une qualité que tout le monde ne possède pas : ce sont des Cosaques.

C'est aussi pour Olénine la révélation de l'amour lorsqu'il pose les yeux sur Marion, la fille de ses logeurs : sa grâce simple et naturelle, la sauvagerie rétive qui habite ses yeux sombres, son corps svelte et fort l'émeuvent immédiatement comme jamais une femme ne l'a ému.

Les jours passent et se ressemblent, la vie au cordon est rythmée par les tentatives d'incursion des abreks, les chasses d'Olénine et les discussions très arrosées de vodka (doux euphémisme !) ; des liens prudents et farouches se nouent. Malgré cela, les parlers différents rappellent la frontière tacite entre Cosaques et Russes, comme un mur de verre que Tolstoï, grand admirateur de Rousseau, chercha toute sa vie à briser pour se dépouiller enfin des fioritures indignes d'un homme de nature.

Tolstoï peint vivement la beauté rude, impitoyable et noble des Cosaques ; leur tempérament d'ours ; leur attitude austère pleine d'orgueil ; leurs traits communs d'humanité affleurant sous la couche de rudesse. Les belles envolées d'un lyrisme limpide alternent avec un réalisme qui ne manque pas d'espièglerie.

C'est l'histoire déchirante d'une nature fraîchement révélée à elle-même et ambiguë face à une nature indomptable ; de la méconnaissance de soi et de l'incompréhension de l'Autre ; de l'incompatibilité de ce qui semblerait s'accorder.

Quelle belle allégorie que cette histoire ! Marion est de ces beautés féroces qui semblent nées pour entraîner les hommes dans le désespoir. Elle est la femme sauvage, la chimère vénérée de Tolstoï. La vraie richesse, la vraie noblesse sont dans la nature qui porte en elle les secrets inaccessibles et inlassablement convoités de leur pureté.
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Voici un formidable roman littéraire, historique et humain... Tout comme dans « Enfance, Adolescence, Jeunesse », Lev Nikolaïevitch (dit Léon) tolstoï écrit une autobiographie romancée. C'est sa vie qu'il commente en parallèle à son journal intime qu'il tiendra jusqu'à la fin. Quelle écriture ! Limpide, fluide tout comme la vie captée au plus près des personnages qui évoluent ici. Il s'agit d'un texte court de 255 pages possédant bien des attraits dont celui de pouvoir en faire une relecture plus facilement que le célèbre « Anna Karénine » (1 000 pages en folio) ou « Guerre et paix » (2 tomes et plus de 2 000 pages). Un écrit de jeunesse par un homme qui deviendra un monument incontournable de la littérature russe et mondiale. Un destin hors du commun ! Jugez-en ! En 1847, à dix-neuf ans à peine, il décide d'abandonner ses études de droit pour vivre de ses rentes dans le domaine familial dont il est maintenant le propriétaire – il avait deux ans à la mort de sa mère et neuf ans à celle de son père. A vingt-trois ans, pour fuir une vie d'ennui et rechercher l'authenticité d'une vie nouvelle en pleine nature, il accompagne son frère lieutenant au Caucase, avec un statut de demi-civil avant de devenir junker (élève-officier). Il y séjournera trois ans.

Peu de romans atteignent la force absolue que possède ceux de tolstoï. Peu de personnages littéraires me sont restés à ce point en mémoire : peut-être Sophie dans « le choix de Sophie » de William Styron ou bien Ivitch dans « Les chemins de la liberté » de Jean-Paul Sartre, ou encore Rosario dans « le partage des eaux » de Alejo Carpentier.

Ici la plupart des personnages entrent en résonance avec des mythes, des fantasmes qui les rendent universels. D'Olenine – double de l'auteur –, à Marion – dont il a été amoureux, belle caucasienne évoquant Carmen de Prosper Mérimée –, de Lucas l'intrépide cosaque à Erochka – copié sur « une figure locale » selon le Journal de tolstoï, que d'images et de vie (rehaussées encore par les impressions recueillies en Géorgie où j'ai eu l'occasion de séjourner). Les rapports D'Olenine et son ordonnance Jeannot reproduisent la situation de tolstoï et le serf domestique emmené pour le servir au Caucase, assez lettré pour recopier ses brouillons mais qu'il fit renvoyer (cela rappelle Montaigne et son serviteur à qui il fait écrire la première partie de son « Journal de voyage ».)
L'action se déroule sur le fleuve Terek dans le Caucase, au nord de la chaine du Grand Caucase avec ses sommets impressionnants de plus de 5 000 m, entre la mer Noire et la mer Caspienne. tolstoï s'immerge dans la nature, qu'il décrit merveilleusement.

Les personnages sont parfaitement décrits, le talent de l'auteur arrive à restituer et à nous faire vivre des scènes inoubliables : par exemple la scène du départ d'Olenine en traîneau dans la neige, la scène aussi de Lucas tuant un abrek (rebelle au colonisateur russe), la scène de chasse en forêt avec Erochka et Olenine, les scènes entre Olenine et Marion toutes oniriques rejoignant le « ça y est enfin, c'est elle ! » de son premier livre « Enfance, Adolescence, Jeunesse » dont il constitue une suite passionnante.

A travers les personnages et les dialogues, l'auteur exprime ses idées sur la société de son temps, sur la guerre, la religion. Des idées qui vont participer à bien des évolutions futures en Russie.

Léon Tolstoï est né en 1828 (mort en 1910). A la fois prophète et grand artiste, grand propriétaire, comte et opposé au servage – il a voulu affranchir et donner des terres à ses serfs sur sa vaste propriété cinq ans avant l'abolition du servage en 1861–, « poète de sa vie » comme l'avait nommé Stéphan Zweig. Un personnage multiple, d'une grande modernité. Vivant à une époque où la Russie sortait tout juste d'une période très francophile. Il a été influencé par la civilisation occidentale et est à la fois resté très critique vis-à-vis d'elle.

En marge de l'oeuvre, aujourd'hui : C'est un chef d'oeuvre classique qui nous fait voyager dans des contrées lointaines, dans une nature vierge avec une belle histoire d'amour et de l'action. C'est déjà passionnant mais c'est plus que cela ! tolstoï nous donne accès, indirectement bien sûr, à la géopolitique d'une région du monde toujours autant convoitée et instable. le Caucase du nord, appelé Ciscaucasie, a été conquis par la Russie au XIXe siècle après une guerre interminable de 47 ans, entre 1817 et 1864. Il abrite des populations très diverses qui cohabitent ou pas...

La désintégration de l'empire ottoman à la suite de la première guerre mondiale, puis de l'Union Soviétique après la chute du mur de Berlin laisse une région du Caucase exposée à tous les dangers. Malheur aux petits Etats situés au carrefour de la Turquie, de la Russie et du Moyen Orient, avec en voisin l'inquiétant Erdogan – mais il n'est pas seul dans cette volonté de reconquête –, courtisé en plus par l'Europe pour faire tampon avec les mouvements de migration du Moyen orient. Les récentes guerres de Tchétchénie, trouvent des racines dans les génocides et exodes liés à la guerre du Caucase. Et l'histoire se répète avec la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour la possession du Nagorny Karabakh. Les peuples (en premier arméniens, tchétchènes...) de cette multitude de petits Etats du Caucase font les frais de ces guerres incessantes avec génocide et exil massif, souvent pilotées de l'extérieur, dangereuses car risquant de déboucher sur un conflit de plus grande ampleur encore !
Un livre à lire et relire pour toutes ces raisons, sans avoir peur des termes spécifiques, enrichissant le texte, dont on peut facilement trouver la signification dans les précieuses notes. tolstoï utilise une langue composite incluant des termes caucasiens, des expressions françaises, illustrant ainsi parfaitement ce carrefour de civilisations.

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Visitez mon blog clesbibliofeel à l'adresse indiquée ci-dessous afin de compléter cette chronique par des photos, cartes géographiques et compositions personnelles ainsi que des vidéos et musique en lien avec ce récit.

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J'ai entrepris depuis quelques mois de découvrir les auteurs russes dits "classiques" car je n'en avais jamais lus auparavant.
J'ai commencé par une courte nouvelle de Dostoïevski et j'ai été enchantée. Je continue avec Tolstoï, et la magie continue.

Cette langue ! Même traduite, c'est magnifique, alors je me dis qu'en russe, ça doit être juste fabuleux...
Il est rare que j'aime les descriptions à répétition, et c'est pourtant ce que j'ai préféré dans ce livre ! Incroyable tout de même... A dire vrai, la Mongolie, les steppes, les mongols, ça fait partie d'un mythe (de l'histoire, je sais, mais pour moi c'est de l'histoire mythique) qui m'a toujours fascinée, au même titre que l'Egypte ancienne. Donc ce livre tombait à pic, les cosaques étant, dans mon esprit, les héritiers des mongols, et d'après les descriptions de Tolstoï, je ne suis pas très loin de la réalité.
Il n'est pas trop long (il est difficile de trouver du Tolstoï qui ne soit pas "pavesque", et lire un pavé d'un auteur que je ne connais pas, très peu pour moi !), et j'ai pu donc m'y plonger sans hésitation.

Oups, je me rends compte que j'ai hérité la tendance de Tolstoï à faire des phrases interminables, je dois tout réécrire en coupant ! Mdr !

Ma version contient une notice à la fin, sur la vie de Tolstoï et l'épisode qui a donné lieu à ce roman, ses 3 ans de "cosaquerie". Il est très autobiographique donc, et ça se sent, ses personnages sont tangibles, vivants, Erochka étant mon préféré ! Marion, malgré les descriptions enthousiastes de son côté naturel, solide et travailleur, m'a parue très "fille", bien plus que ce à quoi je m'attendais ! Je me doute bien que ça changeait Tolstoï des femmes poudrées qui ne faisaient rien de leurs dix doigts, ce qui l'a séduit, bien sûr, mais quand même, elle fait un brin caractérielle sur la fin du bouquin lol !

Ce livre nous montre un élan très romantique dans la démarche de Tolstoï/Olenine qui part sur un coup de tête, quittant sa vie facile d'aristocrate russe pour devenir "junker" (élève-officier) dans l'armée russe qui appuie les cosaques livrant batailles aux tchétchènes (appelés ici "montagnards ou abrek").

Et Tolstoï est envouté par ces paysages grandioses (déjà que ça fait un moment que j'ai envie d'y aller voir, il n'a pas arrangé les choses pour moi, là, mdr !), qui l'inspirent, le transportent, lui donnent un désir mystique. Il y a pourtant la dureté et la violence du monde cosaque, même si j'ai trouvé que c'était assez édulcoré par Tolstoï, qui, finalement, semble fuir pas mal ce côté "guerre" pour se consacrer à la chasse et à la nature, et ensuite à l'amour, même s'il rêve de "croix de guerre" et de devenir officier (il se sent obligé de participer aux raids, mais pas du tout de gaieté de coeur, contrairement à Lucas, "vrai" cosaque sanguinaire et voleur), la contradiction ne semble pas le déranger, lol...

C'est très humain comme texte, on reste un peu sur un goût d'inachevé quand il part, à la fin, mais c'est ça, la vraie vie, et Tolstoï est assez lucide sur lui-même et sur tout ce qu'il a vécu chez les cosaques. L'herbe paraît toujours plus verte ailleurs, on aimerait "y être né", dans cet ailleurs, mais si on y était né, on ne serait pas qui on est. On n'obtient pas toujours ce qu'on veut, et l'amour ne suffit pas, contrairement à ce qu'il écrit à un moment. Il part en s'en étant rendu compte, en ayant beaucoup grandi...


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Il regardait au loin tandis que ses naseaux expulsaient d'épais nuages qui disparaissaient aussitôt dans l'air givré. C'était l'hiver et je me tenais à quelques mètres de lui, scrutant le moindre de ses mouvements. Il restait immobile, les yeux vissés sur l'horizon. Sa tranquillité me fascinait. À pouvait-il penser ?

Au bout de longues minutes de silence, il enfouissait son nez dans l'une des rares touffes d'herbe qui n'avaient pas succombé au poids de la neige, l'arracha avec délicatesse, releva les yeux vers le lointain et mâcha tranquillement sa pitance hivernale. Sans doute savait-il qu'il était inutile de disperser de l'énergie alors que l'hibernation était proche. Mes pas, que je pensais feutrés, trahirent mon approche. Une branche morte craqua sous mes chaussures et le cheval tourna soudainement la tête.

Il m'examina de ses yeux clairvoyants et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me retrouvais à nu. Mes peurs, mes joies, mes désirs et ma vie avaient été dépouillés par le simple regard de cette bête. Les circonvolutions de l'âme n'avaient plus cours, seul subsistait la conscience de ce moment. le masque était tombé, là, au milieu d'une prairie enneigée. Il disparu en marchant dans un nuage de brume et je compris ce qu'il regardait au loin.

Je me surprend encore des années plus tard à me remémorer ce moment, qui ne dura qu'une poignée de minutes, où un cheval changea la trajectoire de mon existence ! Rien de neuf dans cette anecdote puisque la relation entre l'Homme et le Cheval a toujours été spéciale, et ce n'est pas le livre Les Cosaques de Tolstoï qui démontrera le contraire. Analyse.

Une histoire autobiographique

L'écrivain russe a écrit des dizaines d'ouvrages mais si l'on demandait aux lecteurs francophones quels sont les romans de Tolstoï qu'ils connaissent le mieux, sans doute répondraient-ils Anna Karenine ou Guerre et Paix. Rares sont ceux qui choisiraient Les Cosaques comme livre à mettre au-dessus de la pile. Or ce roman n'est pourtant pas dénué d'intérêt, loin s'en faut.

Il raconte l'histoire d'Olénine, un jeune homme déçu de sa vie dans la capitale moscovite, qui met les voiles pour le Caucase afin de se faire enrôler en tant qu'officier dans un régiment de cosaques. Ce voyage sera pour lui une première expérience, loin de la ville, où la nature est aussi rugueuse que splendide. Cette expédition vers l'inconnu lui fera découvrir la culture cosaque, la guerre mais aussi l'amour. Les voyages forment la jeunesse disaient-ils 😉.

Ce court roman, publié en 1863, est, en fait, une autobiographie. Les aventures d'Olénine sont celles du jeune Tolstoï lors de son passage dans le Caucase. On y retrouve déjà les questionnements classiques de l'auteur russe sur le bonheur et sa quête pour une vie simple, loin des frasques mondaines

« Vous croyez connaître la vie, savoir où est le bonheur ! Or, vous ignorez totalement la façon de vivre simplement et suivant la nature. Vous ne pouvez imaginer les merveilles qui s'offrent chaque jour à mes yeux : des neiges éternelles et vierges, des forêts touffues, une femme pure, dans la floraison de sa beauté primitive […] J'éprouve un véritable malaise dès que je revois vos salons, ces femmes aux cheveux pommadés, piqués de boucles fausses, ces bouches ignorantes des propos naturels, ces bras graciles, ces jambes lourdes, ces inconsistantes cervelles qui ne savent discerner le bavardage mondain d'une vraie conversation.»

Quand Tolstoï rédige Les Cosaques, il a déjà publié quelques écrits mais ses chefs-d'oeuvre sont toujours en gestation. Ce roman est l'occasion de découvrir le style déjà bien affirmé de l'auteur russe. Les descriptions typiquement tolstoïennes sont déjà présentes et empreintes d'un réalisme qui sera la marque de fabrique de Tolstoï. Dans ce livre de 267 pages, le maître russe dévoile déjà son amour pour la campagne et laisse apparaître ce qu'il a réellement vécu dans le Caucase puisqu'il y passa quatre années en tant que sous-officier de l'artillerie russe. Comme le héros de son roman, le jeune Tolstoï vivra là-bas des aventures et une certaine gloire qu'espéraient tant de jeunes de son âge. le Caucase était, à cette époque, le lieu idéal des exploits héroïques. Et ce n'est pas Lermontov ni Pouchkine qui auraient démenti, eux qui ont tant écrit sur cela ! 😉

Qui étaient les cosaques ?

Voilà une question qui mérite d'être abordée puisqu'il s'agit de l'un des thèmes centraux du roman. L'image clichée la plus connue du cosaque veut qu'ils soit coiffé d'un bonnet et qu'il parcoure, en groupe, les steppes au fil des différentes époques de manière assez nomade. Ainsi, l'histoire de la cosaquerie ne date pas d'hier puisqu'il faut remonter au XIVème siècle afin de retrouver leur origine du côté des actuels territoires de l'Ukraine et de la Russie.

Quand on emploie le terme de cosaque, il s'agit d'un mot générique puisqu'il existait plusieurs communautés différentes. Parmi les plus connues on retrouve les cosaques zaporogues (comme dans le Tarass Boulba de Gogol !), les cosaques du Don ou encore ceux du Terek.
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Pris au hasard dans la bibliothèque qui me vient de mes parents. C'est mon premier Tolstoï et, un peu frileuse, je l'ai choisi parce qu'il ne comportait que 216 pages. Oui, je sais, c'est lâche.
Dans l'ensemble, j'ai aimé ce roman mais j'ai été un peu déconcertée par le style d'écriture de l'auteur, pas toujours très clair dans sa narration. Ainsi, à maintes reprises, je me suis fait la remarque qu'une action se préparant arrivait subitement à sa conclusion sans que l'on sache vraiment comment elle s'était déroulée. On a l'avant, l'après, mais le pendant est laissé à notre supposition.
Dommage car l'histoire en elle-même est vraiment intéressante mais cette absence de clarté, de précision, m'a empêchée d'être complètement accrochée. A moins que cela ne vienne d'un manque de concentration de ma part, ce n'est pas exclu...
Impression générale un peu tiède, donc. Comme ma critique, je l'admets.
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Citations et extraits (48) Voir plus Ajouter une citation
Après la soirée à laquelle je lui avais parlé pour la première fois, nos relations changèrent. Jusque-là elle était pour moi un objet étranger, mais grandiose, de la nature extérieure ; après, elle fut moi une personne. Je la rencontrais, je lui parlais, j'allais trouver parfois son père au travail, je passa des soirs entiers chez eux. Dans cette intimité elle n'en resta pas moins à mes yeux toujours aussi pure, inaccessible et majestueuse. toujours et à tout avec le meme calme, la même fierté, la même indifférence joyeuse. Parfois elle était aimable, mais le plus souvent chacun de ses regards, chacune de ses paroles, chacun de ses mouvements reflétait cette indifférence, non pas méprisante, mais écrasante et charmeuse. Chaque jour, avec un sourire voulu sur les lèvres, je tachais de jouer un rôle et avec au cœur le tourment de la passion et du désir je plaisantais avec elle. Elle voyait que c'était une feinte, mais elle portait sur moi des regards droits, gais et simples. Cette situation me devint intolérable. Je voulais cesser de lui mentir, je voulais lui dire tout ce que je pensais et sentais. J'étais particulièrement irrité ; cela se passait dans les vignes. Je me mis à lui parler de mon amour en des termes dont le souvenir seul me fait honte. Honte, parce que je ne devais pas oser lui dire cela, parce qu'elle était immensément au dessus des mots et du sentiment que je voulais ainsi exprimer. Je me tus, et de ce jour ma situation fut intolérable. Je n'ai pas voulu m'abaisser en conservant nos anciennes relations badines, et j'ai senti que je n'étais pas arrivé à une attitude droite et simple envers elle. Je me demandais avec désespoir : que dois-je faire ? Dans mes rêves insensés je me la figurais tantôt mon amante, tantôt ma femme, et je repoussais avec dégoût et l'une l'autre pensée. En faire une fille aurait été horrible. Ç'aurait été un meurtre. En faire une dame, la femme de Dmitri Andréevitch Olenine, comme une Cosaque d'ici qu'a épousée un de nos officiers, aurait été pis encore. Si encore moi, j'avais pu devenir Cosaque, une espèce de Lucas, voler des chevaux, me saouler de tchikhir et de chansons, tuer des hommes et, ivre, me couler chez elle par la fenêtre pour la nuit, en oubliant qui je suis et pourquoi j'existe, alors c'eût été une autre affaire, alors nous aurions pu nous comprendre, et j'aurais pu être heureux. J'ai essayé de me livrer à cette vie, et j'ai senti encore mieux ma faiblesse, mon inconsistance. Je n'ai pas pu m'oublier moi-même, ni oublier mon passé compliqué, discordant, monstrueux. Et mon avenir, je me le figure encore plus désespéré. Chaque jour j'ai devant moi les lointaines montagnes neigeuses et cette femme majestueuse, heureuse. Et l'unique bonheur possible sur cette terre n'est pas pour moi, cette femme n'est pas pour moi ! Le plus terrible et le plus doux dans mon état, c'est que je sens que je la comprends, tandis qu'elle ne me comprendra jamais. Non pas qu' elle soit au-dessous de moi, au contraire, elle ne doit pas me comprendre. Elle est heureuse ; elle est, comme la nature, égale, calme et toute à soi. Tandis que moi, faible créature mutilée, je veux qu'elle comprenne ma monstruosité et mes tourments. J'ai passé des nuits blanches à me promener sans but sous ses fenêtres, sans me rendre compte de ce qui se passait en moi.
Le 18, notre compagnie est partie pour un raid. J'ai été trois jours hors du village. J'étais triste et indifférent. Au détachement, les chansons, les cartes, les beuveries, les bruits d'avancement m'étaient plus odieux que d'habitude. Me voici maintenant rentré à la maison, j'ai retrouvé et elle, et ma maisonnette, et l'oncle Erochka, et les montagnes neigeuses contemplées de mon petit perron, et un sentiment nouveau de joie m'a si puissamment envahi que j'ai tout compris. J'aime cette femme d'un véritable amour, pour la première et unique fois de ma vie. Je sais ce qui m'arrive. Je ne crains pas de m'abaisser par ce sentiment, je n'ai pas honte de mon amour, j'en suis fier... Ce n'est pas ma faute, si je suis tombé amoureux. C'est arrivé contre ma volonté. J'ai fui mon amour dans le renoncement, je me suis forgé une joie dans l'amour du Cosaque Lucas pour Marion, et je n'ai fait qu'irriter mon amour à moi et ma jalousie. Ce n'est pas l'amour idéal, le prétendu amour élevé que j'éprouvais auparavant ; ce n'est pas cet attrait par lequel on se complaît à regarder son amour, on sent en soi la source de son sentiment et on fait tout soi-même. Cela aussi, je l'ai éprouvé. C'est encore moins un désir de jouissance. C'est quelque chose d'autre. Peut-être que j'aime en elle la nature, la personnification de toute la beauté de la nature ; mais je n'ai pas ma liberté : à travers moi, ce qui l'aime, c'est une force élémentaire, tout l'univers du bon Dieu ; toute la nature insuffle cet amour dans mon âme et me dit : Aime ! Je l'aime non point par le cerveau, ni par l'imagination, mais de tout mon être. En l'aimant, je me sens une partie indivisible de tout l'heureux univers du bon Dieu.
J'ai écrit déjà les convictions nouvelles que j'ai retirées de mon existence solitaire ; mais nul ne peut savoir à quel prix elles se sont formées en moi, avec quelle joie j'en ai pris conscience et j'ai vu la voie nouvelle ouverte à ma vie. Je n'avais rien de plus cher que ces convictions... Eh bien... l'amour est venu, et les voilà mortes, mortes, sans regret ! Il m'est même difficile de comprendre que j'aie pu chérir un état d'esprit si unilatéral, si froid, si intellectuel. La beauté est venue, et elle a dispersé aux quatre vents tout ce dur labeur intérieur. Et nul regret de ce qui a ainsi disparu ! Le renoncement, c'est une sottise, une bizarrerie. C'est encore de l'orgueil, un refuge contre le malheur mérité, un moyen de salut contre l'envie du bonheur d'autrui. Vivre pour les autres, faire le bien ! À quoi bon, quand mon âme est possédée du seul amour de moi et du seul désir de l'aimer et de vivre avec elle, de sa vie ? Ce n'est pas pour les autres, ce n'est pas pas pour Lucas que je souhaite aujourd'hui le bonheur. Maintenant je ne les aime pas, ces autres. Autrefois je me serais dit : c'est mal. Je me serais tourmenté de questions : qu'adviendra-t-il d'elle, de moi, de Lucas ? Maintenant tout m'est égal. Je ne vis pas par moi-même ; il y a quelque chose de plus fort que moi qui me conduit. Je souffre, mais autrefois j'étais mort, et maintenant seulement je vis. Je vais tout de suite aller les trouver et je lui dirai tout. » (2/2)
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Quelques citations/extraits du roman Les Cosaques (1969) de Léon Tolstoï (Édition Folio, 1976) traduit du russe par Pierre Pascal :

• « Il semblait à Olenine que seuls ceux qui partaient passaient par ces rues-là. Tout autour, c’était l’obscurité, le silence, l’ennui, et son âme était pleine de souvenirs, d’amour, de regrets et de larmes agréables, qui l’étouffaient… » (Olenine avant de partir de Moscou) p. 22.

• « Il se demandait à quoi dépenser toute cette énergie de la jeunesse que l’homme ne possède qu’une dans sa vie : l’art, la science, l’amour, ou bien l’activité pratique ? Non pas l’énergie de l’esprit, du cœur, de l’instruction, mais cet élan qui ne se répète plus, ce pouvoir une fois donné à l’homme de faire de sa personne tout ce qu’il veut, comme il le veut, et du monde entier tout ce qui lui plaît. Il est, il est vrai, des gens privés de cet élan, qui, aussitôt endossent le premier harnais venu et loyalement travaillent dessous jusqu’à la fin de leurs jours. Mais Olenine sentait trop fort fortement en soi la présence de ce Dieu tout-puissant de la jeunesse, cette faculté de se métamorphoser en un seul désir, en une seule pensée, de vouloir et de faire, de se jeter tête baissée dans un abîme sans fond sans savoir pour qui ni pour quoi. » p. 25.

• « Il considérait encore les montagnes et le ciel, et à tous ses souvenirs ou rêves se mêlait le sentiment austère d’une nature majestueuse. Sa vie avait commencé autrement qu’il ne s’y attendait en quittant Moscou, mais avec un bonheur inespéré. Les montagnes, les montagnes et toujours les montagnes inspiraient tout ce qu’il pensait et sentait. » p. 86.

• « Donc, chacun a sa loi. Selon moi, toutes se valent. Tout a été créé par Dieu pour le plaisir de l’homme. Il n’y a nulle part part de péché. Prenez exemple sur les bêtes. Elles vivent dans les roseaux tatars, et aussi dans les nôtres. Où elles se trouvent, là est leur maison. Ce que Dieu donne, elles l’avalent. Tandis que les nôtres prétendent que pour cela nous aurons à lécher les poêles. Moi, je pense que tout ça c’est du faux, […] » (Erochka à Olenine) p. 107

• « La puissance de la végétation de ce bois que n’avait jamais foulé le bétail frappait à chaque pas Olenine. Il n’avait encore rien vu de semblable. La forêt, le danger, ce vieillard avec son chuchotement mystérieux, Marion avec sa statue virile et bien proportionnée, et les montagnes, tout cela lui semblait un songe. » p. 140.

• « Chose bizarre, sur les midi, cette sensation lui fut même agréable. Il lui sembla même que, sans cette atmosphère de moustiques qui l’environnait de toutes parts, sans cette pâte de moustiques que sa main écrasait sur son visage en sueur, et sans cette irritante démangeaison sur tout le corps, ce bois perdrait de son caractère et de son charme. Ces myriades d’insectes allaient si bien à cette végétation sauvage, riche jusqu’à la monstruosité, à cet infini de bêtes et d’oiseaux emplissant le bois, à cette verdure sombre, à cet air chaud, capiteux, à ces petits fossés d’eau boueuse qui partout percent du Terek et chantonnent sous les feuillages pendants, qu’il trouva du plaisir à cela même qui, un moment avant, lui semblait effroyable et intolérable. » p. 146.

• « Le bonheur, le voici, se dit-il à lui-même, le bonheur consiste à vivre pour les autres. C’est clair. L’homme a reçu un appétit de bonheur ; donc cet appétit est légitime. En le satisfaisant égoïstement, c’est-à-dire en recherchant pour soi richesse, gloire et commodités de l’existence, amour, il peut se faire que les circonstances ne nous permettent pas de satisfaire nos désirs. Ainsi, sont ces désirs qui sont illégitimes, et non l’appétit de bonheur. Alors, quels sont les désirs qui peuvent toujours être satisfaits, en dépit des conditions extérieures ? Lesquels ? La charité, le renoncement ! » p. 149.

• « La végétation devenait plus pauvre ; de plus en plus souvent se rencontraient les roseaux bruissants et les clairières de sable, nues, creusées par les traces des bêtes. Au grondement du vent se joignit un autre grondement, monotone et triste. D’une façon générale, son âme s’assombrissait. Il tâta derrière lui les faisans et trouva qu’il en manquait un. Il s’était détaché et était tombé : seul le cou et la tête ensanglantés pendaient à sa ceinture. Il eut plus peur que jamais. Il se mit à prier. Il craignait seulement de mourir sans avoir rien fait de bien, de bon : et pourtant il voulait tellement vivre, vivre pour accomplir un exploit de dévouement ! » p. 150.

• « Cet homme en a tué un autre, et il est heureux, content, comme s’il avait accompli la plus belle action du monde ! Est-ce que rien ne lui dit qu’il n’y a pas là de quoi tant se réjouir, que le bonheur ne consiste pas à tuer, mais à se sacrifier ? » p. 156. (Olenine sur Lucas après que ce dernier ait tué un abrek)

• « Sottises, tout ce que je croyais avant : amour et dévouement, et Lucas. Il n’y a qu’un bonheur : celui qui est heureux, celui-là a raison » (Olenine) p. 184.

• « Pas de capes de feutre, pas de précipices, pas d’Amalat-Bek, de héros ni de scélérats, pensait-il. Les hommes vivent comme vit la nature : meurent, naissent, s’unissent, naissent de nouveau, se battent, boivent, mangent, se réjouissent et de nouveau meurent, sans autres conditions que celles que la nature immuable a imposées au soleil, à l’herbe, aux bêtes et aux arbres. Ils n’ont pas d’autre loi… » (Olenine sur les Cosaques) p. 189.

• « Comme vous me paraissez tous ignobles et pitoyables ! Vous ignorez ce qu’est le bonheur et ce qu’est la vie ! Il faut avoir une fois éprouvé la vie dans toute sa beauté sauvage. Il faut voir et comprendre ce que, chaque jour, je vois devant moi : les neiges éternelles et inaccessibles des montagnes et une femme majestueuse dans cette beauté primitive qui dut être celle de la première femme au sortir des mains de son Créateur. Et alors vous saurez quel est celui qui se perd et celui qui vit dans le vrai ou dans le mensonge, si c’est vous ou moi. […] Comprenez une chose, ou bien croyez-la. Il faut voir et comprendre ce que sont la vérité et la beauté, et vous verrez tomber en poussière tout ce que vous dites et pensez, tous vos vœux de bonheur et pour vous et pour moi. Le bonheur, c’est d’être avec la nature, de la voir, de causer avec elle. » (Lettre d’Olenine sur le dégoût qu’il a de la noblesse moscovite) p. 222.

• « Je n’ai pas pu m’oublier moi-même, ni oublier mon passé compliqué, discordant, monstrueux. Et mon avenir, je me le figure encore plus désespéré. Chaque jour j’ai devant moi les lointaines montagnes neigeuses et cette femme majestueuse, heureuse. Et l’unique bonheur possible sur cette terre n’est pas pour moi, cette femme n’est pas pour moi ! Le plus terrible et le plus doux dans mon état, c’est que je sens que je la comprends, tandis qu’elle ne me comprendra jamais. Non pas qu’elle soit au-dessous de moi, au contraire, elle ne doit pas comprendre. Elle est heureuse, elle, comme la nature, égale, calme et toute à soi. Tandis que moi, faible créature mutilée, je veux qu’elle comprenne ma monstruosité et mes tourments. J’ai passé des nuits blanches à me promener sans but sous ses fenêtres, sans me rendre compte de ce qui se passait en moi. » (Lettre d’Olenine à propos de Marion) p. 225.

• « Un pareil amour n’a pas besoin de mots, il a besoin de la vie, de toute la vie. » (Olenine sur Marion à qui il veut demander de l’épouser) p. 259.

• « Est-ce ainsi qu’on se sépare ! Idiot ! Ah ! Voilà les gens de maintenant ! On a fait bon ménage toute une année, et puis : adieu ! Et le voilà loin. Mais moi je t’aime, j’ai pitié de toi ! Tu es si malheureux, toujours seul, toujours seul. Tu es mal aimée, on dirait ! Des fois je ne dors pas, je songe à toi, et j’ai pitié. Comme on dit dans la chanson : Il n’est pas commode, non, frère, De vivre en pays étranger. C’est comme ça pour toi. » (Erochka à Olenine avant son départ) p. 277.

• « Olenine se retourna. L’oncle Erochka était en conversation avec Marion, sans doute au sujet de leurs affaires. Ni le vieillard, ni la jeune fille ne le regardaient. » (Fin) p. 278.
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Olénine escalada le perron et poussa la porte du vestibule. Marion, en chemise rose comme en portent habituellement les femmes cosaques à la maison, fit un bond effrayé et, collée contre le mur, se couvrit le bas du visage avec la large manche de sa chemise tatare. Olénine, ouvrant davantage la porte, vit dans la pénombre toute la haute et droite silhouette de la jeune fille. Avec la curiosité rapide et avide de la jeunesse, il remarqua malgré lui les formes vigoureuses et virginales qui se dessinaient sous la fine toile, ainsi que les beaux yeux noirs fixés sur lui avec un effroi enfantin et une sauvage curiosité.
Page 77

Qu'ai-je à dire, rien sinon admirer, relire ce beau texte de la rencontre entre Olénine l'officier russe et Marion la cosaque. Long à venir comme si Tolstoï voulait faire durer le moment qui précède la rencontre qui bien sûr après une si longue attente devient d'une torride sensualité. Tolstoï fera le même coup après avec Anna Karénine et Vronski, à peu près au même nombre de pages du livre, bien sûr dans un autre contexte. Il est difficile d'imaginer comment Tolstoï n'aurait pas vécu ces moments-là avec une cosaque ou une princesse ..
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Mon ami Afadeau est passé par là et je l'en remercie. C'est de lui dont je parlais avantageusement dans ma première partie qui a fait un beau billet sur les Cosaques la semaine passée.

Donc je poursuis ma rubrique.
Boris de Schloezer, brillant traducteur qui a aussi traduit Dostoïesvki ajoute ceci dans sa préface : "Tolstoï saisit leur vérité profonde de ce regard aigu, compréhensif, impitoyable aussi parfois, qu'il n'a jamais cessé de porter sur les êtres et les choses tant que son moralisme n'a pas obscurci sa vision. Or la doctrine tolstoïenne ne tient aucune place dans Les Cosaques, l'oeuvre la plus audacieuse de Tolstoï, celle où s'exprime avec le plus de violence sa nature charnelle, où surgit en pleine lumière le visage pour ainsi dire païen de sa personnalité complexe. Car Tolstoï ce n'est pas seulement Olenine que tourmente la conscience de sa culpabilité, c'est encore et surtout Erochka, l'homme des bois, le vieux faune, qui, pareil aux cerfs, aux sangliers, n'obéit qu'à ses instincts. Les Cosaques ne sont nullement les "bons sauvages" de Rousseau ; ils sont heureux parce que, libres, ils vivent selon la nature qui, elle, ignore le bien et le mal. Et si Olénine qui envie leur bonheur ne peut l'atteindre, c'est qu'il est incapable de chanter comme Louka, de voler, d'aimer, de tuer, sans se poser aucune question, c'est qu'il a goûté des fruits de l'arbre de la science."
BdeS
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Il trouva les traces du cerf, pénétra dans le fourré, sous les broussailles où l'animal s'était blotti, et se coucha dans son gîte. Il promena ses regards sur la sombre verdure qui l'entourait, sur le creux où se voyaient les traces de l'animal, l'empreinte de ses pattes, un morceau de terre noire retournée, et la trace de ses propres pas. Il se sentit à l'aise, au frais ; il ne pensait à rien, ne désirait rien. Il fut saisi tout à coup d'une ineffable sensation de bonheur, d'un indicible amour pour toute la création; et, cédant, à une habitude d'enfance, il fit le signe de croix et murmura une prière... Une idée subite vint clairement à l'esprit d'Olénine ; il se dit : "Moi, Dimitri Olénine, être privilégié entre tous, me voilà couché seul, Dieu sait où, là où vivait un vieux cerf, un cerf superbe, qui n'a jamais vu d'homme, et dans un creux où jamais personne n'a pénétré, auquel jamais personne n'a songé. Je suis assis, entouré d'arbres jeunes et vieux : l'un deux est garni de vigne sauvage ; les faisans voltigent autour de moi, se pourchassent, sentant peut-être que je viens de tuer leurs frères." Il palpa ses faisans, les examina et essuya sa main ensanglantée aux pans de de sa tcherkeska. "Les chacals mécontents flairent le sang et vont rôder ailleurs ; les moucherons bourdonnent follement au-dessus de ma tête et parmi les feuilles, qui probablement leur paraissent des îles gigantesques ; il y a un , deux, trois, quatre, cent, mille, des milliards, qui tous ont leur raison d'être et de bourdonner, et chacun d'eux est un moi distinct, un être à part, comme moi, Dimitri Olénine." Il crut distinguer clairement ce que pensaient et disaient les moucherons dans leur susurrement continuel : "Ici, mes amis, ici ! en voilà un qu'on peut assiéger, dévorer !" Et il comprit clairement qu'il n'était nullement un gentilhomme russe, membre de la société moscovite, ami et parent de tel ou tel, mais simplement un être vivant, un cerf, un faisan, un insecte comme ceux qui tournoyaient autour de lui.
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