Lettres à sa femmeLéon Tolstoï (1828-1910)
Un florilège de lettres de tolstoï écrites à sa femme Sonia. Faut-il ajouter que des lettres furent écrites et n'ont jamais été expédiées, conservées par chance, retenues par devers l'écrivain à cause de l'imprécision de leur message, à cause d'une mauvaise temporalité ou que sais-je encore ! Dès qu'il était séparé de sa femme, lors de ses séjours à Moscou, ou inversement Sonia à Moscou et lui à Iasnaïa Poliana, à Samara dans son domaine, il écrivait à sa femme .. sa sensibilité était vive, il épanchait manifestement son coeur dès qu'il se sentait seul, mais sans plainte, sans exigence - sauf celle de sa plume éthérée, avec humilité : du grand sentiment en quelque sorte à sa bien-aimée avec une sensualité et une poésie sous-jacentes, parfois même comme le jeune tolstoï qu'il fut lors de leurs premières rencontres. C'est touchant ! Il semble qu'il y avait un temps pour tout dans sa mécanique mentale et que de ces moments de séparation déclinaient son sentiment qu'il contenait généralement par une forme d'impudeur, sentiment qu'il prêtait tant à d'autres dans son oeuvre littéraire.
A l'attention de ceux qui glosent sur les différends entre
Léon Tolstoï et Sonia qui ont jalonné épisodiquement leur vie de couple dont on a pu mesurer les temps forts dans les années 1880. Combien de fois n'ai-je pas lu des chroniques ou articles intitulés : le couple tolstoï s'entredéchire, l'embrasement du couple plutôt que les embrassades !.. Tout le monde s'intéressait à ce couple célèbre : un effet loupe fut inévitable. Et si on regardait avec intrusion ainsi dans la vie de chaque couple, on fermerait vite la page sur un chapelet d'horreurs, de trivialités et de faussetés . Ce ne serait pas volé au regard de ces pourfendeurs !
On a beaucoup épilogué sur le mariage et le "drame familial" de tolstoï. Voici le jugement que lui-même porte sur sa compagne, cinq mois avant sa mort .
Cest tout de même bizarre que les contempteurs n'ont pas cherché une seconde à savoir ce qu'il pensait de tout ça
Léon Tolstoï, le premier concerné. Non il faut mourir avec une couche de guano sur la mémoire qui s'épaissit au fil des ans . Voici ce qu'en disait à bon escient le biographe russe
Victor Chklovski à ce propos et puis la lettre citée après :
"Il ne faut pas accorder trop de crédit aux notes des journaux car la comtesse Sophie, et aussi Léon sans doute les portaient surtout lorsqu'ils s'étaient disputés et qu'ils souffraient.
De manière générale il faut utiliser les souvenirs et les journaux intimes avec la plus grande circonspection si l'on désire connaître la vérité, et non point donner la solution de disputes auxquelles la mort a depuis longtemps mis un point final..."
" Si tu crains que certains passages de mon journal , écrits sous le coup de mes différends et de mes heurts (*), puissent être utilisés plus tard par des biographes malveillants à ton égard, .. si c'est cela que tu crains, je suis heureux de saisir l'occasion de définir mon attitude envers toi et mon jugement sur ta vie. La voici. de même que je t'ai aimée depuis ma jeunesse, de même je n'ai jamais cessé de t'aimer .. Quand à ta vie, voici comment je la juge. J'étais, quand je t'ai épousée, un homme débauché, foncièrement dépravé au point de vue sexuel, je n'étais plus de la première jeunesse ; toi tu étais une jeune fille de dix-huit ans, pure, bonne et intelligente. En dépit de mon passé de vice et de corruption, tu as vécu près de cinquante ans avec moi, en m'aimant et en menant à mes côtés une dure existence de labeur, donnant naissance à nos enfants, les nourrissant, les élevant et nous soignant tous, sans céder aux tentations qui auraient pu si aisément séduire une femme dans ta situation, robuste, saine et belle. Tu as vécu sans que je puisse t'adresser le moindre reproche. Je ne puis, en effet, te faire grief de ne pas m'avoir suivi dans mon évolution spirituelle si particulière, car la vie spirituelle d'un individu est un mystère entre cet individu et Dieu, et il n'a pas de comptes à rendre à autrui. Si je t'en ai jamais demandé, j'ai commis une erreur et je m'en repens ". (14 juillet 1910)
'*)
Léon Tolstoï donne le sentiment ici d'être en butte avec lui-même, que naturellement cela a des répercussions sur son couple, mais que Sonia n'en est ni la cause ni la cible