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Résurrection est peut-être le plus dostoïevskien des romans de Tolstoï : il y est question de Crime et de Châtiment, de pauvres Gens, de Souvenirs de la Maison des Morts (la déportation et le bagne de Sibérie), d'un Idiot (à tout le moins un prince que les gens de son milieu jugent tel) et d'un savoureux mélange politico-religieux qui n'a rien à envier aux Possédés.

Pourtant, c'est assurément le plus personnel des romans tolstoïens : le héros, Nekhlioudov, est tellement imprégné, nourri, imbibé du véritable Tolstoï que c'en est touchant, troublant même. Est-ce une fiction ? Est-ce une autobiographie ? Un roman ? Un essai politique ? Je crois bien qu'on y est constamment sur la ligne de partage des eaux.

Résurrection ne jouit pas d'une aussi grande réputation qu'Anna Karénine ou que La Guerre et la Paix. Est-ce à dire qu'il est moins bon ? C'est toujours très difficile de se positionner là-dessus. En ce qui me concerne, je crois qu'effectivement, cette réputation moindre est justifiée, en revanche, l'écart de réputation entre cet ouvrage et les susnommés, lui, ne me semble pas justifié. Car il ne s'en faut tout de même pas de beaucoup pour que Résurrection aille tenir la dragée haute à Anna Karénine.

C'est surtout la troisième partie, qui, d'après moi, a le ventre un peu trop mou. Tolstoï, qui courait si vite, qui courait si bien dans les deux premières parties, a absolument tenu à franchir un terrain difficile, particulièrement meuble (donc très risqué d'un point de vue romanesque) et ses pieds se sont malheureusement un peu englués dans la vase qui colle.

Il a quitté ce qui fait la moelle et les artères d'un écrit romanesque pour basculer franchement dans l'écrit engagé politique et sociétal. À sa façon, ce roman se rapproche d'un livre à la 1984 de George Orwell. On sent bien, on sent trop que le destin, la relation de Maslova avec Nekhlioudov n'intéresse pas vraiment l'auteur. Ce n'est qu'un prétexte à tenir son propos engagé contre les institutions que sont les tribunaux et les prisons, contre cette organisation sociale inégalitaire et injuste, qui place l'aristocratie terrienne au pinacle et ceux qui font effectivement le travail, au quatrième sous-sol, malheureux comme les pierres.

Je partage son propos mais, en tant que lectrice, mes appétits romanesques sont un petit peu déçus par cette fin qui ne s'appelle pas une fin mais plutôt botter en touche. Qu'on s'appelle Tolstoï ou non, le roman ne peut pas être qu'un prétexte à l'essai politique ou philosophique, ou alors mieux vaut choisir une autre forme que le roman. C'est ce qui pénalise, d'après moi, Clarisse Harlove de Richardson, c'est ce qui me déçoit un peu dans 1984 et tous les romans de ce genre : le roman doit avoir une fin romanesque. L'émotion suscitée ne peut pas être bonne à tout faire et surtout n'être bonne qu'à porter une réflexion : émotion et réflexion sont comme l'huile et l'eau. L'ossature du roman, ce sont les personnages, si l'on se désintéresse à la fin des personnages, alors, mécaniquement, on se désintéresse un peu du roman également.

Dans le dernier tiers de Résurrection, après avoir fait tant monter sa mayonnaise, Tolstoï ne nous fait presque plus percevoir ce que ressent Maslova. Or, c'est elle et sa relation avec Nekhlioudov qui nous intéresse, nous les lecteurs du roman. Les lecteurs de l'essai dans le roman, c'est autre chose, cela reste intéressant, bien qu'en ce qui me concerne, il prêchait une convaincue. Non, on aurait voulu autre chose entre elle et lui, quelque chose qui nous eût fait fondre en larmes ou empli d'allégresse, quelque chose qui nous eût fait croire que décidément, la vie est mal faite, injuste ou belle, que ces deux-là sont passés à un cheveu du bonheur, ou d'un malheur bien pire, que sais-je ? mais quelque chose en tout cas, qui vienne clore notre investissement émotionnel. C'est comme d'allumer des bougies sur un gâteau sans avoir la joie des les souffler, c'est frustrant.

Et cette émotion ? Et cette histoire ? Quelle est-elle ? Nekhlioudov, aristocrate oisif, prince russe de vieux lignage (exactement comme l'était Tolstoï) qui après avoir fréquenté les armées du tsar s'essaie à l'art en amateur en regardant grossir son ventre d'année en année. Il est plus ou moins promis à un mariage avec la belle mais très superficielle Missy, fille des très opulents, très influents Kortchaguine. Il hésite, sentant vaguement que cette alliance sera pour lui comme une corde au cou.

Un petit événement va venir gripper quelque peu cette belle mécanique, bien huilée des convenances et du mode de vie de l'aristocratie pour Dimitri Ivanovitch Nekhlioudov. En effet, celui-ci va être désigné juré dans une affaire d'empoisonnement impliquant un marchand, une prostituée et des hôteliers. Nekhlioudov souhaite faire de son mieux, mais, pour dire le vrai, cette histoire ne l'intéresse pas plus que ça, jusqu'au moment où…

… il s'aperçoit que la prostituée en question est une vieille connaissance à lui. Il l'a connue des années auparavant. Il la savait orpheline et recueillie par ses tantes. Il sait, il se souvient, même si c'était dans une autre vie, qu'il l'a trouvée jolie, qu'il l'a désirée, qu'il l'a aimée, même. Il se souvient encore qu'il l'a séduite, qu'il a obtenu d'elle ce que les hommes aiment obtenir des femmes et qu'il l'a ensuite laissée tomber comme une vieille chaussette qui pue. Pourtant, au fond de lui, il l'aimait. Et elle, elle l'adorait, elle se serait tuée pour lui…

Lui était reparti dans son régiment… Elle… Elle était enceinte. Et une jeune femme enceinte, en dehors des liens sacrés du mariage, dans une famille aristocratique et très respectable, ça ne se peut pas, si bien que la jeune femme fut chassée quand la « faute » fut devenue manifeste. Elle alla par les chemins, chercha à se faire employer à droite à gauche mais, décidément, victime de sa trop grande beauté, les hommes ne souhaitaient l'employer que comme Nekhlioudov l'avait fait.

De déconvenues en déceptions, de déceptions en dépravations, Catherine, Katioucha comme on l'appelait chez les tantes, devient peu à peu Maslova, la prostituée affriolante qu'on s'offre pour trente roubles dans une maison prévue à cet effet. Quel choc pour Nekhlioudov ! Cette jeune fille, cette Katioucha, qu'il avait connue si pure (le prénom Catherine évoque, d'ailleurs, étymologiquement, cette pureté), si belle, si réservée, si morale, cette Katioucha qui est devenu cette Maslova, qui a ce regard hardi, qui tient si fièrement sa grosse poitrine en avant et qui sourit aux hommes d'un air de dire : « Veux-tu monter, beau gosse ? »

Que se passe-t-il dans le coeur d'un homme quand il assiste à cela ? Que se passe-t-il dans le coeur d'un homme qui a fait tomber une jeune fille irréprochable le jour de Pâques, le jour de la résurrection du Christ ? Que se passe-t-il lorsqu'un homme, un artiste, qui se croit juste et raffiné est mis en face de son « oeuvre », est mis en face de son animalité, de son inconséquence, de son immoralité, mis en face de ses responsabilités vis-à-vis de la société ?

Mais que peut un homme ? Même un Nekhlioudov, même un prince de sang face à un système qui a mis en place toutes sortes de garde-fous pour se préserver lui-même, pour se légitimer ? La justice, les tribunaux, les prisons, des fonctionnaires, des ministres, des forces de l'ordre… Quelle justice ? Forces de quel ordre ? Ce monde inique où celui qui s'use au travail à tout juste de quoi se nourrir et se vêtir tandis que ceux qui bénéficient de son travail se vautrent dans l'oisiveté et ne savent que le mépriser ? L'ordre qui trouve immoral de voler, de tuer, de se prostituer mais qui lui même fait quoi de ses journées ? Les possédants font-ils autre chose que de voler, de tuer, de se prostituer pour accroître encore l'étendue de leurs possessions ?

Évidemment, le propos de Tolstoï est toujours valable aujourd'hui et plus que jamais. On bourre les prisons de gens qui n'auraient probablement jamais versé dans la délinquance s'ils avaient eu des chances de prospérer par d'autres biais. Au nom de la moralité on enferme celui ou celle qui se rend coupable d'un braquage mais au nom de la moralité on déroule le tapis rouge aux banquiers, aux assureurs, aux rentiers par décision d'État qui pratiquent le vol légalement et à grande échelle. On stigmatise celui qui a tué quelqu'un avec une arme à feu mais que font nos armées au Mali, en Syrie ou ailleurs ? J'imagine que nos soldats cultivent la pâquerette et le pissenlit au Mali. Dans l'intérêt de qui ? du peuple français ? du citoyen lambda ou de M. AREVA ? George Bush qui a fait butter je ne sais combien d'innocents irakiens a-t-il eu à répondre de ses crimes ?

À quoi aboutit ce bourrage des prisons ? À une amélioration du comportement de ceux qu'on y envoie ? le peuple est-il mieux protégé grâce à elles ou plus en danger ? Aujourd'hui comme hier, en Russie comme partout ailleurs, la seule façon de juguler la violence est d'instaurer la justice sociale, de donner une vraie place à chacun et de suivre avec humanité ceux qui relèvent effectivement de la pathologie. Or, j'ai peine à croire que tous ceux qui peuplent les prisons relèvent de la pathologie ; certains, sans doute, mais sûrement pas la majorité.

Investir dans la réhabilitation des individus dangereux plutôt que de les concentrer dans une pétaudière insalubre où l'on ne cultive que leurs plus abjectes facettes. Car, tous les hommes ont des facettes néfastes et des facettes admirables, tous. Même les criminels ont des qualités admirables.

À titre d'exemple, souvenons-nous du siège de Sarajevo dans les années 1992-1995 : lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, ce sont, pour l'essentiel, des délinquants, des criminels bosniaques qui ont défendu Sarajevo face aux Serbes. Je le répète car cela peut paraître incroyable : une minorité de délinquants et de criminels bosniaques ont sauvé du massacre une majorité d'honnêtes et paisibles bosniaques, qui les méprisaient auparavant et qui rêvaient de les voir croupir en prison… Je vous laisse méditer là-dessus car, de toute façon, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Éditions Rencontre Lausanne 1962 – Traduction Téodor de Wyzewa – Préface Alexandre V Soloviev

Devant l'oeuvre du grand Lev Nicolaïevitch Tolstoï, je me suis sentie intimidée et c'est en toute humilité que je rédige un commentaire sur Résurrection.

Écrit de 1895 à 1898, Tolstoï a soixante dix ans lorsqu'il termine ce roman sous le titre de Résurrection. Roman engagé, peut-on y voir son testament ?

Au tout début de mon adolescence, à l'âge où les jeunes filles ont un esprit romanesque, Anna Karénine m'avait ouvert en grand les portes de la belle littérature. En suivant, je m'étais abreuvée de Guerre et Paix (1869), des Cosaques (1863), j'aimais tellement cette ambiance, dans cette Russie qui me faisait rêver, qu'un tel titre ne pouvait que détourner mon attention. Résurrection sonnait à mes oreilles dans toute sa connotation christique et ne m'incitait pas à l'évasion.

J'avais tort, je l'avoue, mais c'est un roman de la maturité. Bien qu'Anna Karénine occupe une place de choix dans mon coeur, je reconnais que Tolstoï nous offre son troisième chef d'oeuvre me semble-t-il. Il parvient à mêler le romanesque à un militantisme sans le moindre faux pas et c'est là tout son génie littéraire. Roman engagé, c'est une attaque en règle contre le sort qui est réservé aux prisonniers russes. Il faut lire les scènes qui pointent l'arbitraire de la justice, la religion qui a oublié le sens des Evangiles (la messe dans la chapelle de la prison est sans appel), la forfaiture, le malheur des pauvres, l'immoralité, c'est une épouvantable vision de la société russe de cette fin du XIXème siècle.

Lev Nicolaïevitch Tolstoï jette un regard sans concession sur ladite société d'autant plus virulent qu'il le fait dans la force de l'âge. Il a vu la pauvreté s'étaler sous ses yeux, la misère dans les rues, alors il cogne fort, il tente dans un sursaut littéraire, d'éveiller les consciences. Les conditions de détention inhumaines, les bastonnades entraînant la mort, la puanteur, les rats, les enfants dans les prisons, la misère est là, sous nos yeux et c'est Nekhlioudov qui nous montre le chemin. Partout où se pose le regard, il ne voit que tyrannie. Les paysans ont faim, écrasés par le système des propriétaires terriens.

Il y a une part de Lev Nicolaïevitch dans Nekhlioudov, c'est comme une évidence, me semble-t-il. En lisant, je repensais à ce qu'écrit Dominique Fernandez :

Page 10 – « Avec Tolstoï »

« La vie du grand homme peut se résumer ainsi : une période poétique, merveilleuse, innocente, radieuse, - une période de grossier libertinage au service de l'ambition, de la vanité et surtout du vice – une période où il se range, du point de vue du monde, on pourrait qualifier de morale – c'est là que pendant dix huit ans Tolstoï écrira Anna Karénine et Guerre et Paix, - une période dite spirituelle où il sera entouré de la secte des tolstoïens, période tourmentée, radicale ! ».

J'y retrouve le parcours de Nekhlioudov comme dans le résumé qui suit :

A l'adolescence, Nekhlioudov et Katioucha tombent amoureux. Cette dernière est gouvernante chez les tantes de celui-ci. Prince de sang, il intègre un régiment comme tous les jeunes gens de sa classe sociale. Et pendant ces trois années de formation militaire, Nekhlioudov va perdre toute son innocence au contact de ses camarades. Composés uniquement d'officiers riches et nobles, ils se réunissent dans des restaurants de luxe, à dépenser de l'argent sans compter, occupés principalement par les chevaux, l'escrime, le bal, le théâtre, le vin, le jeu et bien sur les femmes. C'est dans cet état d'esprit que Nekhlioudov va revenir chez ses tantes, pressé de revoir Katioucha. Trop pressé d'ailleurs à tel point qu'il la violera. Violée, enceinte, Katioucha se retrouve à la rue, chassée par les tantes de Nekhlioudov.

Huit années passent jusqu'au jour où Nekhlioudov, juré lors d'un procès d'Assises, retrouve Katioucha dans le box des accusés. C'est à cet instant que sa vie bascule et qu'il prend la mesure des conséquences de son acte, de son égoïsme, de sa violence, de sa bassesse. Sa cruauté a entraîné Katioucha inexorablement vers la prostitution. Katioucha condamnée, il n'aura de cesse de se faire pardonner, de réparer. Il va jusqu'à épouser la cause du peuple, cherchant à le libérer de l'emprise des aristocrates et de la classe très aisée. Il souhaite effacer, gommer la misère, les inégalités. Il renonce à certaines de ses terres qu'il va redistribuer aux paysans (Je pense à Lévine qui cherche aussi à améliorer le sort des paysans dans Anna Karénine, relu il y a deux ans).

Nekhlioudov nous entraîne dans un périple à travers les prisons, les camps, la Sibérie, partagé entre l'espoir et le désespoir, persuadé que seul l'Amour universel changera l'être humain. Dans ce récit, les prémices de la Révolution russe se révèlent, la misère est telle qu'il eut été incompréhensible de ne pas en arriver à cette page de l'Histoire de la Russie même si on en connaît la suite.

Nekhlioudov a de grands moments d'exaltation. Il demande à Dieu de le purifier. C'est là que Lev Nicolaïevitch se dévoile dans ce qu'il a de plus radical, dans son besoin de pureté, de dévotion, cette soif de Dieu, d'absolu. Au cours de cette lecture, j'ai eu vraiment le sentiment d'entrer en contact avec la personnalité de Tolstoï, d'entrevoir la philosophie de la fin de sa vie, ses préoccupations comme son sectarisme et sa révolte intérieure. Sa plume vibre d'un grand mysticisme et d'une grande colère, c'est en cela que ce roman diffère de ses autres récits.

« le sort de tous ces malheureux, bien des fois innocents même aux yeux du gouvernement, dépendait de l'arbitraire, des loisirs, de l'humeur, soit du gendarme ou du chef de la police, soit du dénonciateur, du procureur, du juge d'instruction, du gouverneur ou du ministre. Si l'un de ces fonctionnaires s'ennuyait ou s'il désirait se mettre en évidence, il ordonnait l'arrestation et, selon son humeur ou celle de ses chefs, détenait les gens en prison ou bien les relâchait. »

NDL : Pardon pour la longueur

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Une magnifique histoire, un chef d'oeuvre à mon sens. La description d'un pays, d'une société, de deux êtres incroyables : La Maslova et Nekhludov.
Résurrection est le roman du lâcher-prise. Ce sont deux jeunes adultes qui sont tombés amoureux. Elle est servante et a été élevé par les tantes du jeune homme.
Il va suivre le mouvement, faire comme les autres hommes et la déshonorer sans aucuns scrupules, elle va céder à la tentation. C'est une histoire vieille comme le monde. Elle va tomber enceinte et sera chassée par les deux soeurs (qui sont les deux personnes à blâmer pour leur manque de compassion envers cette jeune fille, mais il s'agit d'une autre époque). de là elle connaitra l'humiliation, la prostitution, l'alcoolisme, et finira en prison accusée de meurtre. Nekhludov, juré d'un procès, à la surprise de la retrouver au ban des accusés.
Le génie de Tolstoï réside dans le fait de nous faire découvrir un Nekhludov, ahuri, persuadé de son innocence et rongé de remords, qui veut réparer le mal causé. Malgré tous ses efforts, elle est condamnée au bagne en Sibérie. Et il décide de la suivre et de l'épouser tant il se sent coupable.
La Maslova, quant à elle, ne lui voue plus que de la haine et va se jouer de lui. Elle n'est que vengeance mais en fait elle avait son libre arbitre.
Durant tout le récit, nous découvrons deux personnages aveuglés l'un par son envie de réparer et l'autre par la vengeance . Tout le temps passé finira par leur apporter l'essentiel, La Maslova trouvera l'apaisement parmi les autres prisonniers. Nekhludov fera sa traversée du désert et réalisera son erreur, ce sera une résurrection qui lui permettra ce qu'il veut vraiment.
Une histoire contée par Tolstoï qui m'a parfois amusée par l'antagonisme de ces deux amants et aussi par l'incroyable certitude de Nekhludov qui pense tout réparer par le mariage sans même consulter La Maslova. Après il y a aussi la Russie du dix-neuvième siècle, le système pénitentiaire, les juges, les prisonniers de droit commun et le prisonniers politiques, le bagne, tout un système sclérosé.
Un roman que je conseille pour le style de l'auteur , la vision de la Russie et tous ses personnages. Un livre qui mérite autant d'être lu que « Guerre et paix » ou « Anna Karénine ».
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Dans Résurrection, Tolstoï mêle intrigue romanesque et réflexion philosophique, politique et métaphysique, à l'instar de Dostoïevski dans ses oeuvres. Résurrection est moins connu que les autres romans de Tolstoï mais c'est une oeuvre touchante, bouleversante, qui m'a laissé une forte impression et qui aide à mieux comprendre les causes historiques de la révolution de 1917, en Russie.

Nekhlioudov est juré à un procès d'Assises et découvre qu'il connaît une des accusées : Maslova. Elle est en fait Katioucha qui travaillait comme domestique chez ses tantes quand il était jeune homme. Ils sont tombés amoureux et Nekhlioudov a fait perdre à Katioucha sa virginité. Les convenances lui interdisaient de l'épouser car elle n'était qu'une servante. Il a donc fait ce que tout gentleman fait en la circonstance : il l'a dédommagée en lui donnant de l'argent et a ainsi fait d'elle une prostituée, gâchant leur amour pur et innocent au début. Katioucha s'est retrouvée enceinte, s'est fait renvoyer, a perdu l'enfant, mort à cause de la misère et sa descente aux enfers a commencé. Les hommes la poursuivaient de leurs assiduités car elle était belle, elle a fini par renoncer définitivement à sa vertu pour vendre son corps et vivre dans une maison close. Accusée de vol et de meurtre avec préméditation, elle est en réalité innocente et s'est retrouvée piégée par des domestiques cupides qui voulaient dépouiller son client.

Nekhlioudov se sent coupable de la chute de Katioucha. À cause d'une erreur de procédure, elle est condamnée par le jury qui ne répond pas correctement aux questions posées, bien qu'il soit persuadé de l'innocence de l'accusée. À partir de ce moment, Nekhlioudov va faire tout ce qu'il peut pour tenter de casser ce jugement, il promet à Katioucha de ne pas l'abandonner et va même jusqu'à la suivre en Sibérie. Il s'engage personnellement pour sauver à la fois Katioucha et lui-même, il cherche le chemin de la rédemption, le pardon pour les fautes qu'il a commises.

En Sibérie, il rencontre des détenus politiques emprisonnés pour leurs idées révolutionnaires. Il fait la distinction entre les révoltés contre un système injuste et les idéologues qu'il n'aime pas car ils sont arrogants et méprisent le peuple. Propriétaire terrien, il culpabilise. Inspiré par des théories socialistes, il pense que l'idée de justice est inconciliable avec la propriété du sol. Aussi décide-t-il d'avoir enfin le courage d'abandonner une partie de ses domaines aux paysans avant de suivre Katioucha en Sibérie. Les paysans sont méfiants et réticents car, selon eux, les grands propriétaires fonciers ne cherchent que leurs intérêts. Cette décision inhabituelle est, pour eux, incompréhensible.

Nekhlioudov apparaît ainsi comme un homme de bonne volonté, qui incarne, au-delà de l'idéologie, une certaine forme de bonté. Peut-être celle dont parle Vassili Grossman dans Vie et Destin, celle qui peut vaincre le mal au-delà des théories politiques et dogmatiques. Grâce à ses idées, Nekhlioudov essaie de faire le bien. Les idées ne le poussent pas au crime comme c'est le cas pour Raskolnikov, célèbre personnage tourmenté, inventé par Dostoïevski. J'ai bien aimé aussi le personnage de Katioucha qui rêve de pouvoir enfin avoir une vie normale auprès d'un homme qui éprouverait pour elle un amour sincère et non de la pitié ou de la culpabilité. Comme Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo, elle est victime d'une société qui ferme les yeux sur la misère atroce du peuple.

Ce souci du peuple, dans cette oeuvre, m'a beaucoup plu, ainsi que la satire virulente et subversive des institutions : judiciaires, religieuses, la propriété privée des terres aux mains de quelques grands propriétaires. Tolstoï effectue une peinture pertinente de la société russe de la fin du XIXe siècle, dont l'organisation injuste a mené à la révolution de 1917. Il réfléchit sur la notion de justice telle qu'elle est exercée par les hommes et s'oppose aux châtiments que les hommes font subir à leurs semblables en son nom. Qui sommes-nous pour juger nos semblables ? Dieu ? Sa critique féroce de l'Église en tant qu'institution ne l'empêche pas de revendiquer un retour aux sources de l'évangile qu'il cite en épigraphe et en conclusion. Nekhlioudov constate que, si les hommes suivaient davantage les enseignements du Christ (le sermon sur la montagne), il y aurait moins d'atrocités et de laideurs dans notre existence car elle serait régie par l'amour du prochain, même envers nos ennemis. le titre, Résurrection, est une référence explicite à Jésus-Christ et est aussi la renaissance de Nekhlioudov qui veut essayer de vivre enfin en harmonie avec ses principes, même si cette attitude doit le faire passer pour fou aux yeux de la société.

Même si j'ai une préférence pour la vision souvent pessimiste et les personnages tourmentés de Dostoïevski parce qu'ils annoncent, d'une façon plus réaliste selon moi, les grands drames du XXe siècle (deux guerres mondiales, les camps, les goulags, la mort des utopies), j'ai apprécié la vision idéaliste de Tolstoï dans ce livre qui laisse une place bienvenue, surtout de nos jours, pour la foi en l'homme, en sa capacité à changer les choses de manière positive. N'avons-nous pas encore besoin d'espoir, d'espérance qui effaceraient la désespérance et redonneraient foi en l'être humain et en l'avenir ? Ces problématiques me semblent toujours d'actualité.
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Après guerre et paix que je considère comme le meilleur roman russe jamais écrit , je croyais qu'Anna karénine était inégalé .mais ce jugement s'est évaporé en lisant résurrection . Un vrai chef d'oeuvre philosophique qui contient tout ;les espoirs , les maux , la joie , les espérances et les questions qu'avait posées tolstoï , mais surtout les repenses , bien qu'il soit considéré secondaire .
L'histoire de Maslova et de Nekhlioudov est tirée d'un fait réel qu'un juge avait conté a Tolstoï (l'histoire d'un jeune aristocrate et la domestique Rosalie) qui l'a si bien mise en roman . j'ajoute que tolstoï avait fait abandon des droits d'auteur de Résurrection pour alimenter le fonds d'émigration des doukhobors (lutteurs de l'esprit) en Colombie-Britannique, une secte religieuse chrétienne persécutée en Russie .

Maslova est reconnue coupable a tort pour un crime qu'elle n'a pas commis , Nekhioudov qui faisait partie du jury s'est senti doublement coupable envers elle.C'était lui le déclencheur de ces malheurs . Après avoir était un jeune homme aimant et plein de bon sens ce dernier s'est avili en s'engageant dans l'armée et en fréquentant les débauchés aristocrates , de retour a la ferme de ses tantes, il l'a mise en ceinte et l'abandonne .... une suite de malheurs commence et la mène a une maison de tolérance ou l'on accuse l'infortunée a tort .
Nekhlioudov jure de prouver son innocence ,et de se marier avec elle pour se racheter de ses fautes ...(une vraie histoire d'amour recommence entre les deux partie dont je vous laisse le soin d'en découvrir l'intrigue) .
En suivant Maslova pendant son séjour en prison . nekhlioudov (tolstoï) dépeint la vie misérable des détenus qui subissent l'arbitraire d'un pouvoir despotique représenté par un système judiciaire et pénitentiaire inhumain.De fil en aiguille nekhlioudov se sent une transformation totale en lui. il devient le défenseur des oppressés incarcérés et de tout les pauvres du système tsariste et abandonne ces terres au paysans pour alléger leurs souffrances.
Dans ce roman tolstoï réitère son mépris pour l'église qui manipule les préceptes du christ , de l'aristocratie et l'armée qui s'engraissent en maigrissant le pauvre russe et se pose toujours la même question :
suis-je fou?
En décrivant le marasme du peuple et la vie des détenus politiques tolstoï nous donne un aperçu sur la chute d'un régime (le tsarisme) qui ignorait les espérances du citoyen .j'ai eu l'impression de lire Soljenitsyne(le pavillon des cancéreux) qui décrivait le despotisme du communisme qui était devenu a travers le parti communiste un nouveau tsarisme.
En s'appuyant sur le dialogue entre Nekhlioudov , l'anglais et le vieux insurgé tolstoï pense que le mal engendre le mal , l'incarcération et l'arrogance augmentent le crime et la rebellion qui sont les signes de l'inutilité du système de gouvernance , le remède est l'amélioration de la situation économico-social.
Contrairement au grand inquisiteur de Dostoïevski (les frères Karamazov) qui reproche au christ son incompréhension de l'Âme humaine et qui trouve que ces préceptes sont un fardeau pour elle , Tolstoï trouve que le salut se trouve dans l'application des ces préceptes (le sermon sur la montagne) sans l'intermédiaire d'une institution religieuse , et c'est la grande réponse que cherchait tolstoï.









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Un grand roman qui nous relate la genèse de l'esprit socialiste russe au travers notre héros, un personnage de la haute société mais pour qui l'âme a commencé a dégringolé les marches de sa conscience à partir d'une bévue commise dans sa jeunesse! En tombant dans les moments de troubles de culpabilité, c'est une nouvelle philosophie de la vie qui s'annonce pour lui , comme une nouvelle naissance...ou une résurrection...
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J'ai tenté une incursion dans le XIXe siècle russe avec ce pavé de Leon Tolstoï qui semble-t-il n'est pas le plus connu. J'ai lu "Résurrection" avec beaucoup de difficulté malgré ma fascination pour la forme, le fond et le style. J'ai découvert un univers désenchanté, effrayant mais réaliste, même si parfois, je me suis un peu ennuyée. C'est un roman à dimension sociétale où les questions de classe se cristallisent dans ce siècle de tous les dangers. Tolstoï rend compte de la violence institutionalisée en Russie représentée par le tsar et une noblesse oisive et corrompue. Pour conserver cette existence, on violente, on emprisonne, on affame, on tue tout un peuple.
Nous faisons la connaissance d'un microcosme de captifs, où les condamnés de droits commun fréquentent les opposants politiques et les femmes de mauvaises vies. Nous rencontrons Maslova en prison avant son jugement pour meurtre. Maslova est une enfant naturelle, belle et pauvre qui a survécu grâce à l'intervention d'une de deux vieilles demoiselles pour lesquelles travaillait sa mère. le second protagoniste est le prince Dimitri Ivanovitch Nekhlioudov, dont le corps blanc, parfumé et musclé est déjà alourdi par la graisse. Son linge est propre et repassé, ses bottines brillent comme des miroirs. Il vit confortablement dans un bel appartement dont il a hérité récemment après la mort de sa mère. Les deux personnages se croisent au tribunal. Maslova, en tant qu'accusée et Nekhlioudov, en tant que juré. le prince se souvient de la jeune fille qu'elle était à 17 ans, chez ses tantes. Une première fois, leurs jeux sont innocents. La seconde fois, dépravé par ses années à l'armée, Nekhlioudov cède à ses désirs.
Une erreur des jurés condamne Maslova à la déportation. Ce procès indigne jette à la figure du prince toute sa vie passé et présente pervertie et creuse. le voile se déchire. Il prend conscience des grandes inégalités de la société russe. S'engage alors une transformation de tout son être, ses pensées et ses actes.
Tolstoï est un écrivain talentueux. Il réussit à investir chaque personnage (principaux et secondaires) avec justesse jusque dans les moindres détails physiques et moraux. Il décrit avec précision les rouages de la machine judiciaire, le rôle de l'Eglise orthodoxe acquise au tsar, l'opposition entre la ville et le monde rural, les conditions misérables dans lesquelles sont asservis les paysans, la répression des opposants et des intellectuels. C'est une sorte d'éveil moral et spirituel.
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Le roman raconte l'histoire de la tentative d'un noble de racheter les souffrances que sa jeunesse a infligées à une paysanne qui finit prisonnière en Sibérie. On pourrait dire au premier coup d'oeil que l'histoire a quelques longueurs, mais quelle satisfaction, une fois la lecture terminée!!!
Tolstoï a peint un portrait condamnant la société russe, en particulier le système pénitentiaire et le service gouvernemental, qu'il a blâmé pour opprimer et dépraver l'esprit humain. C'est un conte intime et psychologique de culpabilité, de colère et de pardon, et en même temps une description panoramique de la vie sociale en Russie à la fin du XIXe siècle, reflétant l'indignation de son auteur face aux injustices sociales du monde dans lequel il a vécu.
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Après «La sonate à Kreutzer», en tous points pour moi mortifère, je m'étais jurée de remettre à plus tard la lecture de «Résurrection».

Je n'ai pas tenu mon engagement, la curiosité ayant fini par l'emporter sur l'effroi qu'avait suscité cette longue nouvelle.

En préliminaire, je voudrais dire que j'ai lu à deux reprises, à trente ans d'écart, «Anna Karénine», du même Tolstoï, et que je ne l'ai jamais aimée.

Tant il est vrai qu'on ne change pas vraiment au cours d'une vie et qu'on continue seulement à creuser le même sillon.

Les amours d'Anna et de son beau Vronsky, tout comme la recherche éperdue d'Emma Bovary, m'ont irritée comme celles de midinettes qui auraient, contre toute raison et tout indice en provenance du monde extérieur, poursuivi une chimère risible.

Comme je m'irritai et tapai secrètement du pied à l'affligeant spectacle de «fans» parmi mes camarades, soupirant deux ans de suite sur la même photo de leur acteur fétiche.

Sans doute l'intensité de ma répulsion tenait-elle à l'efficacité même des oeuvres de fiction de Tolstoï et de Flaubert : ces miroirs, telles les «sorcières» des carrefours, indiquaient tellement de périls aux aguets que je leur préférai la politique de l'autruche : ne rien voir des démons grimaçants dans les bosquets et aux portes des armoires (pour le reste, mon lycée n'était pas mixte, c'était bien tranquille)…

Pour ce qui concerne «Guerre et paix», je n'ai jamais pu dépasser le tiers du roman : chaque jour m'obligeait à relire les pages précédentes oubliées, à me référer à de fastidieuses listes de personnages que j'avais pourtant notées au fur-et-à-mesure. Bref, un jour, j'ai abandonné.

Rien de tel avec Dostoïevsky que j'ai idolâtré tout de suite, au point d'y convertir toutes mes proches camarades de première : ah ! «Crime et châtiment», lu dans mon lit en claquant des dents par 39 ° de fièvre, conditions idéales pour bien comprendre Raskolnikov… Ah ! «Les frères Karamazov» qui ont accompagné et illuminé quinze jours de vacances de Pâques de terrible solitude… puis «L'idiot», «Les possédés», «Souvenirs de la maison des morts»… Un envoûtement sans fin…

J'étais tombée dedans.

——

Mais, peut-être pourrais-je revenir à «Résurrection» ?

Ce roman vous colle aux doigts, vous ne pouvez pas vous en séparer comme ça. Je viens de le terminer après une nuit de quasi insomnie. C'est un roman anthropophage.

«Résurrection» retrace l'itinéraire d'un jeune militaire, le prince Dmitri Ivanovitch Nekhlioudov, originaire de Nijni Novgorod, vers la sainteté.

Pas celle d'un moine ou d'une religieuse réfugiée dans un couvent, non, d'une Vraie Sainteté de terrain, trouble et claire, faible et puissante, ne rechignant pas à l'ouvrage.

Ce «barine» Nekhlioudov est un véritable colosse, un titan, un doux Hercule chrétien.

Au départ, il était comme vous ou moi : parti de rien. Banal, plutôt sympathique, faisant le mal par négligence, oublieux de ses méfaits et petites crapuleries quotidiennes.

Puis un jour vient la Révélation : un évènement, sa nomination en tant que juré à un procès criminel, lui fit comprendre que quelque chose n'allait pas dans sa vie quotidienne et il qu'il fallait y porter remède, sous peine de se perdre. Tout de suite. Maintenant.

Et il se mit en route : vers l'approfondissement de lui-même et du monde. Vers davantage de lucidité. Vers le renoncement,

Qu'est-ce que le monde ?

Nekhlioudov (peu importe ce qu'il a vécu avant), en fit connaissance à l'énoncé du verdict qui lui sembla monstrueux puisqu'il fit condamner une innocente par vice de procédure. Cela (et d'autres circonstances que je tais ici), occasionnera sa révolution intérieure.

Il décide instantanément d'amender ses errements passés en suivant la victime de l'erreur judiciaire dans son groupe de prisonniers en partance pour la Sibérie. Il multiplie ce faisant démarches, recours et services divers à ceux qui le lui demandent, développant un altruisme dont il se croyait incapable.

Bien que logé à l'hôtel dans les étapes du convoi, il est le spectateur atterré de l'ignominieux système carcéral russe sous les tsars : s'entassent en effet dans des geôles insalubres prisonniers de droit commun, prisonniers politiques, marginaux et illuminés religieux.

Dès le début il est brutalement immergé dans un monde où précisément l'immersion ne peut être que brutale, même pour un simple témoin.

C'est un univers où le travail de police est mal fait et soumis à des impératifs de visibilité : à défaut de grands délinquants, mieux vaut mettre à l'ombre un voleur à la tire de quatorze ans ou une prostituée sans défense ; ou alors de simples citoyens que l'incurie d'une administration a privé de leurs papiers sans qu'ils y soient pour rien ;

Où règne l'arbitraire absolu ;

Où celui qui juge est moralement plus vil que celui qui est jugé ;

Où, quand on n'a pas les moyens de se défendre, énormément d'erreurs judiciaires sont commises par des juges et des jurés inattentifs, occupés à leur digestion, ou simplement malveillants, par mépris ou par bêtise ;

Où les administrateurs, les politiques, les directeurs de prison, intercesseurs, garde-chiourmes sont corrompus ou incapables à eux seuls de résister à la putréfaction du gros corps social.

Sont mélangés pêle-mêle criminels de droit commun, hommes, femmes, enfants, nourrissons, pseudo prisonniers politiques n'ayant eu d'autre tort que celui de connaître un soit-disant «agitateur» ; tous dans des conditions sordides de promiscuité, de crasse, de malnutrition, de viols ou tentatives de viols ; proies des poux, des rats, et de la phtisie qui fond sur les prisonniers entassés.

Là-dessus est organisé un hallucinant voyage jusqu'au bagne où doivent se rendre à pied les détenus, quelque soient les intempéries, les maladies, l'avancement des grossesses, avec son cortège de cadavres semé dans l'indifférence générale au gré des haltes.
Les femmes sont séparés des maris, les enfants de leurs mères, les pères humiliés et battus devant leur progéniture.

On est dans l'enfer de Dante. Notre Saint héros suit un vertigineux parcours intérieur.

Le lecteur lui aussi en a le vertige.

C'est à cette fréquentation quotidienne de la prison et de la déportation, ainsi qu'à sa pratique intense de la méditation, de la réflexion et de l'altruisme, que Nekhlioudov devra de pouvoir donner un sens à sa vie.

Cette oeuvre est prométhéenne, Tolstoï a un souffle inouï. Il a, soixante-cinq ans avant Anna Arendht, élaboré, sans lui donner un nom, la théorie de la banalité du mal.

En effet, tous ceux qui infligent ces souffrances à leurs semblables, à leurs frères, sont pourtant des hommes. Chacun accomplit sa tâche selon son tempérament, sans voir l'inhumanité de l'ensemble. Chacun est responsable du seul petit rouage social dont le fonctionnement lui incombe, mais refuse de voir l'ensemble monstrueux.

C'est le principe de la dissolution de la responsabilité.

Voici la superbe analyse qu'en fait Tolstoï :

«Mais ce qui est particulièrement affreux,—se dit-il,—c'est que ces infortunés ont été tués sans que l'on puisse savoir qui les a tués. Ils ont été conduits à la gare, comme tous les autres prisonniers, sur un ordre écrit de Maslinnikov. Mais Maslinnikov, évidemment, s'est borné à remplir une formalité; on lui a apporté à signer une pièce rédigée dans les bureaux; l'imbécile y a apposé son plus beau paraphe, sans même s'inquiéter de ce qui y était écrit; et, pour rien au monde, il ne consentirait à se croire responsable des accidents qui viennent d'arriver. Encore moins pourra-t-on en rendre responsable le médecin de la prison, qui a passé en revue les déportés avant leur départ. Celui-là a ponctuellement rempli ses obligations professionnelles; il a mis à part et fait monter en voiture les prisonniers malades, et, sans doute, il n'a point prévu qu'on ferait marcher le convoi en plein midi, par cette chaleur, en foule compacte. le directeur? le directeur n'a fait, lui aussi, qu'exécuter les ordres de ses chefs; comme ceux-ci le lui ordonnaient, il a fait partir, à la date fixée, un nombre déterminé de prisonniers: tant d'hommes, tant de femmes. Impossible, également, d'accuser le chef du convoi: on lui a ordonné d'aller chercher des prisonniers dans un certain endroit et de les conduire dans un certain autre: c'est ce qu'il a fait, du mieux qu'il a pu. Il a dirigé le convoi aujourd'hui comme la fois dernière; et lui non plus ne pouvait guère prévoir que des hommes robustes et valides, comme les deux que j'ai vus, ne supporteraient pas la fatigue et mourraient en chemin. Personne n'est coupable; et cependant ces infortunés ont été tués, et tués par ces mêmes hommes qui ne sont point coupables de leur mort! «Et cela provient,—se dit ensuite Nekhludov,—de ce que tous ces hommes, gouverneurs, directeurs, officiers de paix, sergents de ville, tous ils estiment qu'il y a des situations dans la vie où la relation directe d'homme à homme n'est pas obligatoire. Car tous ces hommes, depuis Maslinnikov jusqu'au chef du convoi, s'ils n'étaient pas fonctionnaires, auraient eu vingt fois l'idée que ce n'était pas chose possible de faire marcher un convoi par une telle chaleur; vingt fois en chemin ils auraient arrêté le convoi; et, voyant qu'un prisonnier se sent mal, perd le souffle, ils l'auraient fait sortir des rangs, l'auraient conduit à l'ombre, lui auraient donné de l'eau; et, en cas d'accident, ils lui auraient témoigné de la compassion. Mais ils n'ont rien fait de tout cela, ils n'ont pas même permis à d'autres de le faire: et cela parce qu'ils ne voyaient pas devant eux des hommes, et leurs propres obligations d'hommes à leur égard, mais seulement leur service, c'est-à-dire des obligations qui, à leurs yeux, les dispensaient de tout rapport direct d'homme à homme.»

N'est-ce pas lumineux ?

A Nekhlioudov l'interprétation du Grand Livre des Écritures et de la vie sera enfin permise : et il ressuscitera.

Et comme les premiers chrétiens, il Vivra.

«Résurrection» fait partie des grands romans, comme «Les frères Karamazov», «Crime et châtiment»ou «l'Idiot» de Dostoïevski.Je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher de comparer ce qu'est devenu le personnage de Nekhlioudov à l' Alioucha de «L'idiot»
.
Voici un roman politique, sociale et mystique de grande envergure.

Une de ces oeuvres dont on ne peut s'empêcher de ressentir, comme quand on écoute certaines symphonies, qu'elles ont toujours existé, et qu'elles n'ont fait qu'émerger à un moment de l'histoire, porté par un génie, tant elles sont parfaites.
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J'ajouterais qu'il y a une histoire poignante dans Résurrection, celle de cette jeune bonne humiliée, rejetée, en proie aux vicissitudes de la vie, que l'homme par qui c'est arrivé se trouvera à nouveau sur son chemin, tentera de voler à son secours et que le récit de la rédemption de cet homme associée à l'infortune de Moslova est tout simplement remarquable et pathétique
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