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Critique de enjie77


Éditions Rencontre Lausanne 1962 – Traduction Téodor de Wyzewa – Préface Alexandre V Soloviev

Devant l'oeuvre du grand Lev Nicolaïevitch Tolstoï, je me suis sentie intimidée et c'est en toute humilité que je rédige un commentaire sur Résurrection.

Écrit de 1895 à 1898, Tolstoï a soixante dix ans lorsqu'il termine ce roman sous le titre de Résurrection. Roman engagé, peut-on y voir son testament ?

Au tout début de mon adolescence, à l'âge où les jeunes filles ont un esprit romanesque, Anna Karénine m'avait ouvert en grand les portes de la belle littérature. En suivant, je m'étais abreuvée de Guerre et Paix (1869), des Cosaques (1863), j'aimais tellement cette ambiance, dans cette Russie qui me faisait rêver, qu'un tel titre ne pouvait que détourner mon attention. Résurrection sonnait à mes oreilles dans toute sa connotation christique et ne m'incitait pas à l'évasion.

J'avais tort, je l'avoue, mais c'est un roman de la maturité. Bien qu'Anna Karénine occupe une place de choix dans mon coeur, je reconnais que Tolstoï nous offre son troisième chef d'oeuvre me semble-t-il. Il parvient à mêler le romanesque à un militantisme sans le moindre faux pas et c'est là tout son génie littéraire. Roman engagé, c'est une attaque en règle contre le sort qui est réservé aux prisonniers russes. Il faut lire les scènes qui pointent l'arbitraire de la justice, la religion qui a oublié le sens des Evangiles (la messe dans la chapelle de la prison est sans appel), la forfaiture, le malheur des pauvres, l'immoralité, c'est une épouvantable vision de la société russe de cette fin du XIXème siècle.

Lev Nicolaïevitch Tolstoï jette un regard sans concession sur ladite société d'autant plus virulent qu'il le fait dans la force de l'âge. Il a vu la pauvreté s'étaler sous ses yeux, la misère dans les rues, alors il cogne fort, il tente dans un sursaut littéraire, d'éveiller les consciences. Les conditions de détention inhumaines, les bastonnades entraînant la mort, la puanteur, les rats, les enfants dans les prisons, la misère est là, sous nos yeux et c'est Nekhlioudov qui nous montre le chemin. Partout où se pose le regard, il ne voit que tyrannie. Les paysans ont faim, écrasés par le système des propriétaires terriens.

Il y a une part de Lev Nicolaïevitch dans Nekhlioudov, c'est comme une évidence, me semble-t-il. En lisant, je repensais à ce qu'écrit Dominique Fernandez :

Page 10 – « Avec Tolstoï »

« La vie du grand homme peut se résumer ainsi : une période poétique, merveilleuse, innocente, radieuse, - une période de grossier libertinage au service de l'ambition, de la vanité et surtout du vice – une période où il se range, du point de vue du monde, on pourrait qualifier de morale – c'est là que pendant dix huit ans Tolstoï écrira Anna Karénine et Guerre et Paix, - une période dite spirituelle où il sera entouré de la secte des tolstoïens, période tourmentée, radicale ! ».

J'y retrouve le parcours de Nekhlioudov comme dans le résumé qui suit :

A l'adolescence, Nekhlioudov et Katioucha tombent amoureux. Cette dernière est gouvernante chez les tantes de celui-ci. Prince de sang, il intègre un régiment comme tous les jeunes gens de sa classe sociale. Et pendant ces trois années de formation militaire, Nekhlioudov va perdre toute son innocence au contact de ses camarades. Composés uniquement d'officiers riches et nobles, ils se réunissent dans des restaurants de luxe, à dépenser de l'argent sans compter, occupés principalement par les chevaux, l'escrime, le bal, le théâtre, le vin, le jeu et bien sur les femmes. C'est dans cet état d'esprit que Nekhlioudov va revenir chez ses tantes, pressé de revoir Katioucha. Trop pressé d'ailleurs à tel point qu'il la violera. Violée, enceinte, Katioucha se retrouve à la rue, chassée par les tantes de Nekhlioudov.

Huit années passent jusqu'au jour où Nekhlioudov, juré lors d'un procès d'Assises, retrouve Katioucha dans le box des accusés. C'est à cet instant que sa vie bascule et qu'il prend la mesure des conséquences de son acte, de son égoïsme, de sa violence, de sa bassesse. Sa cruauté a entraîné Katioucha inexorablement vers la prostitution. Katioucha condamnée, il n'aura de cesse de se faire pardonner, de réparer. Il va jusqu'à épouser la cause du peuple, cherchant à le libérer de l'emprise des aristocrates et de la classe très aisée. Il souhaite effacer, gommer la misère, les inégalités. Il renonce à certaines de ses terres qu'il va redistribuer aux paysans (Je pense à Lévine qui cherche aussi à améliorer le sort des paysans dans Anna Karénine, relu il y a deux ans).

Nekhlioudov nous entraîne dans un périple à travers les prisons, les camps, la Sibérie, partagé entre l'espoir et le désespoir, persuadé que seul l'Amour universel changera l'être humain. Dans ce récit, les prémices de la Révolution russe se révèlent, la misère est telle qu'il eut été incompréhensible de ne pas en arriver à cette page de l'Histoire de la Russie même si on en connaît la suite.

Nekhlioudov a de grands moments d'exaltation. Il demande à Dieu de le purifier. C'est là que Lev Nicolaïevitch se dévoile dans ce qu'il a de plus radical, dans son besoin de pureté, de dévotion, cette soif de Dieu, d'absolu. Au cours de cette lecture, j'ai eu vraiment le sentiment d'entrer en contact avec la personnalité de Tolstoï, d'entrevoir la philosophie de la fin de sa vie, ses préoccupations comme son sectarisme et sa révolte intérieure. Sa plume vibre d'un grand mysticisme et d'une grande colère, c'est en cela que ce roman diffère de ses autres récits.

« le sort de tous ces malheureux, bien des fois innocents même aux yeux du gouvernement, dépendait de l'arbitraire, des loisirs, de l'humeur, soit du gendarme ou du chef de la police, soit du dénonciateur, du procureur, du juge d'instruction, du gouverneur ou du ministre. Si l'un de ces fonctionnaires s'ennuyait ou s'il désirait se mettre en évidence, il ordonnait l'arrestation et, selon son humeur ou celle de ses chefs, détenait les gens en prison ou bien les relâchait. »

NDL : Pardon pour la longueur

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