Il n'est dans toute la Montagne d'endroit aussi triste et déshérité que Saudel. Ce ne sont pas là des maisons, et pas des gens qui les habitent. Ce sont des tanières où logent des bêtes.
Malgré tout, Notre-Seigneur Jésus-Christ, le dimanche, daigne rendre visite au village en la personne du Padre Unhao, qui dit la messe au lever du soleil. Le prêtre descend de sa jument, se mouche dans un grand mouchoir crasseux, tousse, sonne deux coups de cloche, et entre dans une église tellement obscure et glaciale qu'il se souvient toujours à cette occasion de certaine pneumonie double. Il dit l'introït avec beaucoup. de solennité, monte les marches de granit, lit, relit, se tourne, se retourne, se signe et, finalement, fait son prêche. Or il s'agit toujours de passer un savon général. Que personne ne vaut rien. Que les hommes sont comme ci, et les femmes comme ça, que les filles sont des malpropres, et les garçons des brutes, bref que tout ça est une misère.
Saudel, confondu, écoute. Et puis, à la sortie, chacun se met à ruminer. Qui a bien pu dire, Là-Haut, tant de mal d'eux ? Les hommes bêchent du matin au soir, les femmes accouchent toutes les fois que la Vierge le veut, garçons et filles gardent les troupeaux... Qui aura glissé ces choses-là à l'oreille de Dieu ?
(La Résurrection)
A portée d'un coup de fusil - l'unité de mesure qu'il connaissait le mieux - Ivo regardait et analysait cet éveil. Assis sur un bloc de granit, son ballot de vêtements posé à côté de lui, de l'oeil qui lui restait il photographiait les phases successives que traversaient les demeures et la vie du village où il était né. Peut-être parce qu'il le voyait ainsi, d'un oeil, côté coeur justement, il lui semblait qu'il le comprenait mieux à présent ; que sa vision binoculaire d'antan séparait et appauvrissait le sens des choses, par incapacité à embrasser dans un même amour le saint et l'exécrable. (Le retour)
Vieillie, blanchie, mais égale à elle-même, la Lionça revenait par le même chemin, s'asseyait près de l'âtre pour filer, et mettait dans la régularité du fil la parfaite régularité de sa vie.
(Maria Lionça)
Ana Maria Torres, traductrice de "Folles mélancolies" de Teresa Veiga nous parle de sa région de coeur Trás-os-Montes au PorTugal et de l'auteur qui en parla le mieux dans la littérature : le grand Miguel Torga. Merci à elle et bon visionnage !