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Critique de sevagt1


Interview de l'auteur dans Le Point :
"C'est un texte universel qui doit être défendu."


Le Point.fr : le 24 avril est la date de commémoration annuelle du génocide arménien dans le monde. Y voyez-vous l'occasion de rappeler au président de la République la teneur de ses engagements ?

Sévag Torossian : Après l'invalidation de la loi Boyer pour atteinte à la liberté d'expression, les deux candidats à l'élection présidentielle s'étaient engagés à préparer un nouveau texte. La pénalisation du négationnisme dépasse les clivages partisans et engage une vision de la France face à la prévention des génocides. Comment, en effet, lutter contre les génocides sans lutter également contre le négationnisme ? Tel va être l'un des grands défis du XXIe siècle.

Mais, depuis l'adoption de la loi Gayssot, les réticences sont fortes à la création d'un délit de négationnisme universel qui couvrirait l'ensemble des génocides...


Concernant la loi à venir, la difficulté n'est pas a priori politique, mais juridique. Il est donc naturel qu'une nouvelle formulation soit trouvée aujourd'hui, conforme aux textes nationaux et européens. Ce serait cette fois-ci un projet de loi, et non une proposition, que nous espérons voir présenté à la rentrée. C'est désormais une obligation pour tous les États de l'Union européenne de légiférer en la matière, conformément aux exigences de la décision-cadre du Conseil de l'Union de 2008*.


Et le Conseil constitutionnel ne risque-t-il pas d'exercer de nouveau son pouvoir de censure ?


La lutte contre le négationnisme ne pose pas de problème de constitutionnalité, contrairement à ce qui a pu être entendu. Les Sages auraient pu saisir l'occasion de dire que l'infraction de négationnisme était contraire à la Constitution, mais ils ne l'ont pas fait. Une telle décision aurait d'ailleurs annoncé l'invalidation future de la loi Gayssot. Ce qui a posé problème était la formulation du texte présenté. Les Sages ont fait valoir qu'en réprimant la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'expression. S'enfermer dans une rédaction communautaire serait une erreur. La loi doit être suffisante en soi sans avoir à se référer à tel événement historique. C'est un texte universel qui doit être défendu.


La position de l'historien Pierre Nora, partagée par Robert Badinter, est de dire que "la France a choisi l'option de ne reconnaître que les crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocides déclarés tels par une juridiction internationale". En clair : tant qu'une juridiction internationale ne s'est pas saisie du génocide arménien, il n'appartient pas à la France de le reconnaître. Qu'en pensez-vous ?


Selon la décision-cadre du Conseil de l'Union, tout État membre peut faire une déclaration aux termes de laquelle il ne rendrait punissable l'infraction que si le crime - de génocide en l'espèce - a été rendu définitif par une décision de justice. La France a usé de cette faculté, simplement parce qu'elle lui était ouverte. Ce serait un geste fort qu'elle lève aujourd'hui cette réserve, au regard de l'histoire qu'elle entretient avec les Arméniens, qui demeureront les porteurs de ce projet universel. Non seulement parce qu'elle a été leur terre d'asile, mais aussi parce que le procès qui aurait dû avoir lieu en 1920, qui était prévu par l'article 230 du traité de Sèvres, a été volé par les Alliés. La France a sa part de responsabilité dans ce déni de justice qui est à l'origine de la situation actuelle.

Au demeurant, opposer la loi Gayssot à la loi Boyer, comme l'ont fait certains, sur ce simple critère - la Shoah a été jugée et non le génocide arménien -, était un non-sens. Un tribunal n'a pas besoin d'un jugement antérieur de condamnation pour vol afin de condamner un prévenu pour son recel. C'est ainsi pour tous les délits qui intègrent l'existence d'une autre infraction dans ses éléments constitutifs - le blanchiment, l'usage de faux et bien d'autres. Il en est de même pour le négationnisme. Point n'est besoin que le génocide ait été jugé, a fortiori lorsque la décision de justice invoquée a été volontairement avortée par les puissances européennes, dont la France.


Ne risque-t-on pas d'ouvrir la boîte de Pandore en créant un délit de négationnisme ?


Certains l'ont invoqué, remontant aux grandes purges staliniennes, voire aux exactions commises sous la Rome antique. L'argument est séduisant, mais intrinsèquement faux : c'est ne rien comprendre au concept de génocide et le confondre encore avec le crime de masse. le concept de génocide appartient entièrement au XXe siècle. Yves Ternon a une définition encore plus précise que celle prévue par la convention de 1948 : pour lui, un génocide est la destruction physique massive, en exécution d'un plan concerté, d'un groupe humain dont les membres sont tués en raison de leur appartenance à ce groupe. C'est parce qu'ils étaient juifs que les juifs ont été exterminés. C'est parce qu'ils étaient arméniens que les Arméniens ont été exterminés. Il n'y a pas de boîte de Pandore : de fait, la liste des génocides est extrêmement limitée.

Mais, par ce délit de négationnisme, ne cherche-t-on pas davantage à protéger la mémoire plutôt qu'à lutter contre les discriminations ?


En réalité, le négationnisme est l'accessoire du crime de génocide. La nature de ce crime est inédite. le génocide est non seulement au sommet de la hiérarchie des crimes, mais, à mon sens, il lui est pratiquement transcendant. Crime "qui détruit la mémoire du crime", selon l'historien Richard Hovannisian, ce n'est pas à l'histoire que s'en prend le négationniste, mais au Code pénal lui-même. "Crime contre l'humanité" signifie que toute l'humanité est concernée. Et dans le cas très singulier du génocide, cette humanité est interpellée non seulement comme victime, mais également comme criminelle. le déni de justice en est une cinglante illustration. Car, dans son délire collectif, la communauté internationale est capable du pire, comme refuser en 1920 de tenir le procès international du génocide arménien.


Votre livre est intitulé "Vous n'existez pas". Pourquoi ?


Parce que c'est une phrase insupportable. Elle résume l'absurdité du traitement juridique des victimes et descendants du génocide arménien. Une sorte de "ni victime, ni descendant, ni partie civile". Rien. En droit, vous n'existez pas. Les opposants de bonne foi doivent désormais observer cette absurdité qui n'a pas été repérée jusqu'alors, car la liberté d'expression la plus effrénée devait être protégée, y compris sur le dos des victimes. À l'instar de l'assassin qui tue et efface les traces de son crime, le négationniste est un dissimulateur universel. Ce n'est pas une opinion qui est proférée, mais un acte positif qui fait de son auteur un receleur de cette dissimulation et, bien au-delà, un complice du plus grand mensonge d'État du XXe siècle.

Lien : http://www.lepoint.fr/societ..
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