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Critique de Woland


Ese Cadaver
Traduction : François Gaudry

ISBN : 9782859405656

Le recueil ne fait pas deux-cents pages et, chapitre par chapitre, nous raconte dix-huit petites histoires, la vie de personnages dont certains se sont connus plus ou moins bien ou, en tous les cas, se sont croisés sur les chemins de l'existence. Toutes ces personnes, femmes et hommes, sont mortes. Tuées avec la même indifférence par les balles perdues ou les éclats obus du siège de Madrid. Deux exceptions cependant : deux vieux généraux en retraite républicains, emmenés "en promenade" par des agents certainement communistes qui les suspectaient d'on ne sait trop quoi. Deux vieux généraux dont les propos qu'ils tenaient jadis au café parlent du soulèvement, en 1868, contre la reine Isabel II, de toute la rage qui s'ensuivit entre carlistes et alphonsins, et enfin de l'instauration de la République.

En un style très poétique et peuplé d'images véritablement goyesques qui nous prennent toujours au dépourvu et nous fascinent, Rafael Torres nous raconte une Espagne dont les souffrances se concentrent dans le siège de la capitale mais qui, encore et toujours, refuse de s'incliner. Ce n'est pas tant par rapport à Franco et aux nationalistes : l'Espagne et les Espagnols sont comme ça - ils ont toujours refusé de s'incliner. Ils préfèrent se battre, y compris entre eux. Telle est un peu la conclusion qu'on pourrait tirer de ce recueil assez déstabilisant, mi-figue, mi-raisin, qui ressuscite toute une époque en n'évoquant que des cadavres abandonnés à eux-mêmes, les uns après une vie bien accomplie, les autres à l'aube de leur destin et de leurs amours. Obéissant aux ordres, la Mort fait son boulot sans se poser de questions : sans doute en aurait-elle trop.

Le livre s'achève sur le corps d'une chanteuse de romanceros, les bras entourant l'une des affiches de son répertoire et l'auteur en profite pour récapituler l'essentiel de ce qu'il vient de nous conter. C'est beau, il n'y a pas à dire. C'est aussi, malgré tout, un peu sec. Et, j'ai le regret de le dire, le parti pris est là, parti-pris que, peut-être inconsciemment, le traducteur à signalé dans le titre-jeu de mots qui n'existe pas dans l'original.

Rafael Torres, qui, selon moi, est soit un bien-pensant, soit un homme dont la famille a beaucoup souffert durant le siège de Madrid, nous affirme comme ça, d'un ton coupant, définitif, que seuls les nationalistes ont recouru aux troupes étrangères. A croire que les conseillers du Komintern et les Brigades internationales étaient tous des Espagnols ... de souche, supposition qui, je pense, en surprendra plus d'un, qu'il ait dressé au fond de son appartement un autel au Caudillo, avec cierges et tout le toutim, ou que, au contraire, il lise et relise pieusement la collection complète des oeuvres des écrivains et poètes républicains. La remarque m'a beaucoup choquée, d'autant qu'on y sent une haine que l'on peut comprendre certes mais qui se déconsidère à partir du moment où elle abuse du mensonge et de la propagande. La Guerre d'Espagne étant souvent représentée de manière très manichéenne, nous avons déjà eu l'occasion de le dire, on imagine la réaction du néophyte qui, captivé par le style et le talent de Torres, prend pour argent comptant cette remarque qui déparera toujours à mes yeux le plaisir que j'ai pris à cette lecture.

Pour autant, je ne vous découragerai pas de lire cet ouvrage dont les descriptions sont souvent lyriques, fulgurantes, avec des mots à l'emporte-pièce et, je le dis encore, des images incroyables qui ressuscitent l'art de Goya. Bien au contraire. Dans un cas aussi douloureux que celui de la Guerre civile espagnole, il faut avoir plusieurs points de vue, si possible exprimés avec talent. Or, du talent, Rafael Torres n'en manque pas. de la rancoeur non plus - une rancoeur peut-être compréhensible, je n'en sais rien. Mais enfin, en tant que journaliste, sa profession première, il se devait de respecter la vérité pleine et entière, si désagréable qu'elle fût pour le camp qui a ses sympathies. On notera d'ailleurs qu'il ne stipule en rien la qualité d'agents communistes des sbires qui massacrent les deux vieux généraux - sincèrement, cela m'étonnerait beaucoup qu'il s'agît d'anarchistes. Il méprise leur acte, c'est certain mais il détourne bien vite la tête, je trouve ... On ne sait d'ailleurs même pas si les tueurs étaient espagnols. Et l'on comprend évidemment que l'auteur n'avait aucun intérêt à le préciser.

Deux recommandations cependant : si Goya et les descriptions de cadavres vous gênent, laissez tomber. Si vous ne connaissez pas grand chose sur la Guerre d'Espagne, laissez tomber aussi ou plutôt, réservez ce livre pour le moment où vous vous serez renseigné sur l'Histoire de la Guerre civile. Tout le monde y gagnera : vous d'abord - et Rafael Torres ensuite. ;o)
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