C'est pas sa faute, à Remigio. Il n'a pas tué la petite Anamari qui a disparu, il l'a juste trouvée morte dans son puits encore en eaux quand ceux de tout le petit village d'Icamole sont à sec depuis des mois. Il aurait pu prévenir tout le monde d'arrêter les recherches, certes. Mais ç'aurait été reconnaître que depuis tout ce temps, lui disposait encore du précieux or bleu. Alors il enterre le corps et cherche de l'aide auprès de Lucio, son père, libraire esseulé d'un village qui ne lit pas. Lucio tente de reconstruire l'histoire du meurtre de la fillette grâce à ses lectures...
Quelle idée originale et fraîche que la trame de ce roman bien particulier ! Un lecteur acharné qui épluche les livres de sa bibliothèque que personne ne lit et vire tous ceux qui ont la moindre parcelle de stéréotype et ridicule (jubilatoire, pour un lecteur comme moi qui déteste romans de gare, chicklit et sentimentalisme fanatique), des personnages intrigants et des actions tout aussi étranges, un monde mélangeant littérature et réalité... Y a de quoi surprendre, surtout avec un style qui rappelle celui de
José Saramago, sans ponctuation ou clarification sur la focalisation, sans narrateur précis, sans parfois savoir si on touche à la fiction/citation littéraire ou non.
Si l'idée est géniale, on finit quand même par se lasser à la moitié du roman. Les choses n'avancent pas ou peu, Lucio, ce personnage qui vit clairement dans une réalité qui n'est pas la nôtre, perd le lecteur avec ses digressions littéraires et surtout ses interprétations hors norme. On est dans l'absurde, mais un absurde atypique. C'est ce qui fait qu'on est tour à tour charmé et lassé dans sa lecture, une expérience intéressante, en soi.
Ce qui est finalement dommage, c'est que le meurtre qui lance l'histoire et surtout introduit l'idée de sa résolution par la littérature ne trouve pas de fin. C'est finalement l'essence même de ce livre, que de perdre son lecteur dans les tourments de l'interprétation sans apporter de vraie solution. Un concept qu'il n'est toutefois pas donné à tout le monde d'apprécier...
On pourrait, pour terminer, s'interroger sur le titre espagnol conservé (El Último Lector). le choix n'est sans doute pas anodin, car sa traduction reviendrait à faire un choix entre deux possibilités et réduirait son sens à une seule définition. Si "ultimo" désigne bien évidemment le terme "ultime" en français qui veut dire "dernier", l'espagnol et le français nous offrent tous deux un synonyme à ce terme qui lui donne alors un sens nouveau et surtout plus profond : "ultime" dans le sens "extrême". Oui, Lucio est un lecteur extrême qui va au bout de sa passion, se débarrassant des livres qu'il ne supporte pas, mais surtout qui vit dans l'excessif en analysant la vie et le meurtre notamment de la fillette via la littérature. Il est certes le "dernier" lecteur d'Icamole, mais aussi le plus enragé. On prend réellement conscience de cette dualité quand, déjà on se pose la question du pourquoi ne pas avoir traduit le titre, mais aussi quand on voit sa traduction en anglais (langue dans laquelle je l'ai lu) "The Last Reader" et qu'on se dit qu'il y a perte monumentale dans ce parti pris. Surtout quand le Français lui-même utilise l'expression "c'est le truc ultimate" pour faire référence à quelque chose d'extraordinaire et de puissant. D'autant plus qu"ultimate", en anglais, possède lui aussi le double sens. Quelle perte dans le titre anglais !! Quelle perte sur le fond même de l'histoire !!! Bref, voici le pourquoi du comment.
Un roman donc particulier, à découvrir, peut-être en français pour ma part, mais pas forcément pour tout le monde.
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