Peu de temps avant de mourir, Emmanuèle me parlait des bouées jaunes et du plaisir qu’elle prenait à nager en été, chaque matin, à la Grande Plage. Pour le bain de fin de journée, nous allions à celle du Port Miquel, plus proche de chez nous, à condition que la marée soit haute. Il y avait alors peu de monde et la mer était à elle. Nager pour elle était un besoin absolu doublé d’un vrai plaisir. Cela lui procurait une joie physique intense. Souvent, elle me conviait à la suivre, mais son rythme était si rapide que je renonçais. Elle prenait vite quelques longueurs d’avance et revenait vers moi en souriant, dans le but de m’encourager à la suivre, avant de repartir aussitôt vers le large. De mon côté, j’atteignais péniblement la première bouée jaune. Cette énergie était essentielle, nager était une dépense qui gommait la fatigue et les soucis intimes. C’était un défi qu’elle avait besoin de relever. D’éprouver. C’était un immense réconfort pour moi de la sentir heureuse, j’admirais sa vitalité, son désir d’aller toujours plus loin. D’être bien et d’être libre.
A propos des vues aériennes photographiées par Jérémie Lenoir, elle écrivait en 2011 : « Pendant longtemps, ce jeune ingénieur, qui voulait devenir pilote, tout absorbé qu’il était par ses instruments de vol, n’a rien vu de ce qui se déroulait au-dessous de lui. Et puis il est entré à l’école des Beaux-arts d’Orléans. Et les yeux du pilote se sont ouverts. Depuis, à 1 500 pieds au-dessus de nos têtes, dans la lumière de midi, Jérémie Lenoir voit ce qui nous est invisible et parfois même caché. De là-haut, dans le ciel, cet étonnant jeune homme capte le réel pour nous le restituer ensuite dans sa fascinante – et souvent inquiétante – abstraction. »
Le bonheur ? Un sentiment fugace qui provient des profondeurs et qui, de manière passagère et par inadvertance, vous rassure et vous contente. En fait il vous submerge.
Le film avait opéré sur elle de manière foudroyante. Fiévreuse. Au point de modifier la trajectoire de sa vie.
Dans la tradition juive, il est coutume de ne pas regarder quelqu'un si la personne que tu regardes n'est pas en mesure de te regarder.
Durant toute son adolescence, cette cinéphilie sauvage et débridée l'avait aidée à survivre et à échapper à la névrose familiale.
Le rituel du petit déjeuner, un moment de pure grâce au cours duquel nous aimions rire. Le moindre geste, la moindre attention prenait la forme d'une petite cérémonie amoureuse portée par une attention neuve, inédite. On inventait des mots et des surnoms, pour établir un langage amoureux entièrement inédit, codifié par nous seuls et compréhensible par nous seuls.
J'aimais beaucoup Emmanuèle Bernheim, son univers littéraire et cinématographe. J'avais hâte de lire cet éloge de son compagnon. Le début m'a beaucoup émue jusqu'à ce que je tombe sur des phrases courtes et sèches qui m'ont heurtée "je menais avec Corinne (sa femme) une vie tranquille et sans nuage", "c'était l'année de mes quarante ans, j'avais la conviction que jamais plus je n'aurais la chance de rencontrer une femme (Emmanuèle) aussi radieuse et séduisante", "le lendemain je fis des aveux à Corinne et décidai de la quitter. Je n'en menais pas large, le choc fut considérable et les effets dévastateurs". Puis passage direct aux années de bonheur intense de ce couple parfait avec énumération appuyée de toutes les personnalités du milieu du cinéma. Schéma classique de l'homme qui quitte sa femme pour sa meilleure amie sans souci. La suite de la lecture m'a été pénible.