A force d’être trop lus, les mots se décomposent et s’effilochent, enfouissant leur message pour le garder secret et le transformer sournoisement en questions. Où était Django ? Pourquoi était-il parti ? Pour combien de temps ? Est-ce qu’il reviendrait ? Que voulait dire « je ne sais pas moi-même ce qui m’attend » ? Etait-il en danger ? Le reverrait-elle un jour ? Devait-elle l’oublier ? Pourquoi prendre la clé ? Devait-elle l’attendre ?
Elle était bien trop belle. Beaucoup trop belle pour lui. Cette femme venait s’amuser, chercher de l’exotisme. Les Parisiennes aiment sortir, s’amuser, et sans doute raconter à leurs amies les expériences extravagantes qu’elles ont vécues pendant leur week-end ou leurs vacances. Comment pourrait-il en être autrement ? Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver ? Il était un pêcheur, rien d’autre. Et elle était si fine, si délicate. Il la revit avec ses petites sandales trempées. Elle était comme ces actrices qu’il avait vues les quelques fois où il était allé au cinéma. Des femmes qui n’étaient pas pour un pêcheur, et encore moins pour lui, avec cette marque anormale sur son visage, ses yeux qui faisaient rire dans son dos.
Oui, cette nuit d’amour, elle l’avait voulue, ardemment désirée au point d’avoir perdu tout contrôle d’elle-même, perdu toute raison. Et pourquoi fuyait-elle ? Qui fuyait-elle ? Le pêcheur ou elle-même ? L’avait-elle vraiment pris pour un objet, un jouet, comme il avait dit ? En tout cas c’était ce qu’il pensait.
Elle était bien. Ça faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi bien. Peut-être parce qu’il n’y avait rien et tout à la fois. Juste l’essentiel. Pas de mots inquisiteurs, pas de fausse pudeur. Juste un feu qui semblait souffler sa chaleur volontairement vers elle pour la réchauffer. Et un inconnu, sans finesse et sans faux-semblants. Un être à l’état brut. Un pêcheur qui ne comprenait pas pourquoi elle le remerciait, qui l’avait attrapée par la taille sans lui demander son avis, qui l’avait jetée par-dessus le balcon parce que c’est comme ça qu’on décharge les crevettes. Oui, elle était bien.
Elle avait bien le droit d’être sur le port et de regarder les bateaux de pêche, tout de même. Qu’est-ce que c’était que ces rustres et dans quel pays avait-elle atterri ? Elle était venue ici pour faire un article sur ce petit port de pêche, mais elle espérait surtout retrouver un équilibre qu’elle avait perdu, laissé sur le chemin de la vie, sur ses routes cahoteuses et pleines d’embûches. Et voilà qu’elle était arrivée en territoire ennemi, une étrangère parmi des brutes.