Le Journal d'un homme de trop 1850
Ivan Tourguéniev (1818-1883)
Collection Folio à deux balles.
Avant de parler de cette oeuvre de jeunesse, je voudrais parler de l'homme ou de la vie de l'homme qui impressionnait
Flaubert par sa culture, sa forte personnalité si singulière, si mystérieuse, au delà de la normalité. Quel destin pour
Tourguéniev qui fut le plus grand écrivain russe incontesté dans les années 1860, sa célébrité rayonnait dans le coeur des russes qui virent en lui le grand prosateur après les poètes de l'Age d'or, la stature de cet homme puissant d'apparence, bel homme qui plus est dont le souffle semblait venir de loin, de très loin, de cette terre russe encore fumante du passage des conquérants, de la race des seigneurs. Il ne craignait pas d'aller affronter l'Europe dont les maîtres allemands et la France en particulier sa pensée, ses moeurs libertaires avec laquelle il se sentait en osmose. Dans les cénacles pétersbourgeois, il bravait ses pairs slavophiles de sa toute puissance. Il n'avait cure de ce qu'on pouvait dire de lui, les railleries glissaient sur lui comme sur la plume d'un canard. Cependant,Il n'était pas indifférent au sort de la Russie rurale qui peinait à sortir de ses vieux démons sur fond de tsarisme. Les ennuis ne tardèrent pas à arriver pour ce grand propriétaire terrien qui s'interessait au progrès. Un amour, peut-être l'amour de sa vie en Madame Pauline Viardot la cantatrice dont on parle tout le temps à son propos, lui fit précipiter son exil vers la France ; il était sûr de son fait avec fierté, mais pas toujours de ses sentiments, mais je pense que l'analyse qu'il faut en faire relève de la psychologie.
Annie Anargyros du métier l'a très bien fait dans son
Tourgueniev un écrivain entre deux rives, mieux que je ne saurais le faire sûrement. Voyons un peu ce qu'elle dit :
"
Tourgueniev a du mal à choisir : il est constamment tiraillé entre des attirances, des passions contraires, des positions politiques opposées. Il est lié viscéralement à son domaine de Spasskoïé, à la maison où il est né, à la vie, aux saisons, aux paysages russes. Attaché à la campagne et aux forêts où il a passé son enfance, Il se passionne pour les paysans et les petites gens qu'il rencontre au cours de ses promenades et des parties de chasse qu'il affectionne. Ces rencontres seront pour lui une source précieuse d'inspiration.
>>> Pourtant, il passera la plus grande partie de son temps à voyager.
>>> Une des raisons de cette errance sera sa rencontre avec la cantatrice Pauline Viardot, qui va orienter sa vie : il la suit dans tous ses déplacements, s'intallant auprès d'elle et de sa famille quand elle s'établira en France, puis en Allemagne, puis à nouveau en France, ce qui le maintiendra constamment dans la nostalgie du lieu qu'il vient de quitter.."
On oublie trois fois sur quatre avant de critiquer, voire de réprouver, le désarroi de l'artiste, j'ai pensé à cela très fort quand hier je me suis frotté à Gauguin ; ici à mon sens il en va de même, plus j'avance dans la connaissance du grand Ivan, plus je me dis que l'homme était miné de l'intérieur, et si l'on veut bien voir ici dans Ce Journal d'un homme de trop les aspects on va dire semi autobiographiques, cela transpire à chaque page où il semble que l'écriture est pour lui un sacerdoce malgré ses aspects dilletantes de jeunesse déclamés sur un ton presque gogolien. Ou d'ailleurs il a le mieux expliqué cela, c'est encore dans sa correspondance avec
Flaubert qui avait parfaitement pointé cela, il s'en est ouvert à lui son ami dû au niveau élevé et privilégié de leur relation ..
Tourguéniev était un écrivain parce qu'il écrivait, contrairement à Gontcharof sa bête noire à qui on l'associait par de nombreux points communs, qui écrivait peu. On retiendra somme toute de ce dernier un seul grand roman, les deux autres étant médiocres. Pour
Tourgueniev, on ne compte plus les grands romans, assez variés du reste. Ses débuts furent marqués par la poésie qui n'emballa pas les foules, sans doûte était-il influencé par
Pouchkine, mais il abandonnera assez vite cette narration mi-réaliste mi-fantastique pour aller vers quelque chose de plus contemplatif, la nature par exemple. Ses descriptions parfois longues servies par une plume talentueuse, étaient certes déliées, mais un peu faibles sur le plan de la localisation. M. Hofmann dira que " le lecteur se demande parfois s'il se trouve dans le gouvernement d'Orel ou en Haute-Savoie. "On peut néanmoins décerner un brevet d'authenticité à ses écrits tant il était soucieux du détail juste dans ses portraits. Il se disait lui-même un piètre imaginatif pour concevoir. "Je n'ai jamais pu créer qui ne soit dû qu'à mon imagination. Pour créer un personnage, il me faut un homme en chair et en os." ..