Romans et nouvelles complets, tome 3

L'une des nouvelles peu connue de ce tome III est Pounine et Babourine (mars 1874).
Cette nouvelle commencée en 1873 est divisée an cinq périodes, le narrateur vieux et malade, Pierre Petrovitch B., revenant successivement sur ses 12 ans, ses 19 ans, ses 31 ans, et ses 43 ans.
1830. Pierre Petrovitch vit chez son acariâtre grand-mère, grande propriétaire à l'époque du servage, qui s'apprête un jour à engager Babounine, un homme de 35 ans qui prend le risque de confier à la grand-mère qu'il est opposé aux châtiments corporels. Comme elle ne recherche pas un intendant mais un commis aux écritures, cela ne la gêne pas trop. Lors de l'entretien d'embauche, il précise aussi qu'il a recueilli un ami dans le besoin, Pounine, qui sera entièrement à sa charge, et vit chez lui. le narrateur se lie tout de suite d'amitié avec Pounine, esprit original qui enseigne la poésie russe au jeune garçon, et lui fait entendre le chant des oiseaux. Les rapports avec Babourine sont plus difficiles. Il est républicain, et n'a pas supporté que le jeune homme soit entré chez lui sans frapper, alors que pour ce dernier, un homme de sa classe sociale a tous les droits. Un jour, Babourine prend la défense d'un serf auprès de sa patronne, et se fait renvoyer sur le champ. Pierre Petrovitch perd ainsi son ami, et en partant, Babourine l'invite à faire cesser ces injustices quand il pourra le faire plus tard.
1837. le narrateur étudie maintenant à Moscou, loin de sa grand-mère, et se fait un ami, Tarkhov, un jeune aristocrate qui lui présente une jeune fille un peu sauvageonne, Muse Palvlovna Vinogradov, dont il est visiblement amoureux. Pierre rencontre un peu plus tard Pounine qui, tout heureux de le revoir, l'invite chez lui, où il a la surprise de découvrit Muse, qui vit chez lui et Babourine dans une modeste demeure. Muse a été recueillie par les deux amis alors qu'elle était abandonnée comme fille illégitime d'un aristocrate, ce qui a révolté le républicain qu'est Babourine. Malgré la différence d'âge (il a 50 ans et elle 18), Babourine demande Muse en mariage, et dans un premier temps, elle accepte d'épouse son bienfaiteur. le narrateur est choqué par cette situation, mais aussi par l'attitude de son ami Tarkhov qui ne pourra jamais l'épouser et lui assurer un avenir honnête, vu cette fois la différence de condition sociale. Après avoir fait répéter au républicain que chacun est libre, Muse s'enfuit la conscience tranquille avec Tarkhov, sans qu'on sache ce que va devenir cet amour impossible. Babourine accuse le coup, mais ses convictions l'incitent à s'incliner.
1849 (année d'une sévère répression de Nicolas Ier). Pierre a 32 ans, est devenu fonctionnaire, et vit à Saint-Pétersbourg. Sa grand-mère est morte. Il croise un jour un vétuste chariot funéraire suivi par un seul homme. C'est Babourine qui enterre Pounine. Pierre le suit jusque chez lui et rencontre Muse avec qui Babourine s'est marié. Il est arrivé à ses fins, et elle a accepté car elle n'avait nulle part où aller. Tarkhov l'a abandonnée et Babourine l'a sauvée une seconde fois. Peu après, Babourine est arrêté avec un groupe de conspirateurs. le narrateur s'occupe de Muse, et si Babourine est acquitté, il est exilé en Sibérie où Muse le suit.
1861. Muse et Pierre s'écrivent de temps à autre. Entretemps, Alexandre II a succédé à Nicolas Ier, a amnistié les condamnés, et a aboli le servage. Quand Babourine apprend cela, le vieux républicain s'écrie «Dieu protège le tsar». Il ouvre une bouteille de mousseux du Don et part dans la neige annoncer la nouvelle, mais prend froid et meurt peu après. Muse écrit tout cela Pierre, et continue son travail en Sibérie.
Cette nouvelle contient beaucoup d'éléments autobiographiques. La grand-mère est la mère de Tourgueniev. Pounine est le serf Lobanov, qui a donné à Tourgueniev le goût de la poésie russe. Et Babourine est un petit bourgeois républicain du nom de Chapochnikov, exilé en Sibérie et amnistié en 1855. Tourgueniev a remanié quelques fois sa nouvelle, notamment pour donner plus de relief au personnage un peu abstrait de Babourine.
Si les libéraux accueillirent la nouvelle avec enthousiasme, les conservateurs lui tombèrent dessus à bras raccourcis, et la gauche (notamment Mikhaïlovski) lui reprocha de ne pas être allé aussi loin que dans Tchertopkhavanov et Nédopiouskine en 1849.