Un roi Lear des steppes (1870) est l'une des nouvelles du recueil.
Une dizaine d'amis discutent de
Shakespeare, de
Hamlet, d'
Othello, du roi Lear, et l'un d'entre eux s'écrie soudain qu'il a connu un tel roi Lear vers 1840. Il explique qu'il vivait à O… chez sa mère, Natalia Nikolaïevna, qui avait marié sa pupille de 17 ans à un voisin gérant bien ses affaires, Martin Petrovitch Kharlov, une force de la nature qui l'avait un jour sauvée en retenant de ses mains son chariot qui allait verser dans un fossé. Depuis lors, elle le conseillait, car s'il était fort des muscles, il l'était moins de la tête. Il fut rapidement veuf avec deux filles, l'aînée, Anne mariée à Vladimir Sliotkine, et la cadette Eulampie, que le narrateur découvrit un jour dans les fourrés avec son beau-frère (
Tourgueniev s'exprime toujours avec des litotes très pudiques).
En proie à des sentiments dépressifs – comme
Tourgueniev lui-même à l'époque - et craignant l'arrivée de la mort, Kharlov décide de donner ses biens à ses deux filles malgré les conseils contraires de Natalia Nikolaïevna. Mal lui en prend, car il est bientôt dépossédé de sa charrette, de son cheval, du petit cosaque qui le sert et lui fait la lecture, et finalement, même de sa chambre, dont ses enfants «ont besoin». Il a longtemps tout supporté, mais c'en est trop. Furieux, il se met à détruire sa maison. Eulampie propose de lui rendre sa part, mais il est trop tard. Il poursuit la démolition, et meurt écrasé sous les décombres.
Quinze ans après, le narrateur revient sur ses terres et rencontre Anne devenue veuve, qui gère le domaine. Quatre ans après encore, il rencontre Eulampie qui dirige une secte et a gardé un regard dominateur.
Cette nouvelle pourrrait former une trilogie avec
Moumou (1852) et L'Auberge de grand chemin (1855), chacune de ces nouvelles voyant un homme dépouillé de ses biens.