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Critique de Escapist


Je ne remercierai jamais assez Babelio et la Masse Critique pour la somptueuse lecture que procure « Cristal Noir ». le titre en lui-même est déjà une invitation à l'envoûtement, aux charmes de la passion et de l'élégance. Un voyage initiatique vers les sphères raffinées du Paris des années folles et des saveurs éclatantes de la gastronomie française. le livre est à lui seul un recueil de citations, de phrases étourdissantes de beauté. Chaque terme est judicieusement choisi pour un final digne d'une envolée lyrique. On ressort troublé de cette lecture et pourtant si serein. « Cristal Noir » est une poésie en prose, un ouvrage intense en émotion, un voyage dans le temps, un hymne aux petits plaisirs de la vie. En définitive, rendre une critique de cet ouvrage n'est pas chose aisée car aucun mot, aucun adjectif ni aucune expression ne pourraient rendre justice à la beauté de l'histoire et faire honneur au style de l'auteur.

C'est sous une couverture épaisse et épurée de la collection Fayard que débute une belle romance. Derrière la fusion d'une photo en noir et blanc d'une jeune femme sereine attablée et de motifs Art Déco se dresse un pilier de la littérature, un hommage aux nuances délicates de la langue française. Si dès la première page on a du mal à comprendre le cadre de l'histoire puisque celle-ci débute par une lettre enflammée, on s'ancre rapidement dans l'univers fou des années 30. En réalité, c'est en 1929 que s'inscrit cette histoire, traversant les saisons poétiques du printemps et de l'automne et passant par un été intense et enfiévré. Rapidement, le style si particulier de Michelle Tourneur percute le lecteur et l'hypnotise. On dévore sans s'en rendre compte des avalanches de mots, on glisse sur des cascades de descriptions et l'on s'éblouie des myriades de petits détails qui prennent des airs de merveilles. Sans conteste, Michelle Tourneur a un véritable talent écrivain et un amour fou pour notre belle langue française qu'elle maîtrise avec une fluidité impressionnante, virevoltant à travers les expressions avec la grâce d'une ballerine. Magie et poésie se joignent dans une valse lente mais toujours langoureuse tout au long du roman.

L'histoire prend pour théâtre l'un des restaurants les plus cossus de la capitale, le Paquebot, érigé à titre de monument culinaire par le brillant duo de deux âmes perdues et liées par une fidélité et une amitié à toute épreuve. le Paquebot devient alors le refuge de deux hommes, dérivant sur les modes de son temps à la recherche de cette exception, de cet inédit destiné à la perfection. Chaque personnage se pare d'un charisme irrésistible ; le chef Charles-Henri par sa présence sauvage et son talent inné, son éternel ami Robert par sa créativité divine et la douce Pearl par son exotisme pétillant et sa délicatesse. Cette dernière, photographe native des Etats-Unis, se rend en France afin d'immortaliser et faire découvrir les raffineries culinaires du pays. C'est au Paquebot qu'elle a choisi de faire honneur aux mets fantasques de la gastronomie française. La virtuosité de Michelle Tourneur explose alors tandis que coulent à flots des océans de descriptions. La décoration Art Déco du restaurant est cristallisée dans les consciences par des jeux de lumières à travers les milliers de miroirs et de facettes en verre qui réfléchissent la magnificence des plats. Sensible jusqu'à l'âme pour cette beauté intangible, Pearl photographie cet univers envoûtant qu'elle n'aurait jamais cru connaître un jour. le Paquebot est un paradis composé de fresques antiques et de peintures mystiques, un cadre dans lequel prendre un simple café relève de l'extase. On déguste des pâtisseries jusqu'à l'excès sans jamais s'en lasser. Grâce aux descriptions multiples et toujours percutantes, les saveurs éclatent dans le palais et les mots font appels à des souvenirs de gourmandise, parfois même d'enfance. Jamais Paris-Brest, éclairs, compotes ou choux ne furent plus savoureux que sous la plume de Michelle Tourneur. Par la force de l'esprit, les pâtisseries décrites deviennent réelles et les dégustations révèlent des expériences inédites. Par le jeu de la syntaxe, l'auteur parvient à dépeindre parfaitement cette émotion de volupté qui nous prend lorsque l'on déguste un met exquis. Mais le salé n'est pas non plus en reste et c'est un florilège de parades gustatives qui prennent place sur la page, pour le plus grand plaisir du lecteur. Mousselines de céleri, envolée de canard, faisans farcis, tourtes croustillantes… les créations sont innombrables et frôlent le rêve. Michelle Tourneur rend un réel hommage à la gastronomie et à la pâtisserie française, témoigne d'une expérience personnelle et d'une approche intime avec la Cuisine.

Dans ce roman, la restauration est dépeinte à chaud. On traverse la salle de réception où règne finesse, délicatesse, exquis, précision et perfection, un monde composé de paillettes, de flûtes de champagne et de grands éclats de rires cristallins, pour émerger au coeur des cuisines des grands restaurants où trônent maîtrise, savoir-faire, impartialité, détermination et rigueur. le monde culinaire est intransigeant et exigeant, malmenant ses praticiens sans ménagement. Les caractères s'endurcissent, les larmes font la place à une détermination à toute épreuve et seuls les plus téméraires parviennent finalement à émerger de cet infernal univers. A travers cette histoire romancée, on connaît tour à tour l'appréhension des commis, le surpassement de soi, les déboires d'une commande retardée, les échecs personnels et les frissons de la réussite applaudie.

Mais la gastronomie n'est pas seule dans cet ouvrage et elle est associée à un autre art, celui de la musique. Elles se combinent dans une étroite relation, se complétant chacune. La cuisine devient alors une symphonie et l'art musical un met que l'on déguste sans modération. C'est le piano qui tient lieu de pont reliant ces deux univers. On touche alors à une poésie envoûtante où chaque note s'envole de l'instrument pour fondre sur le palais. Les sens sont mis en éveil, constamment convoqués dans « Cristal Noir », et l'on goûte avec plaisir à de nouvelles saveurs envoûtantes.

C'est à Pearl qu'est donc confiée la lourde tâche de photographier avec le plus de sincérité ces mets inédits, tout en s'acclimatant à l'air parisien et en appréhendant l'énergie créatrice qui émane des mets présentés. Forte de son sens artistique, elle devient rapidement la seule à comprendre réellement les tourments complexes qui bouleversent le chef Charles-Henri et à lui déceler son âme d'artiste. Ce-dernier, métisse d'une alliance polonaise et française, possède une forte sensibilité et un raffinement qui ne laisse jamais indifférent son entourage. Il est le mystère de ce roman, celui sur qui semble planer l'ombre d'un passé troublé. de son enfance, des difficultés esthétiques qu'il rencontra, des hésitations de son adolescence, de son amour pour la gastronomie, de son émoi profond on ne sait rien avant la seconde partie du roman. D'âme tourmentée il passe à âme torturée par un sentiment déchirant, celui de l'amour. le début du roman est ainsi soutenu par une vibrante tension qui se brise lorsque les deux esprits se rencontrent dans l'intimité. Pourtant Pearl est promise à revenir au plus vite dans son pays et rejoindre son fiancé. Il est vrai que ce fil de l'histoire est digne d'un mélodrame romantique et l'on suppose secrètement que l'amour, le vrai, l'unique, triomphera. Mais Michelle Tourneur décrit l'éphémère, la beauté de l'instant présent et ne s'attarde pas sur la perpétuité. Sa vision est un renouveau constant des choses et du monde. Ainsi les modes changent rapidement, les plats à succès font place à d'autres créations et rien ne reste éternellement. La beauté réside alors dans le provisoire, c'est pourquoi Pearl n'est qu'une passagère d'un voyage temporaire. Un épisode momentané dans la vie de Charles-Henri pourtant marqué au fer rouge par un amour éternel.

La crise de 1929, ce fameux fléau qui frappa les Etats-Unis, n'est d'abord décrit que comme un élément secondaire. Il prend néanmoins de l'importance tout au long du roman, mais avec ce recul des choses complexes qu'impose la frivolité amoureuse. La crise est perçue d'un point de vu français, c'est-à-dire avec une distance flagrante. Elle est une épée de Damoclès dont tout le monde prend conscience mais qui semble pourtant inoffensive. On décrie les médias d'exagérations, on dénonce les journalistes de mensonges et l'on croque avec plus de ferveur dans cette vie qui semble prête à basculer. le krach du jeudi noir est un raz-de-marée destructeur dont les signes avant-coureurs se profilent déjà en France. Pour autant, le Paquebot est intouchable et semble un cocon préservant l'innocence de la relation entre les jeunes tourtereaux. Aveuglés par leur passion, la crise boursière n'est qu'un bruit de fond que ne tardera pas pourtant à entendre Pearl, puis Charles-Henri après elle, une fois leurs démons intérieurs apaisés.

Ce roman possède néanmoins un point négatif et paradoxal : si le style de Michelle Tourneur est une vraie poésie, tout comme cette dernière par moment l'histoire en devient complexe et les phrases presque incohérentes. Parfois seulement deux mots viennent composer une phrase, parfois on recherche le sujet ou bien le verbe, parfois on s'égare et parfois on en vient à regretter que l'auteur ne soit pas un peu plus prolixe. La beauté de son talent écrivain réside dans cette tournure mystique des phrases, mais si ce style est prenant dans la première partie du livre, plus centrée sur la description des lieux, des relations et des mets, la seconde partie plus concentrée sur l'histoire du chef Charles-Henri en devient confuse. Ce qui n'empêche pas d'apprécier ce roman à loisir, d'en savourer toutes les nuances et d'en frissonner d'émotion.

Délicat est le maître-mot de ce roman, et à juste titre il trouve sa place dans chaque met exposé tout en décrivant au mieux les caractères artistiques de chaque personnage. Un petit bijou littéraire dans une langue subtile, épurée dans sa forme mais toujours pleine dans son fond. Un rêve qui prend consistance par le goût et la saveur, tantôt épicée, tantôt sucrée à l'image d'un marshmallow. Michelle Tourneur fait toucher à la perfection, palper à l'intangible et savourer la beauté.
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