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EAN : 9782070374151
277 pages
Gallimard (17/11/1982)
3.98/5   242 notes
Résumé :
L'épisode des Rois Mages, venus d'Arabie Heureuse pour adorer l'Enfant Jésus, s'il ne fait l'objet que de quelques lignes d'un seul des quatre Évangiles, a profondément frappé l'imagination des hommes depuis deux mille ans. C'est l'hommage des peuples lointains au Sauveur, c'est, plus encore peut-être, l'irruption superbe et stupéfiante des Mille et Une Nuits dans la grotte de la Nativité. Peu de scènes du Nouveau Testament ont aussi souvent et magnifiquement inspir... >Voir plus
Que lire après Gaspard, Melchior et BalthazarVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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De quelques lignes tirées du seul évangile qui les mentionne, l'auteur invente l'histoire des rois mages. Avant d'arriver devant la crèche et de participer à l'épiphanie, à l'apparition du dieu vivant et incarné, ces trois souverains ont dû partir, prendre la route à la suite d'une comète à la traîne d'or. Chacun poursuivait un but différent sans savoir que le petit enfant couché dans une mangeoire aurait le pouvoir de combler toutes les quêtes.

Gaspard est noir. Son amour pour la blonde Biltine, esclave trop belle, est un constant rappel de sa couleur de peau. « Je ne voulais rien reconnaître encore, mais j'en savais déjà assez pour comprendre que la blondeur était entrée dans ma vie par effraction, et qu'elle menaçait de la dévaster. » (p. 18) Dévasté par la trahison de son amante, empli de sanglots et de rage, Gaspard quitte Méroé pour oublier sa peine, son amour et fuir la blondeur. Sa caravane croise celle de Balthazar : le roi de Nippur est un esthète et un collectionneur d'art. Il cherche les plus belles images confectionnées par l'homme. Et puisqu'il est dit que Dieu a créé Adam à son image et à sa ressemblance, pourquoi est-il donc interdit d'aimer les images ? En les aimant, n'aime-t-on pas Dieu ? Hélas, l'idolâtrie est punie dans la religion de Yahvé. « Je sais maintenant que je ne retrouverai la lumière et le repos que le jour où je verrai se fondre dans la même image l'éphémère et bouleversante vérité humaine et la divine grandeur de l'éternité. » (p. 73) À la recherche de cette image et pour fuir l'étouffante rigueur de son royaume, Balthazar parcourt les rives de la Méditerranée pour collecter les beautés du monde.

C'est dans le palais d'Hérode que Melchior rencontre Gaspard et Balthazar. Prince de Palmyrène, Melchior a été dépouillé de son royaume par son oncle. Pour fuir la mort, il a pris la route avec un vieux domestique. Rêvant vaguement de retrouver son trône et les richesses de son pays, il pense se dissimuler dans la foule qui habite au palais d'Hérode à Jérusalem. Ce roi-là, le roi des Juifs, est majestueux et immensément puissant. « Je suis le roi d'Orient le plus ancien, le plus riche, le plus bénéfique à son peuple. Et en même temps, je suis l'homme le plus malheureux du monde, l'ami le plus trahi, le mari le plus bafoué, le père le plus défié, le despote le plus haï de l'histoire. » (p. 126) Hérode a tué tous ses fils : avançant en âge, il doute d'avoir un héritier. Et voilà qu'un astre chevelu annonce la naissance du nouveau roi des Juifs. le roi de Jérusalem envoie Gaspard, Melchior et Balthazar à la rencontre de cet héritier miraculeux, avec l'ordre impératif de venir lui rendre compte sous peine de représailles terribles. « Ils marchent vers l'étoile qui se hérisse d'aiguilles de lumière dans l'air glacé. » (p. 149) Et le voilà, l'enfant nu couché dans la mangeoire entre l'âne et le boeuf. Les trois souverains se recueillent humblement devant le futur sauveur des hommes, ce nouveau-né qui n'a rien de commun avec l'odieux Hérode. À genoux dans la paille, ils sont frappés par une profonde révélation d'amour. « Si tu attends d'un autre qu'il te donne du plaisir ou de la joie, l'aimes-tu ? Non. Tu n'aimes que toi-même. Tu lui demandes de se mettre au service de ton amour pour toi-même. L'amour vrai, c'est le plaisir que nous donne le plaisir de l'autre, la joie qui naît en moi du spectacle de sa joie, le bonheur que j'éprouve à le savoir heureux. Plaisir du plaisir, joie de la joie, bonheur du bonheur, c'est cela l'amour, rien de plus. » (p. 215)

Sur le chemin du retour, les rois mages rencontrent Taor, prince de Mangalore venu des confins de l'Inde à la recherche de la recette du rahat loukoum à la pistache. Taor est le quatrième roi mage, celui qui est parti trop tard et qui a manqué la rencontre avec l'enfant Jésus, mais celui qui préfigurera le sacrifice christique et qui, transfiguré par la première eucharistie, fera le premier l'expérience de la vie éternelle à ses côtés.

Si j'aime tant les textes de Michel Tournier, c'est parce qu'ils extrapolent à partir de textes fondateurs, religieux, païens ou historiques pour devenir de nouveaux textes fondateurs, ceux d'une mythologie littéraire complexe et sublime. Lisez le roi des Aulnes et Gilles et Jeanne. Lisez Vendredi ou les limbes du Pacifique. Et pour rester dans le champ biblique, lisez Eleazar ou la source et le buisson. En s'attaquant à des figures monumentales de la littérature, de l'histoire, de la culture populaire ou des religions, Michel Tournier forme des créatures en les ramenant à un niveau très humain : c'est au travers de leur destin qu'elles accèdent à nouveau au sublime, dépoussiérées et redorées, prêtes à défier une nouvelle fois l'éternité. « Les légendes vivent de notre substance. Elles ne tiennent leur vérité que la complicité de nos coeurs. Dès lors que nous n'y reconnaissons pas notre histoire, elles ne sont que bois mort et paille sèche. » (p. 44) Grâce à Michel Tournier, la légende des rois mages vivra longtemps.
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Quelques lignes dans l'évangile de Matthieu, la seule des quatre à mentionner l'existence des (Rois) Mages :
Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages d'Orient arrivèrent à Jérusalem, Matthieu, II:1
Ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l'adorèrent ; puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe, Matthieu, II:11

« Des mages venus d'Orient ». Combien ? Comment s'appellent-ils ? Plus précisément, d'où viennent-ils ? On l'a vu, l'évangile ne le mentionne pas…
Il faudra attendre l'Évangile arménien de l'Enfance, déclaré ultérieurement « apocryphe » par l'Église catholique romaine, pour découvrir leur nombre et leurs noms Gaspard, Melchior et Balthazar , et qui resteront dans la tradition populaire…

Michel Tournier n'est pas homme a se satisfaire de si peu… Aussi laisse-t-il libre cours à son imagination et nous dévoile leur histoire, telle qu'il l'imagine. Il nous entraîne comme dans un voyage initiatique au travers de l'Orient, à la rencontre de rois arabes, de Cléopâtre, d'Antoine… On franchit le Nil, l'Euphrate…Mais aussi et surtout, on fait connaissance avec trois Rois victimes chacun d'une catastrophe :
Gaspard est roi de Méroé en Afrique noire. Tombé amoureux fou d'une de ses esclaves, Blitine, une phénicienne qui le mènera aux confins du désespoir, il décidera de s'éloigner pour un temps de son royaume.
Balthazar, souverain de Nippur en Chaldée. Inconsolable après la destruction du musée auquel il a consacré sa vie, il part en expédition et rencontre Gaspard.
Melchior vient de perdre son père, roi de Palmyrène, dans des circonstances douteuses. Il est évincé de la succession par son oncle. C'est la fuite avec son précepteur et pour seul bien, une pièce d'or à l'effigie de son père.

Un chagrin d'amour, la destruction de l'oeuvre d'une vie, un « coup d'Etat »… Amour, Art, Pouvoir…

Et pourquoi ne seraient-ils pas quatre, les trois Rois Mages ?
Michel Tournier, vient de nous montrer avec Gaspard, Melchior et Balthazar que seules quelques préoccupations existentielles peuvent détourner l'homme de son destin : l'amour, l'art et le pouvoir ; ou leur privation.

Foin de privation pour Taor, prince de Mangalore. Rien ne le pousse hors de son royaume : il est gourmand et part en expédition à la recherche de la recette du rahat loukoum à la pistache. Amour, Art, Pouvoir et… Gourmandise. Il partira d'Inde ; c'est loin... Arrivé trop tard, il finira dans les mines de sel du roi Hérode.

Un voyage initiatique à quatre voix d'une très grande beauté, porté par la prose incomparable d'un Michel Tournier au sommet de son art.
« Gaspard, Melchior et Balthazar » est un des chef d'oeuvre de la littérature française du XXème siècle et Michel Tournier un écrivain majeur… Oublié du Nobel ? Dommage.
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Bien que la légende soit très prolifique sur la question, la Bible, elle, reste très succincte sur l'histoire des Rois Mages. Michel Tournier nous présente le parcours fictif qu'il imagine que ces trois ambassadeurs ont pris avant d'offrir leurs présents à Jésus...

Il existait un manque, Tournier l'a comblé. Les Rois Mages ont désormais une histoire, plus que de maigres représentations d'eux sur des chameaux censées les illustrer sur leur chemin. Ils ont désormais un nom, une vie, des soucis, des envies et des ambitions. Ils sont, grâce à Tournier, humains.
Chaque partie se concentre sur l'un des trois protagonistes et leur parcours jusqu'à Bethléem, avant que le livre bascule vers le portait d'Hérode, maître féroce des lieux à l'époque, la naissance de Jésus, et surtout le destin manqué d'un quatrième prince fictif, Taor, qui est arrivé trop tard pour rentrer dans le mythe. C'est plutôt bien construit et vraiment bien écrit, mais l'intérêt du lecteur n'est pas constant. Force est de constater que toutes les parties ne se valent pas, et que ça traîne souvent en longueur. J'ai pour ma part plutôt apprécié le récit de Balthazar, animé par le beau et effrayé par la vieillesse.
Cet ouvrage fictif qui cherche à agrémenter un récit biblique souffre néanmoins d'un grand paradoxe : on le lit peut-être parce qu'on s'intéresse à l'histoire des rois mages. Mais dès qu'on quitte l'imaginaire, dès qu'on quitte l'invention de ces trois vies et l'interprétation du règne d'Hérode, personnage historique contrairement aux autres, et qu'on revient dans la pure tradition biblique avec Marie et Joseph qui se cherchent un coin de paille pour accoucher de l'enfant Jésus, le livre perd en saveur car il rentre trop dans le religieux. Question de perception ? Peut-être qu'un lecteur fervent croyant apprécierait plus ce retour à l'essence même du mythe, le fait de laisser derrière soi l'imaginaire pour revenir dans un domaine connu. Pour une personne athée, c'est là que ça devient trop, assez cliché, même si encore une fois le style est magnifique.
Finalement, ce livre a plus de saveurs quand il reste dans l'invention. D'autant plus que les "rois mages" entreprennent tous leur voyage vers Bethléem sans savoir quel est leur but final, et en quittant leurs royaumes respectifs pour des raisons diverses et variées qui n'ont rien à voir avec le fait d'honorer le fils de Dieu. Car même s'ils sont plus ou moins mus par l'arrivée de la comète, ils ne prennent pas cela comme un signe divin. Ils la suivent, mais sans vraiment savoir pourquoi...
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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Les rois mages sont mentionnés dans un seul des quatre évangiles, celui de St Matthieu (chapitre 2, versets 1-7-16). On ne sait rien d'eux. La tradition rapporte qu'ils étaient trois : un évangile apocryphe, l'évangile arménien de l'Enfance, nous donne en effet leur nom, Gaspard, Melchior et Balthazar. Michel Tournier a imaginé qui ils étaient et ce qui les a conduits à se rendre chez Hérode, puis à la crèche.
Gaspard est ainsi roi de Méroé, en Nubie, région à cheval entre l'Egypte et le Soudan. Noir, déjà détenteur d'un harem de dix-sept femmes, il est séduit, sur un marché aux esclaves, par la blondeur de Biltine, une phénicienne dont il fait sa maîtresse. Mais Biltine va le tromper. Et Gaspard, très affecté, va voir dans le ciel une comète aux cheveux d'or...
Balthazar est le roi de Nippur, en Chaldée, l'actuel Irak. Riche et grand amateur d'art, il collectionne sculptures et mosaiques, dont il fait un musée. Mais ce "Balthazareum" va être mis à sac et détruit. Et Balthazar, très affecté, va voir dans le ciel une comète aux cheveux d'or...
 Melchior, enfin, est le prince héritier  de Palmyrène, la région de Palmyre, dans l'actuelle Syrie. Un coup d'État le conduit à fuir son pays. Et Melchior, très affecté, va se réfugier dans la capitale voisine, Jérusalem, et rencontrer Gaspard et Balthazar.
Avec un réel talent de conteur, Michel Tournier raconte comment les passions humaines qui animent ces trois hommes vont céder le pas devant une comète aux cheveux d'or, qui va les attirer dans son sillage et les faire marcher à sa suite. Grâce à Hérode le Grand, qui, "dans la soixante-quatorzième année de sa vie et dans la trente-septième de son règne", s'inquiète pour sa succession, entend parler de la naissance du petit roi des juifs et les oriente vers la crèche, ils vont découvrir que ce qui mène le monde ne rend pas l'homme heureux.
Amour, détention de biens matériels, pouvoir...
Ce qui m'a le plus marqué, c'est que Melchior, le prince-héritier pauvre et proscrit donne à l'enfant Jésus l'unique pièce d'or qu'il détient, gravée à l'effigie de son père. L'abandonnant, il renonce à son royaume pour partir à la recherche de celui qu'a promis le Sauveur...
Michel Tournier imagine aussi un quatrième roi mage : Taor, prince de Mangalore. A la recherche de la recette du "rahat loukoum" à la pistache, que pourrait bien lui donner le Divin Confiseur, il arrive trop tard à la crèche, déjà vide. Après une détention de trente-trois ans dans les mines de sel de Sodome, il sera libéré le jeudi saint, jour de la Cène, et sera ainsi le premier à recevoir l'Eucharistie.
Très documenté, Gaspard, Melchior et Balthazar est une mine de renseignements d'ordres historique et géographique : ainsi, on voyage au tombeau des patriarches, situé à Hebron, dans la grotte de Macpela, on visite les mines de sel de Sodome. Original, il offre aussi de belles réflexions sur le pouvoir (raison d'État, folie d'État), et surtout sur le verset de la Genèse relatif à l'image et à la ressemblance. Ces deux termes sont-ils redondants ou bien chacun a-t-il sa signification ? 
Gaspard, Melchior et Balthazar : une réécriture romancée des évangiles, dont un court chapitre sur l'âne rappelant le rôle joué par l'ange Gabriel. Un roman qui parlera davantage aux chrétiens, mais qui rend accessible à tous l'épisode des mages, qu'il éclaire d'un jour nouveau.
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Tour à tour Gaspard roi de Méroé, puis Balthazar roi de Nippur et enfin Melchior prince de Palmyrène relatent leur existence au moment où apparaît dans le ciel une comète qui semble avoir pour chacun d'eux un sens particulier. Chacun incarne une manière particulière de régner et quand tous se retrouvent, ils arrivent chez Hérode le Grand, tyran sanguinaire qui redoute de mourir sans succession. La dernière partie du récit est confiée à Taor, prince de Mangalore, lancé lui aussi dans une quête insensée.
C'est par petites touches successives que nous retrouvons ici l'histoire Sainte et cet éloignement et ce décentrement lui donnent un intérêt historique particulier. Chacun des trois rois a d'autres préoccupations que ce nouveau-né dans son étable, mais leur rencontre avec lui les transforme, une véritable épiphanie, en somme.
Cette lecture était un peu fastidieuse pour moi. C'est la succession des récits qui m'a semblé trop linéaire et a parfois été source de monotonie. Pourtant, comme les rois mages, j'ai suivi l'étoile, mais elle m'est restée inaccessible.
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Citations et extraits (65) Voir plus Ajouter une citation
Je suis un âne de pauvres. J’ai longtemps affecté de m’en féliciter. C’est que j’avais pour voisin et confident un âne de riches. Mon maître était un modeste cultivateur. Une belle propriété jouxte son champ. Un commerçant de Jérusalem y venait avec les siens passer au frais les semaines les plus chaudes de l’été. Yaoul, s’appelait son âne, une bête superbe, presque deux fois grosse comme moi, la robe d’un gris parfaitement uni, très clair, fin comme de la soie. Il fallait le voir sortir, harnaché de cuir rouge et de velours vert avec sa selle de tapisserie, ses larges étriers de cuivre, tout remuant de pompons, tout tintinnabulant de grelots. Je faisais mine de juger ridicule cet arroi de carnaval. Surtout je me souvenais des souffrances qu’on lui avait infligées dans son enfance pour faire de lui une monture de luxe. Je l’avais vu ruisselant de sang, parce qu’on venait de lui sculpter au rasoir en pleine chair les initiales et la devise de son maître. J’ai vu ses oreilles cruellement cousues ensemble par leur extrémité, pour qu’elles se tinssent bien droites, comme des cornes, alors que les miennes tombent lamentablement à droite et à gauche de ma tête, et ses jambes durement serrées dans des bandelettes afin qu’elles fussent plus fines et plus droites que celles des ânes ordinaires. Les hommes sont ainsi faits qu’ils trouvent moyen de faire souffrir plus encore ceux qu’ils aiment et dont ils sont fiers que ceux qu’ils détestent ou méprisent.
Mais Yaoul jouissait de sérieuses compensations, et il y avait une secrète envie dans la commisération que je croyais pouvoir manifester à son endroit. D’abord il mangeait chaque jour de l’orge et de l’avoine dans une crèche bien propre. Et surtout il y avait les juments. Pour bien comprendre, il faut d’abord mesurer la morgue insupportable des chevaux à l’égard des ânes. C’est trop peu dire qu’ils nous regardent de haut. En vérité, ils ne nous regardent pas, nous n’existons à leurs yeux pas plus que des souris ou des cloportes. Quant à la jument, eh bien pour l’âne, c’est le fin du fin, c’est la grande dame, hautaine et inaccessible. Oui, la jument, c’est la grande et sublime revanche de l’âne sur ce grand dadais de cheval. Mais comment un âne pourrait-il rivaliser avec le cheval sur son propre terrain, au point de lui souffler sa femelle ? C’est que le destin a plus d’un tour dans son sac, et il a inventé le privilège le plus surprenant et le plus drolatique du peuple des ânes, et la clef de ce privilège s’appelle : le mulet. Qu’est-ce qu’un mulet ? C’est une monture sobre, sûre et solide (emporté par les qualificatifs en s, je pourrais ajouter silencieux, scrupuleux, studieux, mais je sais que je dois surveiller mon goût excessif pour les mots). Le mulet, c’est le roi des sentiers sablonneux, des pentes scabreuses, des passages à gué. Calme, imperturbable, infatigable, il va…
Or quel est le secret de tant de vertus ? C’est qu’il ignore les désordres de l’amour et les troubles de la procréation. Le mulet n’a jamais de muleton. Pour faire un petit mulet, il faut un papa âne et une maman jument. Voici pourquoi certains ânes – et Yaoul était de ceux-là – choisis comme pères-de-mulet (c’est le titre le plus prestigieux de notre communauté) se voient offrir des juments pour épouses.
Je ne suis pas excessivement porté sur le sexe, et si j’ai des ambitions, elles se situent ailleurs. Mais je dois avouer que certains matins, le spectacle de Yaoul revenant de ses prouesses équestres, épuisé et saoulé de plaisir, me faisait douter de la justice de la vie. Il est vrai qu’elle ne me gâtait pas, la vie. Toujours battu, insulté, écrasé de fardeaux plus lourds que moi, nourri de chardons – ah cette idée d’hommes que les ânes aiment les chardons ! Mais qu’on nous donne donc une fois, une seule fois du trèfle et des céréales pour que nous puissions faire la différence ! –, et quand vient la fin, la hantise des corbeaux, lorsque, tombés d’épuisement, nous attendrons au revers d’un fossé que la mort miséricordieuse vienne mettre un terme à nos souffrances ! La hantise des corbeaux, oui, parce que nous voyons une grande différence entre les vautours et les corbeaux, quand nous sommes à l’heure ultime. C’est que les vautours, voyez-vous, ne s’attaquent qu’aux cadavres. Rien à craindre d’eux aussi longtemps qu’il vous reste un souffle de vie : mystérieusement avertis, ils attendant à distance respectueuse. Tandis que les corbeaux, ces démons, se précipitent sur un mourant, et le lacèrent tout vif, en commençant par les yeux…
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L'enfant de la Crèche est devenu noir pour mieux accueillir Gaspard, le roi mage africain. Il y a là plus que dans tous les contes d'amour que je sache. Cette image exemplaire nous recommande de nous faire semblable à ceux que nous aimons, de voir avec leurs yeux, de parler leur langue maternelle, de les respecter, mot qui signifie originellement regarder deux fois. C'est ainsi qu'à lieu l'élévation du plaisir, de la joie et du bonheur à cette puissance supérieure qui a nom : amour.
Si tu attends d'un autre qu'il te donne du plaisir ou de la joie, l'aimes-tu ? Non. Tu n'aimes que toi-même.
L'amour vrai, c'est le plaisir que nous donne le plaisir de l'autre, la joie qui naît en moi au spectacle de sa joie, le bonheur que j'éprouve à le savoir heureux. Plaisir du plaisir, joie de la joie, bonheur du bonheur, c'est cela l'amour, rien de plus.
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Richard Lucien Salmon dans "Le Grand Livre Apocryphe des Rois Mages" à la page 101, rend hommage à Michel Tournier: : ".... Beaucoup ont cru que le personnage de Taor et le pays du Mangalore étaient nés de l’imaginaire de Michel Tournier. En réalité, ce roi a bel et bien existé. Même la plus célèbre épopée indienne du Grand Bharata en fait état. Et ce n’est du pas du baratin ! Le nom de ce maharadja était trop compliqué pour que le prix Goncourt l’ait imposé à ses lecteurs. Lisez plutôt : « Porvaikko Perunarkilli » ! Il régnait sur le Cholamandalam qu’il administrait à partir de ses deux capitales, Mangalore et Tiruchirapalli. Cette dernière était à l’époque nommée Uraiyur. Quant à Mangalore, elle a été rebaptisée Bangalore, « la ville des haricots bouillis », tant Taor en était friand !
La contrée bénéficiait des longues côtes du Coromandel qui comptaient une myriade de ports d’où les marins tamouls d’origine dravidienne partaient commercer, en suivant et s’aidant des moussons, jusqu’en Chine ou dans l’empire romain. Afin d’améliorer l’agriculture de son pays, le roi entreprit la construction de barrages sur le fleuve Kaveri, un des plus importants de l’Inde du Sud.... "
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Et brusquement, en un instant, un évènement formidable s’est produit. Un tressaillement de joie irrépressible a parcouru le ciel et la terre. Un froissement d’ailes innombrables a attesté que des nuées d’anges messagers s’élançaient dans toutes les directions. Le chaume qui nous couvrait a été illuminé par l’éblouissante coulée d’une comète. On a entendu le rire cristallin des ruisseaux et celui majestueux des fleuves. Dans le désert de Juda, un friselis de sable a chatouillé les flancs des dunes. Une ovation montant des forêts de térébinthes s’est mêlée aux applaudissements ouatés des hiboux. La nature tout entière a exulté.

Que s’est-il passé ? Presque rien. On avait entendu, sortant de l’ombre chaude de la paille, un cri léger, et ce cri ne venait à coup sûr ni de l’homme, ni de la femme. C’était le doux vagissement d’un tout petit enfant. En même temps une colonne de lumière s’est posée au milieu de l’étable : l’archange Gabriel, l’ange gardien de Jésus, était là désormais, et prenait en quelque sorte la direction des opérations.
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Il faut marcher. Aller voir. Ouvrir ses yeux et son cœur à des vérités inconnues, tendre l'oreille à des paroles inouïes. Ils marchent, pressentant avec une tendre jubilation que peut-être une ère nouvelle va s'ouvrir sous leurs pas.
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Vidéo de Michel Tournier
Enseignante à l'Institut Universitaire Tous Âge d'Amiens, Micheline Foré avait invité Michel Tournier à présenter une conférence dans ce lieu. En raison de problèmes de santé, celui-ci lui proposa plutôt une rencontre chez lui au Presbytère de Choisel. S'en suivirent des échanges amicaux entre l'écrivain et l'enseignante. Leur rencontre eut lieu en mai 2008 en compagnie de sa fille Blandine et de deux amis, Françoise et Jean-Claude Leleux qui filma l?entretien. La librairie du Labyrinthe les remercie tous de lui avoir confié ces images afin de les monter et de les diffuser pour le plaisir de tous.
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