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Une nouvelle fois, Tournier entreprend de revisiter les mythes..

Lu il y a bien longtemps, les Météores me laissent un souvenir puissant et sulfureux: l'amour gémellaire et l'ordure sont les deux images fortes qui demeurent.

Pour Tournier, il n'y a qu'un seul amour heureux, l'amour de soi, ou plutôt de cet autre soi, de ce double que , depuis Platon, l'homme (ou la femme) pleure de retrouver. Seuls les jumeaux, fils de Castor et Pollux, les Météores, ont à portée de main ce double parfait à aimer...ou à détruire par dévoration.

Il existe d'autres variantes , moins absolues, de ce solipsisme amoureux, et l'homosexualité latente dans chaque livre de Tournier, de Vendredi au Roi des Aulnes, en est une variante.

L'oncle des jumeaux en est ici l'illustration: cet homosexuel triomphant règne sur le champ des déjections et déchets de Marseille; moderne alchimiste, il tire de l'or de l'ordure. Tandis que s'amoncellent les immondices putrides et magnifiques d'une société qui ne veut pas voir les traces qu'elle laisse, lui,comme un voyeur, décrypte son âme en interrogeant ce qu'elle rejette.

Les jumeaux se lancent dans une course-poursuite autour du monde à la recherche de leur moitié idéale, comme l'androgyne de Platon, et l'oncle est encerclé par l'incendie apocalyptique du champ d'immondices, les images et les signes stellaires ou telluriques se répondent et comme toujours chez Tournier, en marge d'un récit passionnant, nous marchons" à travers une forêt de symboles qui (nous) observent avec des regards familiers"...

Moins politique que Le Roi des Aulnes, moins familier que Vendredi, Les Météores sont un des grands textes de Tournier, à décrypter, à scruter, à interroger sans cesse..
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De l'écrivain ou du philosophe chez Michel Tournier, je ne sais pas lequel des deux me fait le plus peur, mais le fait est que j'aime masochistement le léger malaise que me procure son travail, éperdument la finesse et la profondeur de son écriture, intellectuellement l'originalité et la puissance lyrique d'analyse des thèmes qu'il aborde.
Ici, la gémellité, abordée sous ses aspects mythique, cellulaire, ontologique, affectif, à travers le destin de deux frères jumeaux, Jean et Paul, si semblables qu'on les appelle Jean-Paul, si intimes qu'ils communiquent entre eux par une langue de vent, si mêles qu'eux s'appellent Bep. Trop mêlés pour Jean, qui s'enfuira de par le monde à la recherche de son identité, poursuivi par Paul incapable de vivre sans son frère la condition de "sans pareil".
Tournier nous emmène aux quatre coins du monde et fouille très loin dans la singularité de la condition gémellaire, si unique et si autre que pour nous la faire toucher du doigt, nous autres sans pareils, il introduit entre Jean-Paul et le reste du monde bourgeois un personnage extraordinaire que j'ai adoré, l'oncle Alexandre, homosexuel raffiné, seigneur des gadoues, qui introduit le roman comme un sas d'entrée dans l'univers hermétique aux profanes des jumeaux.
Je n'ai évidemment pas tout compris, tout perçu, mais j'ai en revanche tout lu et ressenti avec un immense plaisir.
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Jean et Paul sont jumeaux. Ils se ressemblent tant que tout le monde a pris l'habitude de les appeler Jean-Paul. Fusionnels comme le sont souvent les couples de jumeaux identiques, Jean et Paul, les frères-pareils, avancent doucement dans l'existence. Mais la vie et les expériences vont peu à peu les séparer. Paul voudrait garder le couple uni et préserver la bulle gémellaire alors que Jean ne rêve que d'explorer et de s'ouvrir aux autres et au monde. « J'étais préposé à la garde de la cellule gémellaire. J'ai failli à ma vocation. Tu as fui une symbiose qui n'était pas amour, mais oppression. Les sans-pareils te faisaient des signes pour te séduire. » (p. 197) Quand les fiançailles de Jean échouent, ce dernier part à travers le monde, talonné par son frère qui fait enfin l'expérience de l'unicité et de la solitude, tout en comprenant l'ubiquité : lui et Jean sont pareils, mais en deux endroits différents. La rupture est enfin consommée. « Que la gémellité dépariée entraîne cette fausse ubiquité qu'est le voyage autour du monde, je ne le sais que trop – et je ne saurais dire où ni quand s'arrêtera mon voyage ? » (p. 512)

Une autre figure éclate tel un météore, celle de l'oncle de Jean et Paul. Alexandre est un homosexuel épanoui qui se surnomme le dandy des gadoues. Directeur d'une usine de traitement des ordures ménagères, il va d'une décharge à l'autre, superbe et fier au milieu de la crasse. Il y a un raffinement mystique et sexuel, une alliance du sublime et du prosaïque dans le portrait qui est donné des jumeaux et de l'homosexuel, le second rejoignant les premiers dans sa quête de son pareil, de celui qui lui ressemble. « le couple homosexuel s'efforce de former une cellule gémellaire, mais avec des éléments sans-pareils, c'est-à-dire en contrefaçon. […] Il cherche en gémissant le frère-pareil avec lequel il s'enfermera dans une étreinte sans fin. » (p. 387)

Michel Tournier se livre à une ambitieuse réflexion sur le couple, ou comment être deux en un ou un en deux. « Quand on a connu l'intimité gémellaire, toute autre intimité ne peut être ressentie que comme une dégoûtante promiscuité. » (p. 265) le cocon gémellaire doit éclater pour que les jumeaux ne s'asphyxient pas. Bénie et tendre pour les enfants, la gémellité est aussi monstruosité en ce qu'elle oppose des doubles confondus qui luttent pour s'identifier en tant qu'individus. Les jumeaux, ce sont une autre forme de l'hermaphrodite : dans le cas de Jean et Paul, le couple se déchire et lutte contre sa complétude pour retrouver son individualité.

Michel Tournier pourrait être un père de l'Église tant son discours religieux et théologique est profond et mystique, mais ce serait un père iconoclaste et subversif, un père qui abat les dogmes, ou plutôt qui les remodèle à l'image d'une société qui a évolué depuis les rois mages. « Je reste chrétien, bien que converti sans réserve à l'Esprit, afin que le souffle sacré ne balaie pas les horizons lointains sans s'être auparavant chargé des semences et des humeurs en traversant le corps du Bien-Aimé. L'Esprit avant de devenir lumière doit se faire chaleur. Alors il atteint son plus haut degré de rayonnement et de pénétration. » (p. 161) Prise telle quelle, cette citation est une merveille de dévotion, mais en lisant entre les lignes, on ressent surtout le chant d'amour d'un homme à un autre homme.

Ce roman est plein d'un lexique riche et complexe, savant dans tous les domaines : pour dire le monde et le représenter, il faut nommer les choses précisément. Et pour dire l'amour, Michel Tournier sait qu'il faut faire un effort incroyable pour éviter les banalités et les écueils du romantisme mièvre. « Rien n'est retenu, tout est donné et pourtant rien n'est perdu, tout est gardé, dans un admirable équilibre entre l'autre et le même. Aimer son prochain comme soi-même ? Cette impossible gageure exprime le fond de notre coeur et la loi de ses battements. » (p. 198 & 199) Là encore, il excelle à exprimer le plus beau des sentiments avec les plus belles des images. Et quand il parle du corps et de sexualité, jamais il ne se laisse prendre au piège du graveleux. « le sexe, la main, le cerveau. Trio magique. Entre le sexe et le cerveau, les mains, organes mixtes, intermédiaires, petites savantes de l'un et de l'autre, caressant pour le compte du sexe, écrivent sous la dictée du cerveau. » (p. 88) Toujours, tout est magnifié sous la plume de cet auteur.

On croise certaines figures d'autres romans de Michel Tournier. Sans être jamais nommé, Abel Tiffauges, l'ogre du Roi des Aulnes, saisit Jean dans une scène à la fois christique et horrifique. Il est aussi question du Robinson de Vendredi ou les limbes du Pacifique. Pour explorer un autre traitement de la gémellité comme complétude infinie et monstruosité, je vous conseille le livre des nuits de Sylvie Germain qui regorge de naissances multiples.
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Drôle de roman que ces météores! Double roman, un peu à l'image des jumeaux qui sont pour une bonne part les protagonistes du premier; car il y a aussi le journal de leur oncle homosexuel invétéré et assumé. Ces deux romans sont donc menés plus ou moins de front jusqu'à ce que Tournier décide de faire mourir cet "oncle scandaleux" au détour d'un chapitre, comme s'il avait épuisé tout ce qu'il avait en banque pour faire l'apologie de l'homosexualité. le roman part dans tous les sens de façon quasi imprévisible comme les phénomènes météo. J'ai trouvé là une liberté d'écriture qui dépasse celle des autres romans de cet auteur que j'ai lus. On retrouve bien sûr plusieurs thèmes chers à Tournier: les grands mythes fondateurs réinterprétés, la recherche de soi, la quête d'un absolu dans la relation à l'autre, le voyage initiatique... Ce roman est aussi le prétexte à exposer toutes sortes de thèses théologiques, philosophiques, voire écologiques; le prétexte aussi pour Tournier d'étaler sa science; comme s'il n'avait jamais pu se consoler de ne pouvoir enseigner. L' érudition étalée avec l'abondance de vocabulaire spécialisé et recherché, les métaphores, tout ce déballage a quelque chose qui relève de l'exhibitionnisme qui crée toujours chez moi une réaction épidermique d'agacement. Il n'en reste pas moins qu'au milieu de ce foisonnement, on peut extraire quelques pages de poésie qui touchent au sublime.
Ai-je aimé ou pas ? Je reste dans le domaine de l'indécision, de l'ambivalence; mais je ne regrette nullement cette lecture qui, si elle n'a rien de facile, ne m'a jamais pesé en dépit des quelque 650 pages.
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Après un Robinson dans « Vendredi ou les limbes du Pacifique », un ogre dans « le roi des aulnes », Michel Tournier nous présente, dans « Les météores », Jean-Paul. du moins les appelle-t-on ainsi, alors qu'il s'agit en vérité de deux frères jumeaux, Jean et Paul. Un couple indissociable tels que peuvent l'être parfois des jumeaux…
Et puis il y a l'oncle, homosexuel flamboyant, grand pourfendeur d'hétérosexuels et de lesbiennes, qui règne sur les tas d'immondices en Prince des Gadoues autoproclamé… En fait, le gérant de la SEDOMU : la Société de Ramassage des Ordures Ménagères.
Paul, qui entretient avec son frère des relations complexes, voire incestueuses, défend , lui, la suprématie d'une autre minorité : les jumeaux, fustigeant les « sans-pareil » qu'il accuse d'avoir dévoré leur jumeau dans le ventre de leur mère. Jean, perdu dans cette relation étouffante, et après que Paul aura fait capoter son mariage, décide de faire le tour du monde dont la longue traversée du Canada n'est pas sans rappeler un autre traversée… du désert, celle là …
Finalement, ce troisième roman de Michel Tournier est, comme les deux premiers, un foisonnement de symboles traversé par des fulgurances parfois dérangeantes, mais toujours flamboyantes au sens ou le gothique peu l'être. Il faut être Tournier pour dépeindre sans choquer (un peu quand même, parfois) des sexualités avérées ou supposées, hors normes, telles que celle de Jean-Paul scellée par le rite de la communion séminale. « Les météores » reste malgré tout un texte difficile à recommander sauf aux inconditionnels, comme moi, de l'auteur.
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C'est un très beau roman, publié à une époque (années 70) où un auteur pouvait sans crainte aborder des sujets que l'on estimerait pour le moins difficiles voire scabreux aujourd'hui. Ainsi je ne sais dans quelle mesure l'intense proximité des jumeaux vrais atteint vraiment la dimension sexuelle ("la communion séminale" d'ailleurs non décrite précisément) évoquée ça et là dans le livre mais cette allusion choquera sans doute davantage aujourd'hui qu'à l'époque de sa publication originelle.
Jean et Paul donc sont de vrais jumeaux nés dans les années 30 dans une famille bretonne bourgeoise. Ils ont un oncle scandaleux, Alexandre, un homosexuel qui se trouva forcé de reprendre une entreprise familiale de collecte d'ordures, activité qui lui valut le sobriquet auto-attribué de "dandy des gadoues".
Les destins de Jean-Paul et d'Alexandre sont parallèles. "Ni avec toi ni sans toi" pourrait être l'un des sous-titres du livre tant il illustre le caractère tragique de l'être humain, individualiste invétéré qui ne peut pourtant vivre seul, à la recherche de cet Autre sublime en forme de miroir. Alexandre est en quête de l'amour absolu qu'il manquera de peu et de même le couple gémellaire se dissoudra d'une manière finalement pas totalement élucidée.
Les gens sont souvent fascinés et admiratifs des jumeaux vrais. En ce qui me concerne je les ai très tôt perçus comme des êtres souffrant d'une certaine aliénation, incapables de s'épanouir totalement, l'autre leur étant nécessaire dans une existence la plus parallèle possible mais celle-ci suscitant précisément le rejet de la part du jumeau, souvent celui qui est dominé par le "gardien du temple", qui cherche à s'en affranchir.
L'auteur tire un parallèle entre la gémellité vraie (les jumeaux étant alors nécessairement du même sexe) et l'homosexualité (l'homosexuel recherchant son double narcissique, quête qui, elle aussi, est vouée à l'échec, du moins dans une certaine mesure, l'autre n'étant jamais totalement pareil et lorsqu'il l'est, il suscite paradoxalement un sentiment qui est de l'ordre du désir de meurtre) et en fait ce livre m'a intéressée pour le regard posé sur l'homosexualité bien plus que que pour la description des (més)aventures de la paire de jumeaux. J'ai aimé le personnage d'Alexandre et compati à son destin tragique. Par contre je me suis beaucoup moins attachée à la paire Jean-Paul qui, justement, en tant que repliée sur elle-même semble exclure le lecteur de leurs échanges circulaires. Ensuite, lorsqu'il se retrouvent séparés lorsque Paul a fait échouer les projets de mariage de Jean, les précipitant dans une course à travers le monde, Tourmier choisit de nous faire emboîter le pas de Paul, le gardien du temple de la gémellité, à la poursuite de Jean aspirant à l'autonomie. Or Paul m'était de loin le moins sympathique de la paire. Quelque part je ne pouvais m'empêcher de me dire qu'il avait bien cherché le sort qui lui était réservé et j'aurais préféré suivre Jean, l'âme voyageuse...
Il m'a d'ailleurs semblé qu'à partir de la mort d'Alexandre, lorsque le livre s'est vraiment concentré exclusivement sur le destin de Jean-Paul, la dimension est devenue davantage poétique et symbolique que véritablement narrative. Heureusement car le style de Tourmier est magnifique, l'un des plus beaux qu'il m'ait été donné de lire, et le plaisir pur de lire a alors compensé le relatif manque d'empathie ressenti pour ses personnages.
J'ai beaucoup aimé, même si ce roman peu conventionnel ne plaira pas à "tout le monde"...
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Entre roman et essai, un ouvrage brillant sur la gémellité, l'identité, l'homosexualité.
A relire, comme tout Tournier (ou presque).
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625 pages, oui, mais quel plaisir de lecture.
En résumé, Michel Tournier traite de deux sujets principaux, les jumeaux identiques et l'homosexualité.
Nés dans une famille bretonne, Jean et Paul,deux jumeaux identiques se ressemblent tant, qu'on les appelle Jean Paul comme une personne. Ceux-ci grandissent, font tout ensemble, arrive l'adolescence, alors on suppose qu'ils ont des unions fusionnelles jusqu'à partager dans une communion leurs liquide séminal. Très beau tout cela, jusqu'à ce que Jean voudrait se marier et le petit monde s'écroule.
A l'autre bout de la France, leur oncle Alexandre , homosexuel, mène sa vie, comme chef d'entreprise d'une société de traitement des déchets ménagers. On vit avec lui dans la crasse, dans les odeurs nauséabondes, entourés de rats et de mouettes, lui cherchant son conjoint dans les jeunes ouvriers.
Je ne peux que conseiller ce grand roman dont la lecture comme un grand météore m'a ébloui.
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C'était mon premier Tournier...

J'en ressors un peu cotonneuse, un peu endolorie, un peu fascinée. "Les météores" n'est pas un roman comme les autres. Il est remarquablement écrit, pour commencer... Et puis il imprime sur la peau, sur le ventre, sur le coeur. Il est un peu dégoûtant aussi, par moments, et ce n'est pas toujours nécessaire. Mais on en ressort avec un amour profond pour chacun de ses personnages très imparfaits, très humains.

"Les météores" est un roman de voyages. Plus ou moins agréables, dans des destinations plus ou moins enviables.

"Les météores" est un roman sur la gémellité, sur le couple gémellaire, sur le couple. Et pour moi qui côtoie depuis toujours ces questions, je le trouve aussi étonnamment pertinent.

"Les météores" est un roman d'amour. "Les météores" est un essai sociologique. "Les météores" est une pièce de théâtre avec de longs monologues. "Les météores" est un roman d'initiation.

"Les météores" est multiple. A l'instar des météores eux-mêmes...
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Magnifique roman, d'une autre époque, celle de grands romanciers extérieurs à ce que l'on appelle aujourd'hui l'autofiction. Il mêle déambulations romanesques et réflexions philosophiques, autour de la gémellité et du manque (de l'autre). le roman est polyphonique, donnant la parole à un narrateur indéfini et plus souvent à un des protagonistes de l'action.

L'action commence en 1937, en Bretagne Nord, dans les actuelles Côtes d'Armor, plus précisément dans la baie de l'Arguenon. La Cassine abrite une ancienne ferme où vivent un couple, Édouard et Maria-Barbara Surin, une ribambelle d'enfants, dont les derniers, 6 ou 7 ans - on ne sait plus -, sont des jumeaux, Jean et Paul. Une usine textile jouxte la maison, les Pierres Sonnantes, dont Édouard est propriétaire. Non loin, l'institution Sainte-Brigitte est spécialisée dans l'accueil et le séjour d'enfants handicapés.
Édouard fait de fréquents allers-retours à Paris, ou vit sa mère et où il mène une double vie. Alexandre, son jeune frère, y vit aussi : très attaché à sa mère, il est l'incarnation parfaite du dandy homosexuel, brillant, érudit, précieux, toujours en chasse. C'est le premier narrateur du roman.
Il vient d'hériter d'une charge qu'il trouve répugnante, puis à laquelle il s'adonne avec passion : la gestion des ordures ménagères de Roanne, Marseille, Paris, Casablanca, Deauville... Évoquant ses années de collège et ses premières émotions physiques avec ses camarades d'étude, il se lie à Thomas, dit Koussek, qu'il reverra par hasard lors d'une déambulation à Paris. Thomas, devenu curé, et lui auront une conversation passionnée, d'abord sur l'éloge de l'homosexualité et le mépris où l'on peut tenir le monde prolétaire hétérosexuel, ensuite sur des questions théologiques révélant la primeur du Saint-Esprit sur le Christ, et encensant la Pentecôte.
On retrouve Alexandre à Roanne, pris entre le flux des ordures et ses amours pour deux de ses éboueurs, entre une grève de ceux-ci et les pérégrinations autour du Trou du Diable. À Miramas-Marseille, Alexandre s'installe avec Sam, son chien, dans un vieux wagon, cerné par des rats et des goélands qui se font la guerre, tandis qu'un jour de mistral, son Daniel chéri qui tentait de le rejoindre connaît un sort funeste, servant de gueuleton à ces “gaspards“ boulimiques. Plus tard à Paris, c'est Sam qui disparaît. le périple d'Alexandre s'achève à Casablanca où il devait superviser la décharge d'Aïn Diab : effectuant sa dernière “chasse“ au milieu des docks de la ville, il connaîtra la lame de brigands dans ce lieu mal famé. Exit Alexandre et ses divagations homosexuelles.

Des deux frères-pareils, c'est Paul qui s'exprime le plus, peut-être le plus cérébral, en tout cas le plus attaché à la gémellité, sur laquelle il disserte volontiers. Gardien de la cellule gémellaire, il veille à éviter son éclatement, s'attache « à jouer le grand jeu gémellaire, à accomplir ses rites, à respecter son cérémonial ». Au contraire pour Jean, jumeau équivaut à infirmité, difformité, à l'instar de ces siamois dans des bocaux, aperçus dans une fête foraine. La cellule gémellaire est pour lui une oppression, qu'il cherche à fuir au travers du mariage. Paul intervint alors, donnant après coup une interprétation sans-pareil selon laquelle « par une manoeuvre félonne, il parvint à chasser l'intruse », puis arguant une explication propre à l'intimité gémellaire à laquelle ne peut succéder ce qui ne peut être qu'une « promiscuité dégoûtante ». Or, prenant prétexte d'une opposition entre cardeuses, semeuses de discorde, et ourdisseuses pourvoyeuses de bien, au sein de l'usine des Pierres Sonnantes, Paul pose comme élucidation « qu'au fond cet apparent mariage de Jean avec Sophie n'était qu'un divorce avec moi ».

Jean va fuir ce qu'il nomme « esclavage gémellaire » et disparaître aux yeux de son frère en sillonnant le globe. Il fuit d'abord à Venise où devait se faire son voyage de noces. Paul, dans les pas de son frère, s'y retrouve, rencontre des gens qui ont croisé Jean, réalise que le temps astronomique (saisons, solstices, équinoxes) n'est pas le temps météorologique, celui des météores, des évènements climatiques, le second toujours en avance sur le premier. Paul apprend que Jean est à Djerba et il en prend le chemin, constatant là que son frère a déjà fui. Dérangeant à peine un vieil alcoolique qui vient de perdre sa moitié, créatrice d'un magnifique jardin ravagé par un orage, il poursuit sa quête, conduit en Islande puis au Japon : le soleil éternel de l'île des Lotophages, les jardins japonais natures ou miniatures, des rencontres déterminantes ponctuent son périple, occasionnent ravissement et conviction qu'il doit persévérer. Et puis c'est le Canada, Vancouver et son phoque perché sur un rocher, le train qui gravit les Rocheuses et la Grande Prairie, enfin Montréal puis Berlin. On est en 1961 et c'est la construction du Mur, conjugué à des pluies incessantes et des coulées de boue, qui sera la cause du drame final...

L'écriture de Michel Tournier a quelque chose de magique. Une conjuration qui affecte des passages entiers, chaque phrase semblant comme prise, pénétrée dans une sorte de cocon doux, empli de mots caressants ou extravagants, d'images clémentes ou infernales, de jugements subtils et d'idées singulières, le tout baignant dans une sorte de confiance heureuse.
Son style, son univers sont absolument personnels, faisant advenir des mythes comme la gémellité, l'androgynie ou la tendresse homosexuelle, voire le jardin japonais, célébrant la vie, la nature, le cosmos et ses saisons, mêlant raison - rationalisme, réalisme - et imagination - utopie, légendes. Il faut lire et relire Michel Tournier.
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