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sur 1822 notes
Robinson Crusoé, je l'ai rencontré trois fois.

Ma première rencontre était toute filiale: mon père (ce héros au sourire si doux) lisait à ses filles, le soir au coin du feu, le livre de Daniel Defoê, un de ces "livres de garçon" qu'il avait aimés, enfant - peut-être pour oublier qu'il n'y avait que des pisseuses pour l'écouter. Nous écoutions d'ailleurs religieusement, passionnées surtout par l'installation de Robinson- ah ces pisseuses, si platement domestiques parfois!- , et par ses rapports avec le pauvre Vendredi,que nous trouvions gentil mais un peu neu-neu..

La deuxième a été touristique et parisienne: venue à Paris avec mes parents pour la première fois, nous écoutions tous les trois avec le plus grand respect -c'était avant 68...- un gardien de la paix , comme on disait encore, nous expliquer comment nous diriger, quand nous avons vu passer, derrière nous, place Vendôme, sortant du Ritz et se rendant sans doute chez van Cleef et Arpels, une vieille momie embijoutée, couverte d'un long manteau de fourrure et portant un improbable couvre-chef, large comme un sombrero, tout en fourrure lui aussi. le policier s'est alors tourné vers nous avec un sourire malicieux: "Vous avez vu? C'est Robinson Crusoé!". j'en ai conclu -un peu hâtivement- que les flics parisiens étaient cultivés et pleins d'humour...

Ma troisième rencontre a été littéraire et décapante: c'était - nous y voilà!-en lisant le livre de Michel Tournier!

Le vieux mythe du rescapé débrouillard et du bon sauvage domestiqué en a pris un coup! L'épisode pour moi le plus troublant a été ce retour à la soue, cette régression nécessaire de Robinson à l'utérus de notre mère la Terre, avec l'incroyable épisode des mandragores incestueuses, nées de sa copulation frénétique avec la Grande Mère...On était bien loin du Robinson britannique, keep a stiff upper lip, tâtillon et super-organisé...Back to the trees, le Robinson de Tournier! Vendredi à côté avait tout d'un coup l'air bien raisonnable, même s'il était évident qu'il avait lui aussi des choses à reprendre en main, et bien des doléances à présenter à l'Occident civilisateur...la colonisation étant passée par là.. Et il a commencé à piquer à ce psychopathe de Robinson le titre du livre. Plus de "Robinson", place à "Vendredi"!!

Aussi ai-je été furieuse de voir ce magnifique et tonique récit perdre toute saveur et toute couleur quand Tournier s'est avisé de châtrer son texte -exit les mandragores et la fornication dans les terriers- pour le mettre à la portée des mioches, comme s'ils ne pouvaient lire le vrai, en attendant peut-être encore un peu...

Quand je relis Vendredi -le hard, pas le light- je pense toujours à cette chanson de Higelin:

"A faire l'amour avec la terre,
j'ai enfanté des p'tits vers blancs,
qui me nettoient, qui me digèrent,
qui font leur nid au creux d'mes dents!"

Oui," Vendredi" de Tournier, rencontre du troisième type: un grand moment de méditation philosophique et d'émotion littéraire!
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Je n'ai encore jamais lu "Robinson Crusoé" de Daniel Defoe, dont "Vendredi ou les limbes du Pacifique" en est la réécriture. J'ai en revanche lu il y a quelques temps déjà "Vendredi ou la vie sauvage", qui est une adaptation jeunesse. Je ne peux donc faire la comparaison avec le premier, et n'en ferai pas avec le dernier, le public visé étant différent.

Le hasard a voulu que je termine ce roman un 19 décembre, alors que l'histoire se termine également un 19 décembre, mais avec quelques années d'écart... Car effectivement, c'est le 19 décembre 1787 que le Whitebird atteint la côte de Speranza, petite île encore inconnue qui a reccueilli 28 ans plus tôt Robinson Crusoé, seul rescapé du naufrage de la Virginie qui a eu lieu en septembre 1759.

Oui cela fait 28 ans que Robinson a échoué sur "l'île de la désolation", nom qu'il lui affublait au départ. Totalement seul dans cet endroit sauvage et désert d'humanité, il a d'abord sombré dans la folie avant de se reprendre en main. Pour ce faire, il a occupé son corps et son esprit quotidiennement. Son corps grâce à diverses constructions, élevages et cultures. Son esprit grâce à la tenue d'un journal de bord un peu particulier, puisqu'au lieu d'y retranscrire son quotidien, il y étale ses moments d'égarement méditatif. L'île de la désolation est renommée Speranza, il est élu à l'unanimité (forcément !) Gouverneur, ce qui lui octroie les pleins pouvoirs. L'île est désormais administrée d'une main de fer, une charte et un code pénal ont d'ailleurs été établis. Robinson a désormais un but. Une routine s'installe en même temps que sa perception de la vie se transforme. Tout est bien carré, tout est organisé, tout est orchestré au rythme de la clepsydre qu'il s'est fabriqué avec les moyens du bord. Mais voilà qu'un indigène, qu'il a sauvé par erreur et qu'il nommera Vendredi, vient chambouler toute cette routine et l'amènera une nouvelle fois vers d'autres prises de conscience...

Avec une narration entrecoupée d'extraits du journal de bord, nous nous retrouvons dans un roman à la fois d'aventures, initiatique et philosophique, dans lequel nous assistons à l'évolution de l'état d'esprit de Robinson. On le voit s'adapter à son environnement, à la solitude. On le voit passer de survie à la vie, du désespoir et au renoncement à la liberté. On fait face à tous ses ressentis, toutes ses élucubrations philosophiques. On ne peut reprocher à l'auteur de ne pas avoir suffisamment creusé son personnage principal, physiquement aussi bien que psychologiquement.

Tout comme on ne peut lui reprocher d'avoir rendu Speranza bel et bien vivante, imposante. Au-delà des descriptions de son engencement, des différentes zones naturelles et de sa faune et sa flore, l'auteur lui octroie une âme, un corps et un genre aussi peut-on dire. Elle a sa place et son rôle à jouer dans l'évolution qui s'opère en Robinson.

La relation entre Robinson et Vendredi a également une grande part dans l'histoire. Il a été intéressant de voir les liens se transformer petit à petit. Car s'il y a en premier lieu un rapport de force entre eux, une relation maître/esclave, chacun sera l'égal de l'autre à la fin. On assiste dans cette relation à de mini-transformations, instillées au fil des pages, au fur et à mesure que l'état d'esprit de Robinson se transforme à son tour.

Un contexte et un environnement savamment bien décrits. Une dimension psychologique et des ressentis admirablement développés. Une intrigue très intéressante. Une plume agréable, fluide et travaillée. Et pourtant, qu'est-ce que ça peut traîner en longueur par moments ! Les spéculations philosophiques de Robinson ont plus d'une fois failli m'achever, aussi bien que l'inaction dans certains passages, qui peuvent durer sur plusieurs pages.

En enlevant la préface et la postface, le récit n'atteint pas les 240 pages, j'ai pourtant eu l'impression d'en avoir lu le double... Mais bon, malgré cette "mollesse" ressentie, j'ai tout de même réussi à apprécier ma lecture, grâce aux nombreux points positifs relevés plus haut.
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Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, Michel Tournier nous invite à visiter ou revisiter le célèbre mythe littéraire de Robinson Crusoé, créé par Daniel Defoe, publié en 1719 et que j'avais lu il y a très longtemps.
C'est un mythe intemporel, inaltérable, mais ici vous l'aurez compris rien qu'au titre, deux cent cinquante ans après l'oeuvre originelle, Michel Tournier s'intéresse davantage au personnage de Vendredi...
Je vous fais grâce des premières scènes du naufrage, les premiers jours sur l'île, l'apprentissage d'une autre existence par Robinson, puis la rencontre de celui qu'il appellera Vendredi et les raisons pour lesquelles il lui choisit ce nom. Oh ben si, tiens, regardons un peu ce que Robinson écrit dans son journal à ce propos.
« Il fallait trouver un nom au nouveau venu. Je ne voulais pas lui donner un nom de chrétien avant qu'il ait mérité cette dignité. Un sauvage n'est pas un être humain à part entière. Je ne pouvais pas non plus décemment lui imposer un nom de chose, encore que c'eût été peut-être la solution de bon sens. Je crois avoir résolu assez élégamment ce dilemme en lui donnant le nom du jour de la semaine où je l'ai sauvé : Vendredi. Ce n'est ni un nom de personne, ni un nom commun, c'est à mi-chemin entre les deux, celui d'une entité à demi vivante, à demi abstraite, fortement marquée par son caractère temporel, fortuit et comme épisodique... »
On lit ici toute l'arrogance et le mépris de Robinson Crusoé, qui se définit sur son île comme une sorte de garant de la civilisation qu'il représente, à l'égard du « bon sauvage », mais en contrepoint on devine aussi toute l'ironie modante de Michel Tournier à l'encontre du comportement des hommes soi-disant civilisés...
À travers de très belles pages, Michel Tournier nous invite à une magnifique ode à l'altérité. C'est dans l'apprentissage de cette solitude que Robinson cerne à jamais en creux l'altérité qui imprègne l'humanité.
C'est aussi dans cet apprentissage qu'il faut désapprendre des gestes séculaires où l'altérité pesait comme une règle de vie.
Roman de l'apprentissage, de la métamorphose, roman de la transformation de Robinson. Vendredi ne serait rien sans Robinson, Robinson ne serait rien sans Vendredi, c'est l'altérité de l'un qui transforme l'autre dans une île qui est le creuset essentiel de ce récit.
J'ai aimé cette manière qu'a Michel Tournier de féminiser cette île, de lui donner un prénom de femme, Sperenza, de la sexualiser, puisque désormais Robinson est condamné à une forme de solitude extrême, dont cependant tout homme condamné à une telle réclusion solitaire et doté d'un poignet agile peut s'en contenter n'est-ce pas ? Mais rien ne remplacera l'être aimé. Et l'île devient cet être aimé, désiré, chéri...
C'est la promesse sauvage d'une île, immense et vierge... C'est la promesse d'une solitude, comme une épouse implacable. L'intimité la plus secrète de l'île devient un désir. Et l'île devient peu à peu une personne, d'une nature indiscutablement féminine, prête à répondre aux besoins nouveaux du coeur et de la chair de Robinson... Il s'éprend de cette île jusqu'à lui faire l'amour dans d'étreintes voluptueuses...
Et quand Vendredi débarque dans la vie de Robinson, c'est presque comme un intrus qui ferait irruption dans la vie intime d'un couple. Cela dit, pour Robinson c'est l'occasion rêvée de mettre en pratique la charte qu'il a rédigé quelques temps après son arrivée sur l'île ainsi que son code pénal particulier.
Vendredi devient alors autrui... C'est lui qui va achever la métamorphose commencée par Robinson, lui en révéler le sens. Vendredi est l'autrui qui dérange, donc totalement utile et nécessaire dans la métamorphose de Robinson, dans cette altérité retrouvée.
Michel Tournier fait de Vendredi un passeur et c'est beau.
L'île Speranza en deviendrait presque une amante délaissée, abandonnée, sauf qu'à la différence du Robinson de Daniel Defoe, celui de Michel Tournier voudra à jamais se fondre dans la plénitude solaire de son amante retrouvée.
Auteur d'un roman initiatique, Michel Tournier m'a invité dans cette inspiration magnifique à regarder l'humanité d'une tout autre manière.
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Troublant et magnifique voyage dans la transmutation d'un homme depuis sa vile condition matérielle jusqu'à la plénitude solaire de sa véritable nature.

Pour me soustraire aux bruits du monde, j'ai découvert avec ce riche roman un nouveau lieu de réclusion littéraire après La montagne magique de Thomas Mann : c'est l'île de Robinson, personnage central du livre, fouettée de vents purificateurs, gorgée de vie primale, de ressources inviolées, de terre féconde et de secrets ancestraux au fonds de ses grottes.
Le chemin est long et douloureux, sexe et mort s'imposent et se confondent pour Robinson qui viole la terre de l''île qui en retour le psychanalyse de force. On est loin de Vendredi ou la vie sauvage, la version pour enfants qui fit pourtant déjà tant rêver alors...

Terre d'exil et de découverte de soi, cette île magique agit comme une porte d'accès à la catharsis, pour peu qu'à l'instar de Robinson on se dépouille, aidé de Vendredi, de ses oripeaux sociaux et matériels, et que l'on abandonne sa volonté de contrôle pour parvenir à un état de quasi divinité solaire. Et à la paix absolue des dernières pages du roman.
Incontournable!
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Dans ce roman - dont j'avais lu une première approche avec Vendredi ou la vie sauvage, adaptation pour enfants de ce texte - Michel Tournier revisite le Robinson Crusoe de Defoe. Mais si l'intrigue est la même - Robinson se retrouve seul survivant d'un naufrage sur une île déserte où il doit survivre avec ses seules ressources, avant de trouver un compagnon, Vendredi, et d'être sauvé par un navire de passage - le point de vue est totalement différent. Michel Tournier explore les implications intimes et psychologiques de la solitude, chez un homme entiérement livré à lui même. Après l'espoir d'être sauvé, le renoncement et la tentation de l'animalité, Robinson reconstruit, jusqu'à l'absurde, une société ordonnée et policée, dans un espace sans société. Un enfermement qui vole en éclat sous l'impulsion de Vendredi, d'abord vu comme un sauvage à civiliser, avant de devenir celui par qui Robinson acceptera sa propre personne. D'une très grande richesse d'analyse et d'écriture, ce livre est à lire et à relire, pour la beauté des images, la richesse des symboles (ah, la harpe éolienne) et la profondeur de la réflexion sur le psychisme humain. Un classique du 20e siècle.
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R oman philosophique passionnant...
O de à Dame Nature et à la Création...
B rillante écriture, percutante et riche...
I nvitation intense à l'introspection...
N uits obscures de doutes et de peurs...
S entiments de profonde appartenance à Gaïa...
O uverture à l'Autre, à sa différence...
N ouveaux territoires intimes à explorer sans cesse...

ET... ?
HAIT...?
EST... ?

V ictoires sur des pulsions bassement humaines...
E nfantement de son être profond...
N aissance et renaissance...
D angereuses pensées de pouvoir et de domination...
R encontre qui relève et fait cesser l'aliénation...
E merveillement devant l'astre divin...
D anse de la vie qui fait sens...
I ntense allégresse devant l'homme nouveau !

Vendredi ou les Limbes du Pacifique, c'est tout cela et bien plus encore ! Une lecture passionnante. Un roman a étudier longuement. Une découverte qui donne envie de s'exiler sur une île déserte... ou presque !
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Michel Tournier revisite l'aventure de Robinson Crusoé avec une profondeur philosophique et une élégance de style encore jamais atteinte dans la série.

Robinson a toujours été perçu comme le héros de la reconquête de l'homme sur la nature, de la reconstruction du monde ancien sur une terre nouvelle. Robinson, comme Prométhée, s'oppose à la nature et décide d'organiser le monde à sa façon. Absurdement il agit dans sa vie solitaire comme si autrui était encore là. Il nie la solitude et ses effets. Pourtant, chez le Robinson de Defoe, elle ne peut qu'exister. Voilà ce que Michel Tournier a été le premier à montrer quand dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique il a posé comme problématique non la reconquête du monde perdue mais la vie sans autrui et les changements d'objectif qu'elle implique.

Contrairement au roman de Defoe qui s'attarde sur la jeunesse de Crusoé, tout débute ici par la scène du naufrage précédée d'une inquiétante séance de cartomancie dans lequel le capitaine van Deyssel révèle sous forme codée sa vie future à Robinson. Puis survient le naufrage et les différentes tentatives de Robinson pour apprendre à vivre sans autrui et notamment pour transformer sa sexualité : après la soue qui l'avilit en le ravalant au niveau des bêtes, Robinson se jette dans une tentative de récréer le monde dont il vient tout en amorçant sa lente transformation en un être solaire, élémentaire qui s'épanouit dans l'île en dehors de toute contrainte et de tous tourments.

Le processus est déjà bien amorcé quand surgit Vendredi qui précipite les choses en détruisant involontairement tous les édifices construit par Robinson pour singer la société anglaise puis en lui proposant une autre vie, plus épanouie et tournée vers le ciel. Quand le premier bateau arrive dans l'île, Robinson n'est déjà plus apte à vivre parmi les hommes et choisit, au contraire du Robinson de Defoe, de demeurer dans l'île de Speranza. Tournier a ainsi montré un lent et fascinant processus de métamorphose étroitement lié au questionnement sourd de Robinson sur le but de sa vie.

En plus de sa profondeur philosophique, le roman est merveilleusement bien écrit avec quelques paragraphes d'une poésie touchante idéale pour un premier contact avec ce roman difficile.
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Robinson, naufragé sur cette île de la désolation, contraint de vivre sur un ilot de temps perdu dans l'espace, se retrouve entre ciel et enfers, dans les limbes du Pacifique. Il n'a pas de barreaux devant les yeux, mais cette immense « plaine métallique clouée par les flèches du soleil », qui l'hypnotise et le désole. Il n'existe plus pour l'humanité, tous le croient mort.

Il s'arrache enfin à la vue de l'Océan, l'espoir renaît. Cependant, la construction de l'Évasion lui fait entrevoir sa grande solitude. Il est livré à son seul point de vue et, sans la présence d'autrui, il se perd dans son obsession, aucune distraction ne vient le déranger, il en oublie un élément essentiel ; le problème de la mise à flot de son embarcation.

L'homme sans autrui sur une île va devoir revoir son échelle des valeurs. Le vice, devient la souille, dans laquelle Speranza, l'île qui représente désormais son seul avenir, le chasse quand elle devient mauvaise. La souille représente la défaite de l'homme ; l'abandon, la résignation, le renoncement. La vertu est le courage, la force, l'affirmation de soi, la maîtrise de l'île.

Accepter son île et se faire accepter d'elle devient alors son objectif. Il domestique l'île et il domestique le temps. La clepsydre lui donne une impression de pouvoir, de maîtrise. Restaurer le temps équivaut pour lui à reprendre possession de lui-même. La culture, l'élevage, l'écriture, les rituels et la clepsydre l'empêchent de devenir un homme sauvage.

Mais l'arrivée de Vendredi va faire voler en éclats cette belle organisation. Deux points de vue s'opposent : celui de l'Anglais méthodique, avare et mélancolique, et celui du natif primesautier, prodigue et rieur. Ainsi débute une nouvelle vie sur l'île pour Robinson.

Sa métamorphose continue. Cette île cachée qu'il avait aperçue derrière Speranza va se montrer dans toute sa splendeur. Robinson sera désormais transporté dans cette nouvelle île, dans « ce moment d'innocence », loin de sa tentative de domesticité de l'île. Hors du temps, hors de la civilisation. Robinson a trouvé son équilibre. La solitude ne lui pèse plus, il est en accord avec les éléments de l'île. Sans la présence d'autrui, il n'y a plus d'individu, il n'y a plus de « je ». Robinson se confond avec les éléments.

Le bouc tué par Vendredi, transformé en cerf-volant musical, qui s'élève dans les airs, est à l'image du nouveau Robinson. Il s'est élevé lui aussi, il devient un « être solaire », un sage, vivant hors du temps, dans un éternel instant, hors de l'humain.

Enfin, il se rend compte, lorsque le Whitebird accoste l'île, qu'il ne peut plus retourner dans le monde des hommes, dans ce monde de ruines, de violence, de cupidité et de vulgarité. Il a trouvé une autre façon d'exister. L'absence d'autrui l'a libéré, lui a fait entrevoir un monde différent, aérien, éternel, dans lequel il fusionne. Mais, sans la présence d'autrui, Robinson existe-t-il encore ?

Roman d'aventures qui aborde la question d'autrui, de la société, de la religion, de la connaissance et de la perception. Un roman riche, philosophique intrigant et fascinant.
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Je ne sais pas trop pourquoi, je trainais ce livre dans ma PAL depuis de nombreuses années et je crois qu'il a du vivre au moins trois déménagements...C'est dire l'ancienneté qu'il avait...
Rien de tel qu'un petit challenge pour dépoussiérer la dite PAL et voilà, je suis partie dans le Pacifique avec Robinson...et Vendredi.
Tout le monde connait l'histoire de Robinson Crusoé, mais Michel Tournier va plus loin dans l'histoire de ce survivant.
Il nous raconte l'évolution de Robinson, naufragé au demeurant moyennement sympatrique, qui va essayer de modeler l'ile où il s'est échoué selon ses critères occidentaux et, il faut le dire, quelquefois tous à fait inadaptés.
Ce n'est que grâce à l'arrivée de Vendredi que Robinson va enfin pouvoir évoluer.
Après avoir entretenu des rapports forts étroits avec l'ile qu'il considère comme son bien ( à moin sque ce ne soit le contraire ) , Robinson essaye de dominer et de domestiquer Vendredi...
Ce n'est qu'au terme de bien des aventures qu'il va enfin comprendre que le jeune métis est une personne ressource et qui va lui permettre de se révéler enfin à lui-même....
Un livre empreint de poésie, de philosophie et qui ne laisse pas indifférent...

Challenge ABC 2015/2016
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Avant celle de Vendredi, c'est l'histoire de Robinson, seul rescapé du naufrage de la Virginie, qui nous est contée ici, histoire inspirée du Robinson Crusoë de Daniel Defoe.
Robinson vient donc de s'échouer sur la plage d'une île inhospitalière située au large du Chili.
Il va traverser plusieurs étapes durant les longues années de son séjour sur l'île qu'il baptisera Esperanza et on assistera, au fil de ces différentes phases, jalonnées de rituels initiatiques, à un véritable processus de métamorphose du personnage.
La première de ces phases est celle de l'hébétude, de l'horreur et du découragement, quand il comprend qu'il n'y a pas âme qui vive sur le territoire, et qu'il va lui falloir vivre sans autre, sans Autrui, sans un regard qui lui confère une identité et qui seul peut donner du sens à ce qu'il voit et perçoit. L'apparition du chien du bateau, sera source de soulagement, son regard et son semblant de sourire lui apportant une possibilité d'interaction.
Sans reflets ni repères, Robinson n'a plus de visage, d'amour propre. Dans un mouvement de repli, il se vautre, comme un animal, dans la boue, la fange, la souille.
Il se relève bientôt et entame une autre période, où pour retrouver son statut d'humain et de citoyen, il recrée les lois, les règles, les institutions, les contraintes d'une vie sociale. Au moyen d'une clepsydre, il recrée même le temps qu'il avait complètement abandonné, et commence, en parallèle, à livrer ses réflexions à un journal de bord. de cette manière, il a l'impression, un peu vaine, de maîtriser le cours des choses et les évènements.
La deuxième partie du livre est consacrée à la rencontre avec Vendredi, qu'il sauve fortuitement d'un massacre commis par des indiens, et à la transformation de leur relation qui évoluera de celle de maître à esclave vers un lien plus fraternel et égalitaire au travers de la contemplation partagée du soleil.
Un bateau accostera vingt-huit ans plus tard, mais Robinson et/ou Vendredi feront-ils le choix de monter à son bord et de quitter l'île ?
L'île Esperanza fait partie des principaux personnages du livre. Omniprésente, elle représente une figure maternelle, puis une amante. Robinson se consacre pleinement à elle. Il traverse à ses côtés, les moments les plus forts de son processus de transformation. Il régresse, à un stade animal, dans la souille, où il perd toute humanité. Il revit ensuite la période foetale, en se lovant dans une poche aux tréfonds d'une grotte. Il l'ensemence plus tard, ce qui donne naissance à de somptueuses mandragores.
Aux forces telluriques, dans lesquelles Robinson puise son énergie, viendra plus tard s'adjoindre celle du soleil.
Michel Tournier nous offre un magnifique et profond roman initiatique, mêlant mythes et réflexion philosophique, autour de la destinée d'un homme qui parvient, seul, à se reconstruire, en dehors de la civilisation, dans la confrontation et la communication avec les éléments. Sublime !
Pourquoi ai-je attendu cinquante ans pour le lire ?
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