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sur 1823 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Robinson Crusoé, je l'ai rencontré trois fois.

Ma première rencontre était toute filiale: mon père (ce héros au sourire si doux) lisait à ses filles, le soir au coin du feu, le livre de Daniel Defoê, un de ces "livres de garçon" qu'il avait aimés, enfant - peut-être pour oublier qu'il n'y avait que des pisseuses pour l'écouter. Nous écoutions d'ailleurs religieusement, passionnées surtout par l'installation de Robinson- ah ces pisseuses, si platement domestiques parfois!- , et par ses rapports avec le pauvre Vendredi,que nous trouvions gentil mais un peu neu-neu..

La deuxième a été touristique et parisienne: venue à Paris avec mes parents pour la première fois, nous écoutions tous les trois avec le plus grand respect -c'était avant 68...- un gardien de la paix , comme on disait encore, nous expliquer comment nous diriger, quand nous avons vu passer, derrière nous, place Vendôme, sortant du Ritz et se rendant sans doute chez van Cleef et Arpels, une vieille momie embijoutée, couverte d'un long manteau de fourrure et portant un improbable couvre-chef, large comme un sombrero, tout en fourrure lui aussi. le policier s'est alors tourné vers nous avec un sourire malicieux: "Vous avez vu? C'est Robinson Crusoé!". j'en ai conclu -un peu hâtivement- que les flics parisiens étaient cultivés et pleins d'humour...

Ma troisième rencontre a été littéraire et décapante: c'était - nous y voilà!-en lisant le livre de Michel Tournier!

Le vieux mythe du rescapé débrouillard et du bon sauvage domestiqué en a pris un coup! L'épisode pour moi le plus troublant a été ce retour à la soue, cette régression nécessaire de Robinson à l'utérus de notre mère la Terre, avec l'incroyable épisode des mandragores incestueuses, nées de sa copulation frénétique avec la Grande Mère...On était bien loin du Robinson britannique, keep a stiff upper lip, tâtillon et super-organisé...Back to the trees, le Robinson de Tournier! Vendredi à côté avait tout d'un coup l'air bien raisonnable, même s'il était évident qu'il avait lui aussi des choses à reprendre en main, et bien des doléances à présenter à l'Occident civilisateur...la colonisation étant passée par là.. Et il a commencé à piquer à ce psychopathe de Robinson le titre du livre. Plus de "Robinson", place à "Vendredi"!!

Aussi ai-je été furieuse de voir ce magnifique et tonique récit perdre toute saveur et toute couleur quand Tournier s'est avisé de châtrer son texte -exit les mandragores et la fornication dans les terriers- pour le mettre à la portée des mioches, comme s'ils ne pouvaient lire le vrai, en attendant peut-être encore un peu...

Quand je relis Vendredi -le hard, pas le light- je pense toujours à cette chanson de Higelin:

"A faire l'amour avec la terre,
j'ai enfanté des p'tits vers blancs,
qui me nettoient, qui me digèrent,
qui font leur nid au creux d'mes dents!"

Oui," Vendredi" de Tournier, rencontre du troisième type: un grand moment de méditation philosophique et d'émotion littéraire!
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Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, Michel Tournier nous invite à visiter ou revisiter le célèbre mythe littéraire de Robinson Crusoé, créé par Daniel Defoe, publié en 1719 et que j'avais lu il y a très longtemps.
C'est un mythe intemporel, inaltérable, mais ici vous l'aurez compris rien qu'au titre, deux cent cinquante ans après l'oeuvre originelle, Michel Tournier s'intéresse davantage au personnage de Vendredi...
Je vous fais grâce des premières scènes du naufrage, les premiers jours sur l'île, l'apprentissage d'une autre existence par Robinson, puis la rencontre de celui qu'il appellera Vendredi et les raisons pour lesquelles il lui choisit ce nom. Oh ben si, tiens, regardons un peu ce que Robinson écrit dans son journal à ce propos.
« Il fallait trouver un nom au nouveau venu. Je ne voulais pas lui donner un nom de chrétien avant qu'il ait mérité cette dignité. Un sauvage n'est pas un être humain à part entière. Je ne pouvais pas non plus décemment lui imposer un nom de chose, encore que c'eût été peut-être la solution de bon sens. Je crois avoir résolu assez élégamment ce dilemme en lui donnant le nom du jour de la semaine où je l'ai sauvé : Vendredi. Ce n'est ni un nom de personne, ni un nom commun, c'est à mi-chemin entre les deux, celui d'une entité à demi vivante, à demi abstraite, fortement marquée par son caractère temporel, fortuit et comme épisodique... »
On lit ici toute l'arrogance et le mépris de Robinson Crusoé, qui se définit sur son île comme une sorte de garant de la civilisation qu'il représente, à l'égard du « bon sauvage », mais en contrepoint on devine aussi toute l'ironie modante de Michel Tournier à l'encontre du comportement des hommes soi-disant civilisés...
À travers de très belles pages, Michel Tournier nous invite à une magnifique ode à l'altérité. C'est dans l'apprentissage de cette solitude que Robinson cerne à jamais en creux l'altérité qui imprègne l'humanité.
C'est aussi dans cet apprentissage qu'il faut désapprendre des gestes séculaires où l'altérité pesait comme une règle de vie.
Roman de l'apprentissage, de la métamorphose, roman de la transformation de Robinson. Vendredi ne serait rien sans Robinson, Robinson ne serait rien sans Vendredi, c'est l'altérité de l'un qui transforme l'autre dans une île qui est le creuset essentiel de ce récit.
J'ai aimé cette manière qu'a Michel Tournier de féminiser cette île, de lui donner un prénom de femme, Sperenza, de la sexualiser, puisque désormais Robinson est condamné à une forme de solitude extrême, dont cependant tout homme condamné à une telle réclusion solitaire et doté d'un poignet agile peut s'en contenter n'est-ce pas ? Mais rien ne remplacera l'être aimé. Et l'île devient cet être aimé, désiré, chéri...
C'est la promesse sauvage d'une île, immense et vierge... C'est la promesse d'une solitude, comme une épouse implacable. L'intimité la plus secrète de l'île devient un désir. Et l'île devient peu à peu une personne, d'une nature indiscutablement féminine, prête à répondre aux besoins nouveaux du coeur et de la chair de Robinson... Il s'éprend de cette île jusqu'à lui faire l'amour dans d'étreintes voluptueuses...
Et quand Vendredi débarque dans la vie de Robinson, c'est presque comme un intrus qui ferait irruption dans la vie intime d'un couple. Cela dit, pour Robinson c'est l'occasion rêvée de mettre en pratique la charte qu'il a rédigé quelques temps après son arrivée sur l'île ainsi que son code pénal particulier.
Vendredi devient alors autrui... C'est lui qui va achever la métamorphose commencée par Robinson, lui en révéler le sens. Vendredi est l'autrui qui dérange, donc totalement utile et nécessaire dans la métamorphose de Robinson, dans cette altérité retrouvée.
Michel Tournier fait de Vendredi un passeur et c'est beau.
L'île Speranza en deviendrait presque une amante délaissée, abandonnée, sauf qu'à la différence du Robinson de Daniel Defoe, celui de Michel Tournier voudra à jamais se fondre dans la plénitude solaire de son amante retrouvée.
Auteur d'un roman initiatique, Michel Tournier m'a invité dans cette inspiration magnifique à regarder l'humanité d'une tout autre manière.
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Troublant et magnifique voyage dans la transmutation d'un homme depuis sa vile condition matérielle jusqu'à la plénitude solaire de sa véritable nature.

Pour me soustraire aux bruits du monde, j'ai découvert avec ce riche roman un nouveau lieu de réclusion littéraire après La montagne magique de Thomas Mann : c'est l'île de Robinson, personnage central du livre, fouettée de vents purificateurs, gorgée de vie primale, de ressources inviolées, de terre féconde et de secrets ancestraux au fonds de ses grottes.
Le chemin est long et douloureux, sexe et mort s'imposent et se confondent pour Robinson qui viole la terre de l''île qui en retour le psychanalyse de force. On est loin de Vendredi ou la vie sauvage, la version pour enfants qui fit pourtant déjà tant rêver alors...

Terre d'exil et de découverte de soi, cette île magique agit comme une porte d'accès à la catharsis, pour peu qu'à l'instar de Robinson on se dépouille, aidé de Vendredi, de ses oripeaux sociaux et matériels, et que l'on abandonne sa volonté de contrôle pour parvenir à un état de quasi divinité solaire. Et à la paix absolue des dernières pages du roman.
Incontournable!
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Dans ce roman - dont j'avais lu une première approche avec Vendredi ou la vie sauvage, adaptation pour enfants de ce texte - Michel Tournier revisite le Robinson Crusoe de Defoe. Mais si l'intrigue est la même - Robinson se retrouve seul survivant d'un naufrage sur une île déserte où il doit survivre avec ses seules ressources, avant de trouver un compagnon, Vendredi, et d'être sauvé par un navire de passage - le point de vue est totalement différent. Michel Tournier explore les implications intimes et psychologiques de la solitude, chez un homme entiérement livré à lui même. Après l'espoir d'être sauvé, le renoncement et la tentation de l'animalité, Robinson reconstruit, jusqu'à l'absurde, une société ordonnée et policée, dans un espace sans société. Un enfermement qui vole en éclat sous l'impulsion de Vendredi, d'abord vu comme un sauvage à civiliser, avant de devenir celui par qui Robinson acceptera sa propre personne. D'une très grande richesse d'analyse et d'écriture, ce livre est à lire et à relire, pour la beauté des images, la richesse des symboles (ah, la harpe éolienne) et la profondeur de la réflexion sur le psychisme humain. Un classique du 20e siècle.
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Avant celle de Vendredi, c'est l'histoire de Robinson, seul rescapé du naufrage de la Virginie, qui nous est contée ici, histoire inspirée du Robinson Crusoë de Daniel Defoe.
Robinson vient donc de s'échouer sur la plage d'une île inhospitalière située au large du Chili.
Il va traverser plusieurs étapes durant les longues années de son séjour sur l'île qu'il baptisera Esperanza et on assistera, au fil de ces différentes phases, jalonnées de rituels initiatiques, à un véritable processus de métamorphose du personnage.
La première de ces phases est celle de l'hébétude, de l'horreur et du découragement, quand il comprend qu'il n'y a pas âme qui vive sur le territoire, et qu'il va lui falloir vivre sans autre, sans Autrui, sans un regard qui lui confère une identité et qui seul peut donner du sens à ce qu'il voit et perçoit. L'apparition du chien du bateau, sera source de soulagement, son regard et son semblant de sourire lui apportant une possibilité d'interaction.
Sans reflets ni repères, Robinson n'a plus de visage, d'amour propre. Dans un mouvement de repli, il se vautre, comme un animal, dans la boue, la fange, la souille.
Il se relève bientôt et entame une autre période, où pour retrouver son statut d'humain et de citoyen, il recrée les lois, les règles, les institutions, les contraintes d'une vie sociale. Au moyen d'une clepsydre, il recrée même le temps qu'il avait complètement abandonné, et commence, en parallèle, à livrer ses réflexions à un journal de bord. de cette manière, il a l'impression, un peu vaine, de maîtriser le cours des choses et les évènements.
La deuxième partie du livre est consacrée à la rencontre avec Vendredi, qu'il sauve fortuitement d'un massacre commis par des indiens, et à la transformation de leur relation qui évoluera de celle de maître à esclave vers un lien plus fraternel et égalitaire au travers de la contemplation partagée du soleil.
Un bateau accostera vingt-huit ans plus tard, mais Robinson et/ou Vendredi feront-ils le choix de monter à son bord et de quitter l'île ?
L'île Esperanza fait partie des principaux personnages du livre. Omniprésente, elle représente une figure maternelle, puis une amante. Robinson se consacre pleinement à elle. Il traverse à ses côtés, les moments les plus forts de son processus de transformation. Il régresse, à un stade animal, dans la souille, où il perd toute humanité. Il revit ensuite la période foetale, en se lovant dans une poche aux tréfonds d'une grotte. Il l'ensemence plus tard, ce qui donne naissance à de somptueuses mandragores.
Aux forces telluriques, dans lesquelles Robinson puise son énergie, viendra plus tard s'adjoindre celle du soleil.
Michel Tournier nous offre un magnifique et profond roman initiatique, mêlant mythes et réflexion philosophique, autour de la destinée d'un homme qui parvient, seul, à se reconstruire, en dehors de la civilisation, dans la confrontation et la communication avec les éléments. Sublime !
Pourquoi ai-je attendu cinquante ans pour le lire ?
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Ecrit en 1969, ce roman, comme les meilleurs vins, s'est bonifié avec les années. C'est une relecture qui m'a réservé autant de plaisir que la première fois. Déjà, je fus impressionnée par l'étendue des émotions et des aventures que Tournier réservait à ses deux presque unique personnages de fiction et c'est toujours le cas. Tournier décrit une âme humaine fantasque et qui pourtant nous dit tant de chose sur nous. Robinson ou Vendredi, chacun si loin et si proche de nous.

Quand Tournier revisite le Robinson Crusoé de Defoe c'est pour nous conduire dans les profondeurs de la réflexion sur l'homme. Si les deux Robinson porte la même barbe rousse, la même peau blanche et le même compagnon à peau noire, la ressemblance pourrait s'arrêter là. Avec Vendredi et les limbes du Pacifique, Tournier nous parle de ce qu'est le sentiment d'exister, la solitude, la liberté et la sexualité. Tout est stupéfiant dans ce roman, d'abord le titre, faut s'y arrêter. Tournier a dû se creuser la tête pour le trouver. On y comprend que la part belle sera donné à Vendredi, viennent ensuite les limbes, ce lieu qui n'est ni enfer, ni paradis, ce lieu entre les mondes où flottent les âmes innocentes des enfants morts avant la rédemption. C'est en ce lieu que va vivre Robinson car aux yeux de tous, il est mort. Ces limbes sont dans le pacifique, un océan qui fait surgir tous les fantasmes d'îles et de navigation.

Le récit débute par un inquiétante séance de tarot où le capitaine du navire prédit à un Robinson "pieux, avare et pur" ce qui va lui arriver. Evidemment, ce début est à relire après avoir terminé le roman car s'y trouve les clefs du "message" de Tournier. le jeune rigide s'est transformé en homme jupitérien. Naufragé sur une île que nous dirions déserte, mais juste déserte d'humains, Robinson va se faire "accoucher" par l'île et devenir un autre. D'abord délirant de solitude, vivant dans la boue à quatre pattes, il se redresse pour tenter de quitter l'île, puis devant ses échecs, il réinvente un monde "civilisé" que Deleuze nomme "ordre économique et moral". Utile au début car il plante, cultive, élève des chèvres son activité s'emballe pour devenir inutile, il ramasse et amasse plus que nécessaire, fait des lois, bâti des rituels contraignants... S'imposant de parler à haute voix pour ne pas perdre la parole, il s'interroge sur la réalité de son existence et va tenir un log-book, journal intime dont la lecture donne un éclairage nouveau au récit. Derrière cette façade toute d'organisation minutée, la sexualité de Robinson imprime un autre rythme au récit, primitive et sauvage cette sexualité va le relier aux éléments. Il devient l'amant d'une "combe rose". C'est l'arrivée de Vendredi qui va faire voler en éclat cet équilibre. D'abord, vécu comme un double inférieur parce que métis, Robinson essaie de transformer Vendredi en domestique, esclave, mais Vendredi est irréductiblement libre. Solaire, sauvage, il vit la vie au présent, s'il accepte les folies de Robinson, elles ne le soumettent en aucune façon. C'est lui qui fait exploser l'île (sans le vouloir) et qui réoriente la vie sur l'île. En suivant, les traces de Vendredi, Robinson va se libérer des gangues de civilisation pour devenir un être cosmique. C'est Vendredi le vrai maître, celui qui fait voler un vieux bouc, fait chanter le vent dans son crâne, celui qui apparait et qui disparait. Vendredi ou les limbes du Pacifique pose la question de la présence d'autrui, jusqu'où a-t-on besoin d'autrui pour exister ? et, sans doute sans le vouloir à l'époque, Tournier met le doigt sur la nature, l'écologie. Cette nature qui offre tout à Robinson, indispensable à l'humain, existe-elle encore aujourd'hui ?
Une lecture et relecture indispensables.
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Vendredi ou les limbes du Pacifique , version revisitée du Robinson Crusoe de Defoe. S' il y a naufrage, si Robinson Crusoe est le seul survivant, s'il se retrouve sur une île inhabitée au milieu du Pacifique, si au début il essaye de reproduire sur cette île ce qu'il connait le mieux à savoir une structure civilisée occidentale ,si l'arrivée de Vendredi lui offre enfin un interlocuteur , bien vite le Robinson de Tournier prend ses distances vis à vis du Robinson de Defoe.
Bien vite le dominé, Vendredi, devient le dominant. Robinson passe plus de vingt huit ans avant de croiser à nouveau le monde dit civilisé, il va subir une métamorphose profonde et irréversible dans sa façon de vivre, de penser, de croire . Vaste réflexion philosophique sur l'humanité, ses forces et ses faiblesses , Vendredi ou les limbes du Pacifique , roman initiatique s'il en est, ne peut qu'ouvrir des portes et nous obliger à poser de multiples questions, à chacun d' y apporter ses réponses.
Construit avec brio , justement récompensé par le grand prix du roman de l'académie française 1967, cité dans les textes de références du XXème siècle ,Vendredi ou les limbes du Pacifique , ce roman est et restera un pilier de notre littérature .
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Version adulte de Vendredi ou la vie sauvage, lui-même réécriture de Robinson Crusoé. Réécriture très libre notamment sur le dénouement de l'histoire et Robinson qui décide contrairement au livre original de rester sur l'ile.

Davantage philosophique que roman, cela peut être un livre philosophique. L'homme est décrit dans ses rapport avec lui-même, avec la nature, avec l'autre... un autre si différent.
Ces rapports ont tous le point commun de connaître le même cycle: attitude réservée puis condescendance puis tentative de domination, de domptage puis enfin résignation, lassitude et acceptation, ce dernier état étant la complétude.

A côté de cela, une écriture sympathique bien que trop simple et un vocabulaire peu varié. Mais histoire très plaisante. Cadre spacial bien utilisé qui mèle le rêve d'un cadre idyllique et coloré à une situation de détresse: cette île est une forme originale de prison dorée.
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Recette du Vendredi :

Comment participer au présent ?

Prenez une chèvre. Baptisez-la (pourquoi pas Anda?)
Soignez & élevez votre chèvre ...
… Que vous vous ferez inévitablement voler par le roi des Boucs ( Andoar) ...
Battez-vous contre le roi des Boucs au nom d'Anda !
Tombez avec Andoar du haut d'une falaise et faites-lui une prise de catch pour remporter la victoire (et faites-vous sauver par lui au passage, car il vous aura sauvé d'une chute mortelle) ...
Prenez le cadavre du roi des Boucs, Andoar.
Et récuperez vos ingrédients : sa peau, son crâne et ses boyaux préalablement nettoyés.

Installez dès à présent le matériel en suivant les instructions de Vendredi :

«  Il tailla d'abord deux petites traverses de longueur inégale dans du bois de sycomore. Avec la plus longue, grâce à deux trous percés latéralement à ses extrémités, il réunit les pointes des deux cornes. La plus courte fut fixée parallèlement à la première, à mi-hauteur du chanfrein. Un peu plus haut, entre les orbites, il plaça une planchette de sapin dont l'arête supérieure portait douze étroits sillons. Enfin il décrocha les boyaux d'Andoar qui se balançaient toujours dans les branches d'un arbre, mince et sèche lanière tannée par le soleil, et il la coupa en morceaux égaux d'un mètre chacun environ. Lorsqu'il le vit tendre entre les deux traverses, à l'aide de chevilles, les douze boyaux qui pouvaient garnir le front d'Andoar, Robinson comprit qu'il voulait fabriquer une harpe éolienne. La harpe éolienne est un instrument qu'on met en plein air ou dans un courant d'air, et c'est le vent qui joue de la musique en faisant vibrer les cordes. Toutes les cordes doivent donc pouvoir retentir en même temps, sans discordance, et il faut qu'elles soient accordées à l'unisson ou à l'octave. Vendredi fixa de chaque côté du crâne une aile de vautour pour rabattre sur les cordes le plus faible souffle de vent. Puis la harpe éolienne trouva place dans les branches d'un cyprès mort qui dressait sa maigre silhouette au milieu des rochers, en un endroit exposé à toute la rose des vents. À peine installée d'ailleurs, elle émit déjà un son flûté, grêle et plaintif, bien que le temps fût tout à fait calme. Vendredi écouta longtemps cette musique si triste et si douce qu'elle donnait envie de pleurer. Enfin, il fit une grimace de mépris, et leva deux doigts en direction de Robinson. Il voulait dire par là que le vent trop faible ne faisait vibrer que deux cordes sur douze. Il fallut attendre la prochaine tempête qui ne se produisit qu'un mois plus tard pour qu'Andoar consente à chanter à pleine voix. Robinson avait finalement élu domicile dans les branches de l'araucaria où il s'était fait un abri avec des plaques d'écorce. Une nuit, Vendredi vint le tirer par les pieds. Une tourmente s'était levée, et on voyait dans le ciel livide la lune glisser rapidement comme un disque entre les nuages déchirés. Vendredi entraîna Robinson vers le cyprès. Bien avant d'arriver en vue de l'arbre, Robinson crut entendre un concert céleste où se mêlaient des flûtes et des violons. le vent redoublait de violence quand les deux compagnons parvinrent au pied de l'arbre-chantant. Attaché court à sa plus haute branche, le cerf-volant vibrait comme une peau de tambour, tantôt immobile et frémissant, tantôt emporté dans de furieuses embardées. Sous la lumière changeante de la lune, les deux ailes de vautour s'ouvraient et se fermaient au gré des bourrasques. Ainsi Andoar-volant et Andoar-chantant semblaient réunis dans la même sombre fête. »

Il ne vous reste plus qu'à admirer le résultat et à constater que les éléments constitutifs d'Andoar participent au présent, par l'emploi du participe présent car désormais l'arbre est devenu chantant : l'arbre-chantant, et Andoar est devenu une harpe éolienne : Andoar-chantant et un cerf-volant, un bouc-volant, Andoar volant.
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Relecture dans le cadre d'un challenge
Depuis 2013, ne lisant quasi plus que sur liseuse, j'ai désherbé (sulfaté à la MarieKondo) ma bibliothèque qui comptait plusieurs milliers de volumes. Aujourd'hui, hors BD et livres pour enfants, il me reste 26 livres, de la poésie, du théâtre, des romans. Vendredi est dans les 26. Je l'ai lu à 15 ans, jamais rouvert depuis mais gardé précieusement.
Je redoutais cette relecture, une déception, une atteinte à mes souvenirs aurait été intolérable.
J'ai ressorti mon vieux Folio jauni, mes yeux ont vieilli, Dieu que c'est écrit petit, mon esprit a mûri, l'adulte appréhende mieux certains concepts, mais le livre me bouleverse tout autant et ma mémoire fidèle ne m'a pas fait défaut, le texte est remonté quasi au mot près, nous nous sommes reconnus.
Je le recouche tendrement entre Tortilla Flat (promis Danny, je vais te retrouver aussi) et Je voudrais pas crever qui lui, part souvent en vadrouille dans mon sac à main.
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