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Critique de Herve-Lionel


N°919– Juin 2015

LA TELEVISION- Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

Le narrateur raconte qu'il a passé un été à Berlin, seul (son épouse et son enfant étaient en Italie) en compagnie d'un téléviseur qu'il ne regardait qu'avec modération au point qu'il était tout à fait capable de s'en passer. A quarante ans, il ne faisait rien en dehors des fonctions vitales, de la lecture et du sport. Rien, c'est beaucoup dire puisque, historien d'art, il avait choisi de mener à bien une étude du Titien Vecellio ( dit le Titien, 1488-1576), c'est à dire un vaste essai, remis d'année en année, et financé par une fondation privée, sur la relation entre les arts et le pouvoir politique. Pour cela il avait abandonné son poste à l'université, s'était rendu au Augsbourg où le peintre y avait rencontré Charles Quint. En effet, le narrateur entendait fonder son étude sur « l'épisode du pinceau »(apocryphe sans doute mais repris dans une nouvelle d'Alfred de Musset) au terme duquel l'empereur se serait baissé pour ramasser le pinceau tombé des mains du peintre.

Devant l'ampleur de la tâche, il prend soudain conscience que la télévision est anesthésiante et décide de s'en passer. En effet, il considère que la télévision n'impose chaque jour rien d'autre que des illusions de la réalité auxquelles il faut impérativement résister. Cela donne une série d'aphorismes, parfois assez inattendus sur le sujet.[« Or, c'est pourtant comme cela qu'il faudrait regarder activement la télévision : les yeux fermés ». ] Il livre à son lecteur un tas de petites anecdotes qui émaillent sa vie de célibataire berlinois temoraire. Il croit apercevoir un cambrioleur, s'occupe des plantes de ses voisins partis en vacances, croise l'image furtive d'une femme nue dans l'immeuble d'en face, se promène au gré de ses envies dans la ville ou se baigne nu dans un lac, autant d'épiphénomènes où domine le farniente, il est vrai entrecoupés de vagues recherches à la bibliothèque qui le distraient de son travail, ce qui n'occasionne chez lui aucun état d'âme particulier. Un peu cossard quand même ! Et puis pas très constant dans sa démarche, puisque l'interdiction qu'il s'est lui-même posée de ne pas regarder la télévision ne vaut, à ses yeux, que dans son microcosme personnel. Quand il est à l'extérieur de son appartement, cela en compte plus. Parfois au hasard des émissions, il croise des images de femmes qui le font toujours un peu fantasmer. Il ne peut d'ailleurs pas croiser l'une d'elles dans la rue sans être ému. Ces moments de furtif plaisir oculaire donnent d'ailleurs lieu de sa part à des évocations délicieusement sensuelles qu'il corrige parfois en posant ses yeux sur un téléviseur allumé, comme pour se punir lui-même.

Et son travail dans tout cela ? Il trouve toujours une bonne raison pour le remettre à plus tard, la piscine ou un musée par exemple, d'autant qu'il trouve toujours quelque chose de plus intéressant, qui monopolise son attention et qui donne lieu à de longues réflexions et à des descriptions aussi précises que pertinentes. Il lui arrive même de croiser un portrait de Charles Quint qui devrait lui rappeler son but initial mais que nenni ! Après tout, l'idée de cette étude, vieille de 4 ans déjà, pourra bien attendre encore un peu !

Ce roman est en fait une balade dans Berlin l'été ainsi qu'une réflexion humoristique écrite avec sa jubilation coutumière sur la télévision et son emprise sur ceux qui la regarde. Il le fait naturellement en n'oubliant pas de s'attarder sur le petit détail anodin qui aurait échappé au commun des écrivains et auquel il donne, on se demande bien pourquoi, une importance soudain démesurée mais sans pour autant que son lecteur ait l'impression de l'inutilité. Quant au téléviseur, Il se résout à le traiter par le mépris, c'est à dire à le regarder, même avec une certaine insistance, mais sans l'allumer !

En tout cas cela m'a procuré, malgré des phrases toujours aussi longues, une lecture jubilatoire. Faute sans doute de mener à son terme son travail universitaire, l'auteur a au moins accouché de ce roman ; ce n'est déjà pas si mal.
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