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Critique de BenoitMX


« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a connu deux grands cycles. Un cycle qu'on pourrait dire progressiste, dans le domaine des moeurs et des droits humains, jusqu'à la fin des années 1970, et un cycle libéral, qui a duré peu ou prou jusqu'à la crise financière de 2008. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, avec le Brexit, nous venons d'entrer dans un troisième cycle, un cycle populiste, qui se traduit par une défiance nouvelle envers les élites et la démocratie représentative. »
En regard de cette analyse des 70 dernières années par Jean-Philippe Toussaint, le titre de son roman Les émotions prend une connotation négative : ces émotions sont en effet celles, incontrôlables, qui régissent le monde dans le cycle populiste, à l'heure des fake news, de la manipulation 2.0 et ses périls pour la démocratie. de fait, l'élection de Trump et le Brexit affectent fortement le narrateur et héros du roman, Jean Destrez, un haut fonctionnaire européen élevé dans le culte du projet de construction européenne – un projet se voulant reposer sur l'intelligence, la raison et la culture européenne, (références, d'Erasme à Zweig, à l'appui) : bref, l'opposé de ces émotions irréfléchies et leurs dangereux excès.
Mais ce narrateur et héros incarne lui-même assez mal ce beau projet européen : certes, en tant que fonctionnaire, il fait de son mieux son travail, mais l'Europe qu'il nous fait connaître à travers son expérience n'est pas tant celle d'Erasme ou de Zweig ; et c'est plutôt à Kafka que l'on pense, tant pendant la visite des méandres du chantier de rénovation du bâtiment Berlaymont, siège de la Commission européenne, qu'en découvrant le fonctionnement bruxellois : toute la troisième partie du roman, c'est le château en version accélérée ! – et au moins K avait-il le loisir de son temps…
Même à titre personnel, Jean Destrez incarne mal l'homme de modération et de maîtrise de soi : hanté par ses deux divorces, par la figure imposante de son père (ou encore par la place qu'a su prendre son frère, architecte de renom), c'est un homme que l'on sent affectivement fragile, en proie à ses propres émotions… Mais celles-ci ne sont, du reste, pas toutes négatives : c'est, dans la première partie du livre, l'émotion charmante et douce d'une rencontre – elle ne tient pas toutes ses promesses, mais qu'importe, une rencontre peut en cacher une autre (on apprécie au passage tout l'humour de JP Toussaint)… Ce sont, dans la deuxième partie du roman, de singulières décompensations que Jean Detrez est amené à vivre avec ses première et seconde femmes (on retrouve alors le Toussaint conteur des situations étranges que l'on a aimé dans L'appareil photo). C'est enfin, dans la troisième partie, l'émotion collective de la crise aérienne de 2010, vécue dans toute sa fièvre parce qu'il est au coeur des cellules de crise…
Où Toussaint veut-il nous mener, dans ce nouveau cycle engagé avec La clé USB ? le second opus intitulé Les émotions ne nous le laisse pas encore discerner très clairement, mais à tout le moins on y retrouve avec plaisir la délicatesse de JP Toussaint à saisir les instants fugaces, moments magiques ou situations insolites…
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