« Ma vie. Quand je pense à ces mots, je vois devant moi un rayon de lumière. »
Avec ces mots
Tomas Tranströmer amorce la narration autobiographique de ses années d'enfance et invite le lecteur à pénétrer dans son cercle de lumière, cette « comète » qui ravive l'éclat des souvenirs de ses premières expériences de jeune garçon dans les années 1930-1940.
La lecture du récit autobiographique du poète suédois, récompensé par le
Prix Nobel de Littérature en 2011 est émouvante à plus d'un titre.
D'abord parce que le texte est l'unique ouvrage en prose de
Tomas Tranströmer ce qui le dote d'une valeur fondamentale lorsque l'on sait que le poète est réputé pour sa production restreinte malgré le succès de ses oeuvres traduites en près de 60 langues.
Ensuite parce que ce manuscrit n'était pas au départ destiné aux lecteurs, mais aux deux filles de l'auteur, ce qui lui confère un caractère encore plus intime et personnel, une proximité touchante et pudique, l'impression de faire partie de l'entourage de l'auteur, de partager à travers l'espace et le temps, le legs d'un échantillon de vie, de la naissance du premier souvenir à 3 ans jusqu'à la parution à 17 ans des premiers
poèmes dans le journal du collège.
Enfin parce qu'un accident vasculaire cérébral survenu en 1990, peu après la composition de ce texte, a placé l'auteur dans l'incapacité d'entreprendre plus avant la rédaction de ses mémoires, la commotion l'ayant laissé paralysé du côté droit et atteint d'importants troubles du langage.
A la lumière de ce tragique évènement, la brièveté du récit, qui ne concerne que les années d'enfance - de la naissance de Transtörmer en 1931 à la fin de la classe terminale en 1948 -, résonne avec encore plus d'intensité et accentue d'autant plus l'émotion que l'on peut retirer de cette lecture.
Construit par fragments, «
Les souvenirs m'observent » se développe au gré de thèmes particuliers par lesquels se fond « un choix de sentiments qui subitement s'enflamment » pour révéler la personnalité de l'auteur : le musée, l'école primaire, la guerre, les bibliothèques, le collège, l'exorcisme et le latin, tous ces thèmes jouant un rôle fondamental dans la construction de l'enfant et le développement du poète en devenir.
C'est avec beaucoup de simplicité et de pudeur que
Tomas Tranströmer dévoile ses années d'enfance : sa naissance à Stockholm en 1931, le divorce de ses parents et la crainte de paraître différent aux yeux de ses camarades, son attirance pour les bibliothèques et les musées, son penchant pour les disciplines plutôt scientifiques, son âme de collectionneur, l'éducation dispensée sévèrement dans les établissements scolaires de l'époque, son rejet du nazisme malgré son jeune âge et son irritation devant l'attitude « d'une troublante neutralité de la Suède face à l'Allemagne »…
L'amour pour l'Art et les Belles Lettres ne transparaît quasiment pas dans cette période d'apprentissage où Tomas Transtörmer se rêve davantage en explorateur ou en entomologiste qu'en poète !
Cette disposition à la poésie, qui comblera par la suite toute son existence, apparaît aux alentours de ses 16 ans avec sa scolarité au collège et la découverte des oeuvres classiques en latin et des vers d'Horace, ou ceux plus modernes de
Paul Eluard.
Le récit s'achève malheureusement au moment où la poésie entre totalement dans la vie de l'adolescent et se clôt avec la publication de ses premières productions poétiques dans le journal du collège en 1948.
La narration bienveillante de cette enfance somme toute ordinaire, qui ressemble à tant d'autres, a le pouvoir de retenir et de fasciner tant elle tisse une proximité avec le lecteur, un peu comme on partagerait les souvenirs d'un proche ou d'un membre de la famille.
De plus, les sentiments et les impressions que l'on vit à cet âge - fierté, peur, doute, camaraderie -, chacun les expérimente à un moment donné de son enfance ; identification ou projection se font alors naturellement, permettant de créer une bulle d'intimité et de partage entre le lecteur et le poète.
S'il ne dévoile pas le travail artistique et poétique de l'auteur, le récit autobiographique «
Les souvenirs m'observent » donne cependant la vision d'un homme de valeur, accessible, authentique et sincère, et offre une belle lecture, chaleureuse, chargée d'émotion et de sensibilité.
Le chapitre de cette enfance heureuse et généreuse se referme avec les tous premiers
poèmes de jeunesse du
Prix Nobel, tels ces quelques vers comme une conclusion au temps passé:
En ce pauvre et bel instant qui lutte
Contre l'armée des secondes
Et se noie dans les remous
Mais me survit pourtant