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EAN : 9782913372146
190 pages
La Fabrique éditions (03/04/2003)
4.25/5   4 notes
Résumé :
La violence nazie ne doit rien au hasard : elle a une généalogie, qui n'est pas spécifiquement allemande, et un laboratoire, l'Europe libérale du XIXe siècle. Les camps d'extermination sont l'aboutissement d'un long processus de déshumanisation et d'industrialisation de la mort, amorcé par la guillotine et qui a progressivement intégré la rationalité du monde moderne, celle de l'usine, de la bureaucratie, de la prison. On peut trouver les origines culturelles du naz... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
On a longtemps considéré le nazisme comme une parenthèse tragique de l'histoire de l'Occident. Pour le sens commun, le nazisme semble avoir surgi de nulle part. Enzo Traverso démontre qu'il n'en est rien et que la violence nazie n'est pas le fruit du hasard : elle s'inscrit dans un contexte civilisationnel précis.

Auschwitz suppose ce que les sociologues Max Weber et Norbert Elias appelaient le « processus de civilisation ». Chez ces auteurs, cette expression désigne plusieurs phénomènes propres à la modernité : le monopole étatique de la violence, l'administration bureaucratique et la division du travail notamment. Dans son analyse de l'État moderne, Weber soutenait que ces éléments conduisent à une déresponsabilisation totale des individus. Un bureaucrate n'a pas à s'interroger sur la finalité ou la moralité de ses actes. Tout ce qu'on lui demande, c'est qu'il sache exécuter la tâche qui lui est demandée convenablement, indépendamment de son contenu. On ne comprend rien à Auschwitz si l'on fait abstraction de ces données. L'extermination des Juifs est une entreprise menée par un État, ce qui suppose une monopolisation de la violence par lui. La planification du génocide implique l'existence d'une administration puissante et efficace. Par ailleurs, comme le dit Arendt, Auschwitz fonctionne comme une usine moderne, dont la spécificité est de produire des cadavres. Cela suppose une division du travail parfaitement maîtrisée. Auschwitz n'est donc pas une rechute dans une barbarie pré-moderne. C'est la preuve des conséquences possibles de la modernité.


Après la Seconde Guerre mondiale s'était développée une historiographie très importante sur le nazisme et le fascisme, qui, tout au moins pendant les années 1960, 1970 et une partie des années 1980, essayait de ramener le nazisme et le fascisme à leurs racines européennes. Mais depuis une Vingtaine d'années On peut constater la tendance de plus en plus forte à « expulser » (en quelque sorte) le nazisme de la trajectoire du monde occidental et de l'Europe moderne en particulier. Ainsi Ernst Nolte, dans plusieurs de ses écrits défend la thèse selon laquelle le nazisme s'expliquerait exclusivement comme réaction au bolchevisme, à la Révolution russe, et ne serait donc qu'un phénomène engendré par le communisme. François Furet, peu avant sa mort, avait, lui, publié le passé d'une illusion, où il proposait une nouvelle interprétation selon laquelle le fascisme et le nazisme d'une part, et le communisme de l'autre ne seraient que deux phénomènes parallèles, des réactions à l'Occident libéral, certes opposées l'une à l'autre mais qui s'alimenteraient réciproquement. D'autres interprétations encore, comme par exemple celle de Goldhagen qui fit beaucoup de bruit, réduisent le nazisme à une sorte de pathologie allemande.
Si ces explications peuvent sembler différentes les unes des autres, voire contradictoires, elles partagent au moins une vision du nazisme commune comme accident de l'histoire de l'Occident et de l'Europe ; une l'Histoire qui aurait repris son chemin sur des rails normaux et qui nous garantirait que vivons désormais dans le meilleur des mondes.

Enzo Traverso s'inscrit en faux !
Pour comprendre l'apparition du système concentrationnaire au cours du XXe siècle, grosso modo après la Première Guerre mondiale, il faut essayer d'en faire l'anatomie, d'en étudier les structures, pour comprendre l'émergence du phénomène concentrationnaire dont les camps d'extermination ne sont finalement qu'une variante, dotée d'une finalité nouvelle, il faut saisir ses différentes composantes qui apparaissent bien plus tôt, depuis le début du XIXe siècle, car le système concentrationnaire n'est que la fusion, la synthèse de tous ces éléments. Plus précisément, la prison de la révolution industrielle est un dispositif coercitif qui agit aussi bien sur les esprits que sur les corps, et constitue une pièce de ce que l'on pourrait appeler, avec Foucault, un système de domination biopolitique. le principe de clôture moderne comme lieu d'apprentissage de la discipline, des hiérarchies sociales, mais aussi comme lieu de souffrance, de dégradation et de dépersonnalisation existe tout autant dans les usines et dans les casernes que dans les prisons. C'est la mise en place de ce que Max Weber appellera la rationalité moderne, à la fois administrative et productive. Elle innerve, nous dit Traverso, le système concentrationnaire. Ces éléments, qui naissent avec la révolution industrielle, se développent avec le capitalisme industriel, après la rupture historique majeure qu'est la Première Guerre mondiale, peuvent donner lieu au système concentrationnaire.
Ainsi, le camp d'Auschwitz fonctionne-t-il comme une usine productrice de mort, de cadavres, un camp qui reproduit tous les traits typiques de l'usine moderne avec une division du travail de type tayloriste, avec une administration et une organisation scientifique du travail, avec une fragmentation rationnelle du « processus de production ». Sauf que cette usine ne produit pas des marchandises mais des cadavres. le nazisme avait intégré dans la conception de ses crimes et dans sa politique des modalités qui sont celles du capitalisme. Cela ne signifit pas que le nazisme est le débouché inévitable du capitalisme, et que le fordisme trouve inéluctablement son expression dans les chambres à gaz ou dans un système d'extermination ; il y a évidemment une différence, puisqu'une usine produit des marchandises qui sont déversées sur le marché pour réaliser des profits, alors qu'à Auschwitz, on ne réalise aucun profit. Bien au contraire, il y a un système de mise à mort et d'extermination qui est tout à fait irrationnel non seulement d'un point de vue social et humain, mais également d'un point de vue économique et militaire pendant la guerre. Il y a là un hiatus entre la rationalité économique du capitalisme et la « rationalité » des procédés d'extermination nazis. Il n'empêche que ce système d'extermination a intégré les mécanismes de l'usine et la rationalité qui est née et qui s'est développée sous le capitalisme.
De ce point de vue, il existe un bien un lien organique, même s'il n'y a pas un rapport de cause à effet ni évidemment un rapport d'identité.

De même Enzo Traverso se livre-t-il à l'analyse des liens qui existent entre le colonialisme classique et les violences nazies, aspect majeur et complètement négligé, voire occulté par l'historiographie contemporaine. La violence nazie qui se déploie pendant la Seconde Guerre mondiale est conçue, surtout à l'Est à partir de 1941(assaut contre l'URSS), comme une guerre de conquête de ce que le nazisme appelle le Lebensraum, l'espace vital - qui se traduit par la destruction de l'Union Soviétique et l'extermination des juifs. Cette extermination est tout à fait indissociable de la soumission à l'état d'esclavage des populations slaves et de toute une série d'élites politiques, économiques, intellectuelles des pays slaves et en particulier de l'URSS. Or cette guerre de conquête et d'extermination n'est que la reproduction, au coeur du XXe siècle – ou si l'on préfère la version moderne, évidemment filtrée et réélaborée à la lumière de la vision du monde nazie – des guerres coloniales du XIXe siècle, menées par l'impérialisme français et britannique, notamment en Afrique, qui étaient autant de guerres de conquête et d'extermination. S'il y a, là aussi, des spécificités à faire valoir, dans la mesure où les moyens déployés ne sont pas les mêmes, et dans la mesure où il ne s'agit plus de s'attaquer à un continent jugé arriéré d'un point de vue technique, économique et militaire, mais à une grande puissance industrielle, militaire et démographique comme l'Union Soviétique, le principe est le même. On a affaire à une guerre dans laquelle le jus in bello (le droit qui fixe les normes à respecter pendant la guerre) n'est plus pris en compte. C'est une guerre où on n'établit plus aucune distinction entre combattants et civils. C'est une guerre d'anéantissement, qui n'est pas menée dans le but d'établir un traité de paix mais pour détruire l'ennemi.

Traverso voit une différence fondamentale entre le communisme soviétique d'un côté, et le nazisme et le fascisme de l'autre, dans la mesure où le communisme s'est installé au pouvoir en Russie après avoir exproprié les anciennes classes dominantes sur la base d'une révolution sociale, alors que le fascisme et le nazisme ne remettent pas en cause le pouvoir des élites traditionnelles. L'Italie fasciste comme l'Allemagne nazie restèrent, elles, des pays capitalistes. Sous Hitler, les grandes entreprises capitalistes allemandes collaborèrent avec le régime nazi jusqu'à la fin, et dans les camps de concentration, il y eut des entreprises allemandes qui exploitèrent la main d'oeuvre des déportés. Il y a donc une complicité, voire même une relation organique entre capitalisme et fascisme. Mais cela ne veut pas dire, pour Traverso, qu'Hitler était le simple agent de l'impérialisme allemand ou une marionnette manipulée par le Grand Capital allemand. L'historiographie (et parmi elle, plusieurs marxistes, si l'on pense aux écrits de Léon Trotski et de Daniel Guérin des années 1930, ou aux écrits plus tardifs de certains théoriciens de l'école de Francfort) a souligné les origines plébéiennes des mouvements fascistes et de leurs leaders. Surtout, ce n'est pas le capitalisme qui explique la politique d'extermination nazie, et on ne peut pas essayer d'interpréter les génocides nazis comme les résultats d'une politique qui aurait défendu les intérêts du Grand Capital allemand. A contrario cela ne signifie absolument pas que le nazisme était une forme d'anticapitalisme, mais il n'y a pas de relation de cause à effet, et on ne peut pas expliquer la politique d'extermination par le profit ou les intérêts du capitalisme allemand. Cette thèse, qui était autrefois défendue par l'historiographie officielle de la RDA, a un fondement purement idéologique. Si le nazisme a bien une relation avec le capitalisme, il ne se réduit pas à cela, il a également son autonomie.
En somme, la vision du monde des nazis a une histoire, des racines profondément liées à l'histoire de l'Occident sans découler pour autant de manière automatique des mécanismes de fonctionnement du capitalisme ou des intérêts des classes capitalistes. le capitalisme s'accommode de tout régime politique et de toute idéologie, pourvue qu'ils ne remettent pas en cause la propriété privée des moyens de production, le marché, la circulation des capitaux, le profit, etc.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Entre les massacres de l'impérialisme conquérant et la « Solution finale » il n'y a pas seulement des « affinités phénoménologiques », ni des analogies lointaines. Il y a une continuité historique qui fait de l'Europe libérale un laboratoire des violences du XXe siècle et d'Auschwitz un produit authentique de la civilisation occidentale.
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Fascisme : que recouvre ce terme qui surgit spontane?ment - que l?on e?voque la vague montante des droites extre?mes ou le terrorisme islamiste- pour de?signer les menaces qui pe?sent sur la de?mocratie ?
Enzo Traverso explique le concept de post-fascisme au c?ur de son livre "Les nouveaux visages du fascisme" (Éditions Textuel)
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