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Citations sur Chroniques du Plateau Mont-Royal (10)

C’était une chandelle usée qui vacille, une horloge démontée qui hoquette, un moteur au bout de son rouleau, un chien trop vieux, une servante qui a fini de servir et qui se meurt d’ennui, une vieillarde inutile, un être humain battu, sa grand-mère. (La grosse femme d’à côté est enceinte, p. 25)
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« Duplessis ! Duplessis ! » Déjà pomponnée comme pour sortir malgré l'heure matinale, Marie-Sylvia se tenait sur la première des trois marches de ciment qui menaient à son restaurant. « Duplessis ! » Été comme hiver, aussi bien à la Saint-Jean-Baptiste qu'aux Rois et même le Vendredi saint, Marie-Sylvia, dès sept heures du matin, portait pierres du Rhin aux oreilles et perles de verroterie au cou. Son rouge à lèvres qui tachait ses dents et lui donnait une haleine sucrée était célèbre dans toute la rue. Les enfants disaient que Marie-Sylvia sentait le bonbon. Les femmes disaient que Marie-Sylvia sentait. « Duplessis ! » Elle portait sa robe du samedi. Oui, elle possédait une robe pour chaque jour de la semaine. Une seule. Elle ne variait jamais. On pouvait baser son calendrier sur les robes de Marie-Sylvia. Et certains le faisaient. Si Marie-Sylvia s'était acheté une robe neuve, non seulement toute la rue aurait-elle été au courant, mais quelques-uns de ses habitants n'auraient plus su quel jour on était. Exaspérée, Marie-Sylvia rentra dans son restaurant, traînant ses savates à moitié défoncées sur le plancher de bois franc. Car Marie-Sylvia n'était coquette que jusqu'aux genoux. Elle n'avait jamais pu endurer de souliers qu'elle appelait d'ailleurs « des tuepieds». « Des suyers?
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«Je l'ai vu à telle heure, il allait dans telle direction, portait tel vêtements et avait l'air de penser telle chose. » D'où ce surnom de « senteuse de caneçons » que la grosse femme lui avait donné. Elle passa près de son fauteuil sans même le regarder et s'engagea dans le court corridor qui menait à l'arrière de la maison. Elle déboucha dans la minuscule cuisine qui fleurait encore bon le café frais. « J'vas le tuer! Trois jours qu'y est parti ! Trois jours ! » Elle ouvrit la porte qui donnait sur la ruelle. « Duplessis ! Duplessis ! »
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Béatrice se souvenait très bien de lui. « Le vieux soldat, là? » Mercedes tira sur sa cigarette en fronçant les sourcils à cause de la fumée. « C'est rien que ça qu'on a eu, hier, des soldats, Betty ! » « J'sais qui pareil. C'est celui qui avait les cheveux teindus. C'est ça? » « C'est ça. »
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Mercedes avait rencontré Béatrice dans le tramway 52 qui partait du petit terminus au coin de Mont-Royal et Fullum pour descendre jusqu'à Atwater et SainteCatherine, en passant par la rue Saint-Laurent. C'était la plus longue ride en ville et les ménagères du Plateau Mont-Royal en profitaient largement. Elles partaient en groupe, le vendredi ou le samedi, bruyantes, rieuses, défonçant des sacs de bonbons à une cenne ou mâchant d'énormes chiques de gomme rose. Tant que le tramway longeait la rue Mont-Royal, elles étaient chez elles, elles faisaient tous les temps, se donnant parfois des claques dans le dos quand elles s'étouffaient, interpellaient d'autres femmes qu'elles connaissaient, elles allaient même parfois jusqu'à demander au conducteur comment il se faisait qu'il n'était pas encore parti pour la guerre. Mais quand le tramway tournait dans la rue Saint-Laurent vers le sud, elles se calmaient d'un coup et se renfonçaient dans leurs bancs de paille tressée toutes, sans exception, elles devaient de l'argent aux Juifs de la rue Saint-Laurent, surtout aux marchands de meubles et de vêtements, et le long chemin qui séparait la rue Mont-Royal de la rue Sainte-Catherine était pour elles très délicat à parcourir.
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Béatrice avait regardé le conducteur remonter dans le tramway. Il s'était aperçu qu'elle le fixait et lui avait fait un clin d'oeil complice. Le tramway avait tourné lentement vers la droite sous une pluie d'étincelles. Béatrice souriait, la tête appuyée Contre la vitre. « Moé, j'm'appellerais Betty. Betty Bird. » « Pourquoi Bird ? » « A cause de mon pére. Pis à cause de vous, aussi. Mon pére, des billets de veingt piasses, y appelait ça des birds. Peutêtre parce que quand y en voyait un, y était toujours ben loin, comme un oiseau dans un arbre ou ben donc dans le ciel, mais toujours ben loin. » Les deux femmes s'étaient souri. «Betty Bird, c't'un maudit beau nom. C'est ben catchy. »
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Édouard et Thérèse s'étaient levés en même temps. Leurs chambres se faisaient face, aussi étaient-ils tombés nez à nez en ouvrant leur porte. « Vous vous levez ben de bonne heure, à matin, mon oncle Édouard? C'est pourtant samedi! » « Les envies de pipi ont pas de jours, ma p'tite fille! » Ils avaient tous deux couru jusqu'à la salle de bains qui se trouvait tout à fait à l'arrière de la maison, après la salle à manger et la cuisine. Thérèse était arrivée la première mais elle avait cédé la place au frère de sa mère. Marcel, le frère de Thérèse, tellement petit pour ses quatre ans qu'on lui en donnait à peine deux et demi ou trois, avait entendu la course et lorsque Thérèse et Édouard étaient passés près de lui il avait zézayé un timide bonjour mais les deux courseurs ne l'avaient pas entendu.
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Richard partageait une pièce double, à l'avant de la maison, avec Victoire, sa grand-mère, et son oncle Édouard. Il couchait dans un lit pliant sous la porte d'arche. Chaque soir il tirait de son coin sombre le lit de fer plié en deux d'où s'échappaient couvertures et draps, et se battait avec les deux crochets trop serrés qui refusaient de bouger. Évidemment, les crochets lâchaient tout d'un coup et le lit se dépliait dans un vacarme de springs usés et trop Tousses.
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Richard avait souvent vu sa grand-mère pleurer de rage, appuyée contre la vitre de la fenêtre de sa chambre qui donnait sur l'escalier extérieur. Il l'avait même entendue maudire les deux femmes, leur jeter des sorts impuissants, il l'avait vue leur tirer la langue et faire semblant de leur donner des coups de pied. Elle errait du matin au soir de sa chambre à la salle à manger et de la salle à manger à sa chambre, superfétatoire objet d'attention dans cette maison où tout et tous avaient des tâches assignées ou du moins une utilité quelconque, excepté elle. Elle aurait voulu descendre les vidanges, faire le souper, laver la grosse femme, faire tremper tous les rideaux de la maison dans la baignoire, rosser Philippe ou Thérèse, ou Richard, ou Marcel, mais rosser quelqu'un; au lieu de quoi elle aboutissait infailliblement devant l'appareil de radio, l'oreille collée sur les confidences de Donalda ou les sautes d'humeur de la grosse Georgianna. Au beau milieu d'un ronflement Victoire ouvrit des yeux vitreux et sa main remonta une mèche blanche qui lui barrait le front. Aussitôt, Richard détourna la tête.
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Traînant Marcel derrière elle, Thérèse fit irruption dans l'autre pièce double de la maison qui comprenait la chambre de sa mère, Albertine, et le salon où son cousin Philippe et elle dormaient depuis quelques années. Thérèse et Philippe partageaient le même sofa dans une cavalcade de rires, de claques, de sauts, de chatouillements et de pudeurs mal cachées. Et d'impudeurs mal comprises. Philippe n'avait que huit ans mais déjà il savait où fouiller furtivement et comment éviter les claques en prenant des airs d'innocent ou en faisant des yeux candides.
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