Michel Tremblay, dans ce roman, se met merveilleusement bien dans la peau de Rhéauna, une petite fille de dix ans qui quitte ses grands-parents qui les ont élevées jusqu'ici, elle et ses soeurs, pour rejoindre seule en train sa mère qu'elle ne connaît qu'à peine, à Montréal.
Elle laisse ainsi derrière elle les immenses champs de maïs du Saskatchewan - au Nord du Montana et du Dakota, côté Canada pour ceux qui comme moi ne situent pas! - et sa petite ville francophone et catholique, mais surtout une famille affectueuse et aimante - pour partir vers un avenir incertain et une grande ville où les gens se moqueront sans aucun doute de son accent, ses vêtements et son ignorance. La route est longue, et elle est accueillie tour-à-tour par deux grand-tantes, l'une à Regina, l'autre à Winnipeg, et enfin par sa petite-cousine à Ottawa avant de reprendre le train pour l'étape ultime: Montréal, sa mère.
Ce voyage est un moyen pour
Michel Tremblay de rendre hommage à sa mère Rhéauna, héroïne de ce récit et de ce voyage qu'elle lui aura raconté, comme elle a dû souvent évoquer cette grande maison dans laquelle elle a passé les premières années de son enfance, mais également d'écrire sur le Canada des années 1900, la rusticité rurale, la modernité des grandes villes, la triple influence des croyances cris (une des tribus amérindiennes, canadiennes,) catholiques et protestantes et les hypocrisies citadines, la misère, la forte influence de la société.
Tout au long de son voyage, la petite fille, angoissée mais curieuse, ne demandant qu'un peu d'affection de la part de celles qui l'accueillent et acceptant d'être rassurée sans croire vraiment en ce qu'on lui promet de bonheur, rencontre des personnes qui, au fond d'eux-mêmes, cachent une souffrance,bien souvent une profonde solitude mais aussi une vie secrète, telle cette vieille tante acariâtre qui le soir joue merveilleusement du piano face aux voisins qui viennent l'écouter en silence sous la fenêtre, ou Ti-Lou, vivant dans le luxe grâce à son travail de femme indépendante de nuit (vous l'aurez compris bien sûr, mais pour Rhéauna, tout cela reste bien obscur).
J'ai lu ce roman un peu comme un conte, la maison, si rassurante, qu'on quitte, le voyage initiatique, les rencontres et les épreuves qu'elles induisent, l'apprentissage de la vie que fait Rhéauna au cours de ce voyage, sa sagesse finalement et sa très grande générosité d'enfant, et le but du voyage, enfin. Tout au long du récit, c'est l'arrivée et la rencontre avec la mère qu'on attend, inquiète comme elle, mais espérant un heureux dénouement. Comment est cette maman qu'on connaît si peu et qui réclame soudain cette aînée qu'elle avait laissée à ses propres parents? Pourquoi, soudain, veut-elle qu'elle vienne vivre avec elle, si loin de ceux qu'elle aime?
J'ai été émue par la justesse avec laquelle
Michel Tremblay écrit l'enfance et ses questionnements, mais aussi par ces chapitres consacrés à ces adultes incompréhensibles qu'elle rencontre. Un beau livre sur l'enfance, et un beau voyage dans ces grandes villes lumineuses et bruyantes ou le long du magique Lac Supérieur.