L'Histoire récente de la Tunisie est au coeur de ce roman, ainsi que l'amitié, l'amour et la beauté de l'art, qui s'oppose au fanatisme.
Je remercie Kielosa qui, par sa critique d'un autre ouvrage de Marc Trévidic
Terroristes, a attiré mon attention sur ce beau roman, très bien écrit, documenté et qui, en même temps, a une dimension poétique.
Ahlam est un prénom arabe qui signifie rêve, songe et le roman éponyme de
Marc Trévidic est un vibrant hommage à « toutes les Tunisiennes et les Tunisiens qui se battent pour prouver qu'un pays musulman peut être une démocratie ouverte sur le monde et les autres cultures… et que la femme est bien l'égale de l'homme, et non son complément. »
J'ai appris beaucoup de choses sur l'Histoire récente de la Tunisie en lisant ce livre, notamment que le principe d'égalité des sexes en Tunisie datait du 13 août 1956 et du code du statut personnel imposé par Bourguiba. le 13 août est ainsi la « Journée de la femme », jour choisi en 2012 pour une manifestation afin d'empêcher le parti En Nahda de donner un gage aux salafistes en faisant adopter l'article 28 de la nouvelle constitution, où la femme ne serait plus l'égale de l'homme mais son complément.
C'est le personnage d'
Ahlam, fille du pêcheur Farhat et soeur d'Issam, qui incarne ces luttes et ces idéaux de la jeunesse tunisienne. Elle m'a beaucoup touchée et j'admire son courage de femme qui, malgré la peur de la violence, refuse de se soumettre. Elle est aidée, soutenue et comprise par Paul qui est un artiste et l'ami de Farhat, au-delà de la différence culturelle. Farhat est de culture musulmane et Paul de culture chrétienne, même s'il est non pratiquant. C'est un Français, un peintre venu trouver l'inspiration à Kerkennah, loin de l'agitation touristique. Il ne repartira pas et deviendra presque un membre de la famille de Farhat.
Pour moi,
Ahlam est le récit d'une tragédie qui se termine cependant sur une note d'espoir. La tragédie de l'embrigadement, l'endoctrinement d'un frère, fils, ami, décrite avec précision et un très grand réalisme, sans manichéisme ni parti pris. J'ai ressenti beaucoup d'humanité dans la plume de
Marc Trévidic, peut-être le désir de comprendre comment un être humain peut sombrer dans la folie idéologique, d'une manière qui lui semble juste et rationnelle, légitimée par Dieu, au point de renier son père Farhat, son ami Paul alors qu'il lui a appris la peinture, sa soeur
Ahlam, parce qu'elle se comporterait comme une « putain », une « mécréante ».
Cette violence soudaine, incontrôlable, qui détruit tout sur son passage est ce qui m'a le plus marquée. Nos proches font des choix et certains de ces choix sont irréversibles, définitifs. Issam s'est choisi une nouvelle famille : les compagnons de sa cellule djihadiste, et pourrait tuer les membres de son ancienne famille si son émir le lui demandait…
Ahlam et Issam ne choisissent pas le même combat, le même idéal mais, entre combattants, des liens peuvent se créer comme entre Ayman, un des chefs de la cellule djihadiste, et Abdelmalik. Lorsque Ayman apprend le décès de son ami en Syrie, il traverse un moment de doute et de tristesse : « N'y avait-il que les mécréants à avoir le droit de pleurer la mort de leurs êtres chers ? »
Le thème de l'art est très présent : peinture, piano…,
Ahlam et Paul sont des artistes passionnés, des poètes, des idéalistes, ils aiment la beauté sous toutes ses formes : les couleurs, les sonorités, les corps, les paysages et vouent leur existence à la représenter, ils rêvent d'unir toutes les formes d'art. le conflit qui les oppose à Issam renvoie à des débats philosophiques ancestraux. Déjà,
Platon considérait que le poète n'a pas sa place dans la cité quand il est du côté de l'illusion et non de la vérité, qui vient des dieux. Issam désapprouve désormais l'art figuratif alors que, pour Paul, rien n'est plus beau que peindre un regard de femme, celui d'
Ahlam, celui de sa mère, qui est à l'origine de sa vocation artistique.
Ce roman est riche de plusieurs thèmes. Au-delà des débats contemporains sur des questions d'actualité telles que le djihadisme, le salafisme, le terrorisme ou des théories philosophiques, religieuses intemporelles sur l'art, sa place et sa fonction dans la société, il m'a fait songer à une petite phrase de Pascal : la « pensée fait la grandeur de l'homme » mais, malheureusement, elle peut aussi le faire sombrer dans le dogmatisme puis la barbarie.