"Je suis un provincial de cinquante-huit ans. Je n'ai pas d'enfants. Je ne me suis jamais marié." Ainsi commence "
Les splendeurs de l'Alexandra" de
William Trevor.
Trois phrases courtes et lourdes qui tombent comme des pierres dans l'eau. Puis vient le récit d'un amour de jeunesse ou plutôt de l'amour de toute une vie. Harry est lycéen quand il rencontre Frau
Messinger. Ses parents le destinent à reprendre la scierie familiale mais Harry s'y refuse. Alexandra a 27 ans et vient de la ville. Elle est anglaise, a épousé un allemand de 62 ans et la guerre a poussé le couple à se réfugier dans ce coin perdu d'Irlande. Harry est immédiatement ébloui par la beauté et la personnalité de cette jeune femme pleine de vie.
"C'était une femme grande, mince à l'extrême, aux cheveux d'un noir de jais relevés au sommet de la tête, aux yeux bleus, aux lèvres minutieusement fardées. de ma vie je n'avais rencontré une personne aussi belle ni entendu une voix qui me fît aussi délicieusement frissonner." écrira-t-il dans son journal.
Parce qu'il se sent à l'étroit dans sa famille, dans son lycée, dans son église, parce qu'il rêve d'une toute autre vie que celle qui lui semble destinée, Harry va s'attacher à ce couple qui a le projet un peu fou de construire un cinéma dans cette petite ville de province irlandaise. C'est le cadeau que Herr
Messinger veut offrir à sa femme avant qu'elle ne meure. le cinéma s'appellera l'Alexandra. Et sur cet écran, Harry découvrira tout un monde, toute une vie de rêves.
"Ce jour-là, avant que je parte, elle me demanda de l'embrasser parce que c'était la veille de Noël. J'effleurai sa joue de mes lèvres et un instant elle glissa sa main dans la mienne."
Il n'y aura rien de plus charnel entre Harry et Frau
Messinger. Il eut été facile pour l'auteur de nous écrire une sorte de "Blé en herbe" mais ce n'est pas le choix de
William Trevor. A cela il préfère dessiner les contours d'un amour immense entre les deux époux dont Harry demeure le témoin privilégié. Toute sa vie sera marqué par ce haut idéal, cet amour total d'un mari pour sa femme. le cinéma sera par la suite comme le tombeau d'Alexandra, un endroit sacré dont il ne pourra jamais se séparer.
"Je suis un vieux propriétaire de cinéma de cinquante-huit ans sans cinéma, pourtant lorsque je m'assois au milieu des sièges vides, mes souvenirs me comblent".
Roman nostalgique au charme suranné, "
Les splendeurs de l'Alexandra" m'a conquise par son écriture subtile et pudique. Je me suis attachée à ce jeune homme qui refuse de perdre cet amour si beau et si pur que la mort a rendu éternel. Un amour de cinéma peut-être. La vie rêvée de Harry.