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Alain Jumeau (Traducteur)
EAN : 9782213643465
821 pages
Fayard (06/01/2010)
4.37/5   62 notes
Résumé :
Dans cet ample roman victorien aux ramifications multiples, le centre de gravité est occupé par Augustus Melmotte, un financier véreux qui lance une vaste opération spéculative en Angleterre et en Amérique pour prendre au piège les investisseurs naïfs. Le procédé qu'il met en oeuvre à Londres dans les années 1870 préfigure curieusement certaines affaires du vingt et unième siècle. Melmotte n'est pas le seul à tricher. Les jeunes gens de bonne famille désargentés n'h... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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Quelle époque et quel pavé !
807 pages ...Il m'aura fallu une semaine pour venir à bout de ce roman, autant dire que j'ai été en totale immersion dans le monde que nous décrit Anthony Trollope.
Dans le Londres des années 1870, débarque un personnage mystérieux et sulfureux affublé d'une épouse et d'une fille unique . On croit savoir qu'il viendrait de Paris et qu'il est très riche mais il y a un hic : sa fortune soudaine ne serait pas acquise honnêtement.
Qu'importe ! Immédiatement, des hommes de la bonne société désirent s'associer avec lui, pressentant qu'il y a de l'argent à se faire sans rien faire ...
Car les jeunes gens que nous présente l'auteur, sont des héritiers, des rentiers , qui n'en "foutent" pas une, mais qui sont très doués pour dilapider le peu de fortune qu'ils ont , à leur Club, entre alcool et parties de cartes . Presque ruinés , ne pouvant payer leurs dettes de jeux, ils n' auront de salut que dans le mariage , à condition de tomber sur la bonne poire dotée d'une dot conséquente ...
Quelle drôle d'époque que celle-ci, et ses jeunes gens obligés de se marier pour maintenir leur train de vie , n'envisageant jamais le travail comme source de revenus .
Quelle drôle d' époque qui voit leurs pères préférant s'acoquiner avec ce Monsieur Melmotte, parce qu'incompétents en affaires, ils n'ont pas vu venir le piège de celui qui achète sans jamais payer , emberlificotant son monde par de belles paroles.
Quelle époque aussi, qui permettait à un écrivain d'écrire ceci : " Sa femme était grosse et blonde, une couleur qui n'était pas celle de nos juives traditionnelles ; mais elle avait le nez juif et les yeux resserrés des juifs".
[ J'avais déjà un truc identique dans un roman d'Agatha Christie ... ] .
Et même si après , il se fait pardonner, en dénonçant un homme qui refuse d'accorder la main de sa fille à un monsieur juif et qu'il dit de jolies choses sur la tolérance et le monde qui change , c'est choquant pour la lectrice du 21 ° siècle que je suis.
Bien sûr, il y a quelques longueurs , notamment sur les passages concernant les affaires et la politique ; bien sûr il y a quelques longueurs autours des histoires d'amours et d'argent , mais dans l'ensemble, c'est extrêmement plaisant et instructif.
J'ajouterais , que la langue est belle et les réflexions pertinentes dont une en particulier m' a fait sourire tant elle colle parfaitement à notre actualité "people/héritage ":
" Là-bas, la femme peut prétendre à avoir sa part des biens de son mari, mais ses biens à elle n'appartiennent qu'à elle. L'Amérique est assurément le pays des femmes... et , tout particulièrement, la Californie."
A QUE ... certaines personnes auraient été bien avisées de lire "Quelle époque !" Ils se trouveraient moins "démunis" aujourd'hui ...
Quand à moi, en refermant ce roman, je me suis demandé ce que Monsieur Anthony Trollope penserait de la notre, d'époque ...
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En anglais « The way we live now », ce roman présente sur une période d'environ six mois des spécimens de la « bonne société » londonienne. Il y a Lady Carbury sur laquelle s'ouvre le roman, veuve mal mariée qui a gardé de son expérience matrimoniale l'idée que l'amour est un objet de luxe que seuls quelques-uns peuvent s'offrir. Elle fait donc preuve d'une grande dureté envers sa fille Henrietta qui souhaite épouser le jeune homme dont elle est éprise. D'un autre côté tout en étant coupablement indulgente avec son fils Félix, joueur et buveur, et qui l'entraine à la ruine, elle le pousse à épouser une jeune fille dont la famille est douteuse mais très riche, quitte à en passer par l'enlèvement. Cette jeune fille c'est Marie Melmotte dont le père arrivé depuis peu en Angleterre brasse beaucoup d'affaires assez nébuleuses. Mais Melmotte entend bien donner sa fille selon ses intérêts à lui. Autour de ce financier gravitent des lords désargentés mais imbus d'eux-mêmes, prêt à vendre leur nom pour « respectabiliser » le lancement d'actions assises sur du vent ou presque.
Le monde littéraire et celui de la presse ne valant pas mieux. Lady Carbury qui s'est lancée dans l'écriture pour gagner un peu d'argent, n'hésite pas à jouer de son charme pour essayer d'obtenir de bons papiers, plutôt immérités, dans les journaux, avec plus ou moins de succès, car de toute façon, certains éreintent les livres dont ils font la chronique parce que cela fait vendre.
Le monde financier dans lequel on met ses opinions et scrupules de côté afin de participer aux bénéfices, le monde des jeunes aristocrates joueurs, buveurs, en quête d'une héritière, tous assez inconsistants, le monde journalistique peu respectueux de la vérité, peu sont épargnés.
Les femmes me semble-t-il s'en tirent un peu mieux. L'énergie n'est niée ni à Mrs Hurtle, américaine venue rappeler à un jeune anglais sa promesse de mariage, ni à Lady Carbury. Les jeunes filles telles Mary Melmotte ou Henriette Carbury sont droites. Les soeurs Longestaffe sont un peu moins bien traitées, mais dans l'ensemble face aux frères auxquels tout est permis, leurs personnalités sont plus riches.
Autre sujet traité, les préjugés à l'encontre des juifs, tolérés dans la finance, mais dont on ne veut pas dans sa famille malgré un début d'évolution. Bref, une peinture peu reluisante de la société de la deuxième moitié du 19ème comme le laissant entendre le titre.

Je me suis aperçue que je jugeais l'un des protagonistes différemment que les personnages du livre le font. Roger Carbury est considéré par tous comme un modèle de vertu, mais je l'ai trouvé particulièrement hypocrite, sans qu'il s'en rendre compte apparemment. Parce qu'il est parfait tant que ses intérêts ne sont pas en cause, mais lorsqu'ils le sont, il se révèle impitoyable et surtout sûr de son bon droit au-delà de la réalité. Tandis que j'ai été plus indulgente que prévu apparemment pour son rival Paul Montague. Preuve encore que la lecture n'est pas un acte neutre.
Publié en 1875, se passant dans les années 1870, il semble que ce soit à cette période qu'Anthony Trollope situe le début du règne inconditionnel de l'argent. C'est à quelques années près, celle que Zola juge aussi à l'origine du même changement.
Je me suis demandé si Trollope était puritain, car si ces jeunes gens jouent, boivent, courtisent sans amour, ils ne semblent pas vivre d'aventures amoureuses. Si sir Félix s'intéresse à une jeune villageoise qui le rejoint à Londres où elle s'installe chez une tante, il se contente de l'inviter au music-hall ou au restaurant. La seule fois où Félix tente d'en avoir un peu plus se termine mal pour lui ; la morale est sauve. .
Dans l'ensemble, ce livre trouve de nombreux échos dans notre époque.
Peut-être quelques longueurs, et quelques redites en début de chapitres qui laissent à penser qu'il a été publié d'abord en roman feuilleton, mais un roman qui vaut la peine d'être lu. D'ailleurs j'y reviendrai, la grande production de monsieur Trollope laisse un large choix. Je serai assez tentée par la série Les chroniques du Barsetshire.

Challenge ABC 2015-2016
Challenge 19ème siècle


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Quelle horreur cette couverture J'ai lu! Facile jeu de mots avec le titre certes mais c'est ce que je me suis dit en achetant le livre. Et redit en en entamant la lecture. Et à chaque fois que je reprenais le volume.
Heureusement le texte, quoiqu'écrit en caractères vraiment riquiqui, rachète grandement l'affreuse illustration.

Bienvenue dans le Londres des années 1870! Ses financiers prospères, ses vieilles familles qui se dessèchent et craquent sous le poids des dettes, ses intrigant(e)s, ses crapules en col rigide de monsieur, ...
Quelle époque!, c'est la fresque immense d'une époque charnière où l'aristocratie bon ton tend à céder le pas aux manieurs d'argent en Bourse. C'est à la fois le vieux monde de traditions et d'honneur et le nouveau en course vers un capitalisme effréné, les hobereaux de campagne et les enragés du jeu, le journalisme plus ou moins partial en échange de bons procédés et la députation à la Chambre des Communes qui se joue à coup d'éclats.

Il y a beaucoup de personnages, forcément, dans ces 900 et quelques pages. Trollope y va gaillardement de sa plume effilée qu'il plonge dans une encre allongée d'ironie grand crû. Et qu'il égratigne le vernis de la "bonne" société. Et qu'il soulève travers et ridicules de ses créatures. Les baronnets se trouvent être de fieffés coquins affalés dans l'alcool, les cartes... et les dettes. On assiste donc à de sévères courses au bon parti - ça vaut aussi bien pour les damoiseaux que les demoiselles - pour redorer un peu le blason et/ou remplir sa bourse.
Le gros lot, pour ces jeunes messieurs, semble être cette nouvelle venue dans la sphère mondaine du Londres victorien: Marie Melmotte, fille d'un nouveau riche venu de France, à la sulfureuse réputation d'escroc en affaires. Il y a un peu de l'Aristide Sacquart de Zola chez ce personnage outrancier, qui dépense l'argent à tout va et attire comme un trou noir les plus grandes famille.

Anthony Trollope offre une place très intéressante et diversifiée à ses personnages féminins. Lady Carbury, dont les lettres commencent le roman, est formidable à suivre dans ses intrigues pour placer ses écrits, marier son fils (et accessoirement éponger ses incessantes dettes) et sa fille, sauvegarder les apparences en faisant front contre la pauvreté. Si elle ne manque pas de caractères ridicules, je ne peux malgré tout m'empêcher de la trouver passionnante.

Si le fil rouge Melmotte reste au coeur du roman, gravitent autour une foule d'histoires secondaires où se mêlent l'amour, l'argent, la cupidité, les ruses, la violence et encore bien d'autres choses.

C'est foisonnant. C'est drôle. C'est férocement mordant. Bref un régal de lecture dans l'ambiance de l'Angleterre du XIXème siècle.

Et même si la fin traîne parfois un peu en longueur, comme si Trollope lui-même s'était un peu perdu dans ses multiples intrigues et ne savait plus comment finir chacune d'elles, j'en redemande!
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On va encore dire que je le fais exprès, on va de nouveau m'accuser d'être volontiers dénigrant, me reprocher mes blâmes et ma désinvolture comme autant d'excès répétés : n'empêche, il faut admettre ce qui est, l'éditeur J'ai lu, avec ce roman de Trollope, a véritablement réalisé un travail de merde. Son seul mérite à peu près aura été d'empêcher le fabricant d'imprimer les pages de travers, défaut, certes, que les prestataires de chez Folio, payés probablement avec des restes de papier utilisables aux toilettes, n'évitent pas toujours.

D'abord, ce livre ne s'intitule pas du tout « Quelle époque ! » Non : ce titre en français est une « traduction » racoleuse et des plus approximatives pour The way we live now. Pour moi, je ne vois pas du tout quel inconvénient il y aurait, chaque fois que c'est possible, ou bien de conserver l'appellation d'origine – et, pour tout dire, je trouve tout aussi singulier d'aller à Londres et non à London, quand des anglophones vont à Pariss et non à Paris (J'imagine que pour aller jusqu'au bout de cette logique il eût fallu intituler Spoon River Anthology par « Anthologie de la Rivière Cuillère » !) – ou bien de la traduire aussi littéralement que possible – et quel problème majeur eût résulté par exemple d'un Comment nous vivons à présent (sans point d'exclamation) ? Car mon avis est que si l'on n'aime pas le titre d'une oeuvre dans la langue où elle a été écrite, il ne faut qu'en blâmer l'auteur, et ne pas faire accroire que celui-ci a été mieux inspiré que dans sa langue natale.

Ensuite, la couverture, pour toute colorée qu'elle est aux éditions J'ai Lu– et attirante peut-être à de très jeunes enfants – est encore une de ces horreurs de composition de studio sans le moindre rapport avec le roman : j'ignore pourquoi il faut qu'une femme en tenue victorienne y figure ainsi décapitée par une tache d'encre grise sur un fond d'hallucination rose bonbon (c'est peut-être ce qu'on appelle : « Art contemporain », c'est ma faute certainement d'être si handicapé à comprendre ce qui, du point de vue du créateur même, n'a jamais d'explication – bizarrement, je n'essaie pourtant pas de me soigner, estimant mon mal légitime, salutaire et mon cas désespéré) ; c'en est à regretter l'époque bénie où des artistes avaient lu l'oeuvre qu'ils avaient mission d'illustrer. Mais on peut penser que l'entreprise qui s'en est chargée était à son quinzième travail ce jour-ci, qu'elle rencontrait alors un cruel manque de personnel lié par exemple à une épidémie fulgurante de gastro-entérite, c'est pourquoi on peut la pardonner en cette circonstance, quoiqu'il y ait en l'occurrence quelque importunité, je crois, qu'une telle maladie paraisse si malencontreusement devenue contagieuse par les yeux.

Enfin, je suppose qu'il se trouve financièrement un vice rédhibitoire à proposer un ouvrage excédant 800 pages : c'est certainement un seuil inadmissible pour un éditeur, quelque chose comme une limite infranchissable et maudite susceptible de vous attirer les pires ennuis ou une déveine pas possible, c'est peut-être comme prononcer le mot « lapin » sur un bateau ou « corde » dans un théâtre. Or, ceci considéré et admis, comment faire pour qu'un livre de plus de mille pages « tienne » en seulement huit cents ? Des ingénieurs, je pense, ont sérieusement réfléchi au problème, et ils ont conclu qu'en réduisant la police d'écriture on doit mécaniquement être en mesure de diminuer le volume de l'ouvrage ; les ingénieurs, dit-on, sont des gens très intelligents ; eh sans doute ! mais ils ne lisent guère apparemment, et donc ils n'entendent point que faire tenir 43 lignes (quarante-trois !) sur une seule page de livre de poche est un supplice pour n'importe quel lecteur humain aux capacités oculaires normales.

Pour autant, si vous pouvez passer outre à la fois : le titre, la couverture et la taille des caractères, c'est-à-dire si vous ne faites aucun cas de traduction, d'esthétique ou de confort quand il s'agit d'élire un livre, alors peut-être prendrez-vous la peine d'essayer celui dont je propose aujourd'hui la critique, malgré, évidemment, mon tempérament si « ombrageusement négatif ».

Anthony Trollope, à ce que j'ai compris, est un britannique contemporain de Jane Austen et un auteur d'une certaine importance à l'époque, du moins d'une certaine prolificité – si l'expression n'est pas encore galvaudée. The way we live now passe, dit-on (ou plutôt « dit Alain Jumeau » : compte tenu de la compétence de l'illustrateur, je ne veux présumer de rien quant à celle du préfacier), pour l'un des meilleurs et des plus satiriques ouvrages du romancier.

Le livre relate, comme chez Austen qui feint seulement de ne pas s'en rendre compte, la quête frénétique et absolument nécessaire d'un mari ou d'une épouse, mais dans ce livre c'est à l'exclusion, en général, de la dimension mièvre et douceâtre de la romancière où l'étalage de sentiments nobles rencontre, curieusement (mais on vous fait comprendre que c'est absolument une coïncidence !), le besoin impératif d'entretenir des jeunes femmes désargentées ; or, là, chez Trollope, pas d'illusion : les couples se recherchent premièrement par intérêt, et Lady Carbury notamment ne désire « placer » son fils Félix auprès de Marie Melmotte que dans l'optique d'en obtenir pour lui la dot considérable – le père Melmotte, quoique d'une réputation très douteuse, passe pour un investisseur extrêmement riche –, à charge pour Félix de donner assez bien l'illusion d'être amoureux de la fille, une personne inconsistante et plein de préjugés évanescents et romanesques sur l'amour.

Et c'est tout l'attrait du roman, à mon sens, de plonger le lecteur dans un univers cynique d'intentions programmées, d'hypocrisies inassumées et de compromissions mondaines, dans une société londonienne d'aspect fort policé mais où les apparences les plus ordinaires et courtoises ont toujours des fondements dérisoires et turpides. Sur ce thème, d'ailleurs, on traverse avec une certaine curiosité bien des mondes, celui du journalisme, de la finance, de la religion, de la justice ou de la politique, mais quoique, certes, sans jamais y entrer vraiment, sans en pousser l'exploration jusqu'à un certain degré de connaissance approfondie, ce qui est inévitablement un défaut dans un roman de cette dimension qui prétend justement à dénoncer le superficiel.

On distingue aussi, dans cette oeuvre, une galerie réjouissante de personnages secondaires, des créatures aussi truculentes que vraisemblablement impossibles : des jeunes hommes comiques et d'une incroyable indolence, des avocats incompétents ou au contraire d'une rapacité active, des femmes étonnamment avides de mondanités à n'importe quel prix… Et, face à cela, les principaux jouent une partition de noblesse assez disparate et grandiloquente, avec leurs élans sincères, leurs sacrifices tragiques, leurs discours rationnels et leur dignité héroïque, au point de sembler appartenir tout à fait, eux et les premiers, à deux humanités distinctes. C'est, je trouve, un inconvénient que ces figures cohabitent si mal au sein d'une même intrigue, il y faut des tours de force littéraires et des ficelles trop sensibles, d'autant que l'auteur ne se départit pas d'accompagner sa critique sociale de bons sentiments trop tendres, et cela fait un mélange curieux où les ingrédients individuellement sapides font en tout une saveur bizarre et désunie. Et, au milieu de cela, le lecteur attentif devine et distingue des façons d'assaisonnement nécessaires à lier ces goûts : bien des transitions sont longues et forcées comme certains développements intérieurs – on pressent que le romancier s'est ennuyé à les écrire –, la fin est presque importune d'atermoiements et de facilités, et je soupçonne même l'auteur d'avoir accumulé des recettes comme on rédige un devoir de vacances, avec un sens consommé du style qui ne fait pas disparaître totalement l'ennui des passages obligés. On se retrouve avec un nombre considérable de personnages qu'il faut accorder au moyen d'astuces et de coïncidences étranges, et puis, pour chacun d'eux, trouver des péripéties qui les rapprochent et les éloignent tour à tour de leurs desseins particuliers, et, enfin, leur imaginer un dénouement éloquent correspondant à leur caractère – sans, par ailleurs, que ce caractère ait vraiment changé (il n'y a que Marie Melmotte qui va évoluer au cours du récit, mais c'est loin d'être, dans l'intrigue générale, une figure de premier plan). Ce que je décrie ici est peut-être, au fond, le vice foncier d'une certaine littérature britannique qu'une mode plus que temporaire a obligée à relater des sentimentalités mièvres mêlées de mondanités plus ou moins féroces : cette spécialité est à l'origine de nombreuses variations originales mais sans innovations impressionnantes, pour ce que j'ai lu ; on y perçoit toujours une certaine « parentalité nationale », mais sans identités nettement distinctes ; ces auteurs appartiennent tout à des traditions et à des courants plutôt qu'à eux-mêmes, ils font ce qu'on attend d'eux, et, dans ce Trollope, on distingue l'habitude et les trucs littéraires qu'il faut et qui servent à « vivre de sa plume ».

Il ne faut cependant rien exagérer, le roman est d'une grande élégance, un peu académique souvent – les délibérations des personnages « bons » sont notamment des modèles trop sagement caractérisés de dialectique organisée en trois parties –, mais aussi d'autres fois pittoresque et mordant, notamment à travers de vifs dialogues ironiques ou cruels (comme celui que je fais figurer en exemple ci-après) ou au moyen ponctuel d'aphorismes bien sentis sur la société et les gens. C'est seulement un peu long, peut-être, pour ce que ça raconte ou plutôt pour ce que ça « révèle », on en sort divertit mais sans beaucoup de surprises, la satire n'y est même pas si féroce puisque les mauvais hommes sont tous finalement punis ; c'est néanmoins soigneusement et rigoureusement construit, on suit avec intérêt ces mannequins guindés qui ne sont à peu près rien pour l'homme normal, c'est un film élaboré qui se laisse voir sans trop d'impatience mais à distance, pas du tout si vigoureux ni sagace ni précis ni intelligent ni drôle que Télérama l'annonce sur la quatrième de couverture (et « tout cela à haute dose » : dixit Télérama qui semble ainsi considérer des vertus par quantités mesurables un peu comme des bouchons ou des cuillerées ; à coup sûr, le critique qui s'est chargé d'un tel article a aimé Trollope « à haute dose », il faudrait du moins le lui demander !), mais toujours assez bien fait pour servir d'exemple de prose et de construction sérieuses aux professionnels médiocres d'aujourd'hui. On n'en lira certainement pas un second du même auteur – c'est qu'il nous faudrait, à nous autres passionnés et esthètes, un récit avec justement plus de vigueur, plus de sagacité etc. que ces doses qu'on y trouve « instillées » dans cet ouvrage –, mais on n'aura pas pris trop de déplaisir à celui-ci, ne serait-ce que dans son style élevé et sa manière plutôt aristocratique et désuète. Ce n'est pas que l'intrigue ait eu beaucoup d'intérêt pour moi, mais ne l'ai-je pas déjà dit ailleurs ? je me moque généralement des histoires, n'ayant pas eu le bonheur en ma vie d'en lire seulement une vingtaine qui m'aient véritablement surpris, encore moins épaté.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Je suis ravie d'avoir participé à la lecture commune organisée par Adalana. Sans cette motivation, je pense que je n'aurais jamais ouvert ce livre, ou je l'aurais reposé après avoir lu les premières pages. Même s'il est intéressant et très bien écrit, ce roman n'est pas facile à lire. Ce billet commencera par une présentation des personnages et finira par une petite conlusion.

Aux premières pages, on rencontre lady Carbury. Cette veuve d'une quarantaine d'années, encore belle, souhaite que ses écrits sur les amours d'Henri VIII soient édités. C'est obsessionnel et d'une ambition démesurée. Manipulatrice, elle joue de son petit pouvoir auprès des hommes, peu scrupuleux, qui seraient susceptibles de la publier ; oeillades, frôlements, lettres… elle promet sans donner. Son caractère se dévoile dès les premiers mots. Je sais alors que je n'éprouverai aucune sympathie pour elle, trop stratège et vulgaire dans ses desseins. L'auteur explique, peut-être pour l'excuser, que sa vie ne fut pas facile avec une enfance misérable et un mari odieux. Ce militaire anobli était généreux mais violent, impulsif et tyrannique. Lady Carbury a deux enfants.

La cadette, Henrietta que l'on appelle Hetta, est une jeune fille de vingt-un ans. Moins lumineuse que son frère aîné, elle possède une beauté douce et bonne. Soumise à l'autorité maternelle, elle reste souvent en retrait, cherchant à n'occasionner aucun remous, aucune affliction. Cette jeune fille, image parfaite, est courtisée par son cousin Roger…

L'aîné, le baronnet sir Félix Carbury, est l'héritier. Il dilapide la fortune familiale au jeu, trop gâté par sa mère qui voit en ce fils des promesses qu'il ne tiendra jamais. Beau, on le compare à un Adonis, jeune, plein de suffisance, égoïste, paresseux, stupide, inconscient ou insouciant, il est détestable. Il n'aime pas, il s'aime. Responsable de l'état pitoyable des finances familiales, il est obligé de chercher une héritière. Les familles nobles sont en ce siècle, désargentées. le travail étant une indignité, ils vendent leurs titres, leur pedigree, en épousant des filles de « boutiquiers ». La finance tient le monde fermement par le collet. Les maîtres de la City sont des hommes d'affaires qui donnent le tempo, et font la pluie et le beau temps. Souverain absolu, Augustus Melmotte, est l'homme à courtiser… sa fille Marie est la proie de tous les coureurs de dot, elle est dans la mire de sir Félix…

Augustus Melmotte est Midas. On le dit si riche ! Mais qui connaît vraiment cet aventurier de la finance ? Les gens le haïssent, le craignent, l'écoutent et s'en méfient. Il oblige la noblesse à courber l'échine. Sans considération, sans estime pour son prochain, il est possédé par l'envie de dominer ; affaires et politique. Son empire est considérable, mais ce qu'il convoite est difficile à acquérir. Si certains désirent l'argent, lui veut la terre, des biens fonciers, un patrimoine et toute l'histoire qui s'en rattache. Il cherche une légitimité. Il propose des actions dans le Grand Chemin de fer du Pacifique Centre et Sud du Mexique. Il distribue les rôles et implique la bonne société dans ses conseils d'administration. Sa fille ? elle est un pion qu'il dispose pour assouvir ses ambitieux projets…

Marie Melmotte, d'après la noblesse, n'est pas une fille « comme il faut ». Au premier coup d'oeil, Sir Félix la trouve sotte, commune et inintéressante. Seule sa fortune la pare d'une aura particulière. Forcé à se montrer galant, il arrive à s'en faire aimer. Rival de son ami de débauche lord Nidderdale, fils de marquis, il triche sur ses sentiments sans effort et même sans conviction. Et Marie, qui aspire à rencontrer l'amour, s'abuse bien tristement.

Lors de son premier bal, Henrietta prend conscience de son attirance pour Paul Montague. Ami de longue date du cousin Roger Carbury, presque un parent, il était parti en Amérique rejoindre son oncle. de retour en Angleterre, ses projets professionnels et financiers sont en affaire avec ceux de Melmotte. Jeune homme intègre et fidèle, il m'a paru naïf et falot (rien de bien séduisant).

Dernier personnage principal, un homme un peu en retrait de l'intrigue financière, c'est le cousin Roger Carbury. Il est une âme loyale, honnête et juste. Proche de sa terre, de ses gens, il a su gérer son capital et bénéficie de belles rentes. A travers ses yeux, l'auteur nous parle de son domaine d'une façon aimante et respectueuse. Les descriptions sont belles, elles m'ont enchantée. Roger est un homme d'âge mûr de quarante ans, hélas trop vieux aux yeux d'une jeune demoiselle dont il est passionnément épris. Ce qui le distingue, c'est sa sincérité et le fait qu'il place l'amour au dessus de tout. Généreux dans ses actions, il l'est aussi dans les sentiments. Par amour, il saura placer le bonheur d'Henrietta hors de sa portée et l'offrir à son ami avec sa bénédiction. Homme d'un seul amour, le lecteur sait tout le mal qu'il peut endurer.

D'autres personnages animent l'histoire. Ils participent avec bassesse aux impostures et manigances. Se vendre paraît être l'élément commun de cette noble assemblée, l'argent étant le carburant vital.
Le roman est une satire sur l'immoralité. Cette époque voit des jeunes gens de l'aristocratie s'endetter sans se formaliser ; le jeu, la paresse, la vanité, les faussetés…
L'auteur met en branle sa mécanique. le XIXème siècle se transforme, il s'épanouit dans son industrie et les bénéfices sont colossaux pour ceux qui se hasardent à investir. le pouvoir est donné aux hommes les plus rapaces et les plus corrompus. C'est l'introduction du monde capitaliste actuel.

Ai-je aimé cette lecture ? Oui, certainement. Elle est très intéressante. J'ai pris de nombreuses notes, accordant de l'importance à toutes les trames du scénario, appréciant les histoires de coeur comme celles plus politisées et sociétales. Cependant… là, étant mes bémols… j'ai trouvé certains passages trop longs, trop bavards dans leur analyse, et je n'ai pas eu cet élan admiratif que j'ai à chacune de mes lectures des oeuvres de Jane Austen ou Elizabeth Gaskell. Je suis restée en retrait, j'étais simple spectatrice, alors que j'aime m'impliquer dans mes lectures.

En ce qui concerne la couverture du J'ai lu, je suis du même avis que certaines lectrices, elle est horrible. Cependant, elle caricature bien les personnages, leur donnant une forme de gnome pour les deux hommes, et de charretière pour la femme. le ton est grotesque, vulgaire, presque libidineux pour l'un des trois. Sa convoitise est malsaine. Au plus je regarde cette illustration, au plus je lui trouve une vérité. Elle raconte tout l'abject du roman. La concupiscence de l'un, la grossièreté de l'autre…
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation

Il y a l’article destiné à faire vendre un livre, qui parait juste après la sortie du livre, ou parfois avant ; l’article qui crée une réputation mais sans affecter les ventes, et qui paraît un peu plus tard ; l’article qui étouffe un livre sans bruit ; l’article qui va élever ou abaisser l’auteur d’un cran ou deux, le cas échéant ; l’article qui va, tout à coup, faire un auteur, et l’article qui va l’éreinter. [...]. De tous les articles, l’article qui éreinte est celui qui a le plus de succès, car c’est le plus agréable à lire. […]. Un tel article ne va pas inciter tout le monde à commander l’Evening Pulpit, mais il va créer chez ses abonnés la satisfaction d’en avoir pour leur argent. Chaque fois que la diffusion d’un tel journal commence à faiblir, les propriétaires devraient, bien évidemment, exhorter leur monsieur Alf à donner un peu plus de vigueur au service des éreintements.

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Le lendemain, elle porta elle-même son manuscrit chez MM Leadham et Loiter et, de nouveau, elle fut choquée par le peu d'égards que l'on semblait manifester à ses feuillets rassemblés. Il y avait là six mois de travail ; elle y avait mis toute son énergie, toute son intelligence - la quintessence de son esprit - comme elle aimait à le dire elle-même, lorsqu'elle parlait avec chaleur de ses œuvres ; et M. Leadham le jeta en direction d'un employé qui avait peut-être seize ans, apparemment, et le jeune gars, avec beaucoup de sans-gêne, flanqua le paquet sous un comptoir. Un auteur a le sentiment que son travail doit être reçu par des mains avides, mais respectueuses, et tenu, avec beaucoup de prévenance, à l'abri de tout accident, avant d'être déposé dans le saint des saints d'un coffre-fort totalement à l'épreuve des incendies.Oh ! Bonté Divine ! S'il devait se perdre!...ou être brûlé !... Ou volé !! On peut très bien découvrir par la suite que ces bouts de papier, si facilement détruits, si peu respectés apparemment, ont une valeur supérieure, infiniment supérieure, à leur poids en or! Et si l'on avait perdu Robinson Crusoé ! Si Tom Jones avait été dévoré par les flammes ! Et qui sait si ce n'était pas peut-être un autre Robinson Crusoé... un roman meilleur que Tom Jones? Il est en sécurité, là, demanda Lady Cadbury.
- Tout à fait, dit Mr Leidham, qui était assez occupé et qui voyait peut-être Lady Cadbury plus souvent que la nature et l'importance de sa production littéraire ne lui paraissaient l'exiger.
-J'ai eu l'impression qu'on ...le fourrait....sous le comptoir !
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Le samedi suivant, parut dans le journal de Mr Alf, l’Evening Pulpit, un article très remarquable sur le Chemin de fer du Pacifique Centre et Sud et du Mexique. Cet article suscita beaucoup d’intérêt, et il était donc remarquable ; mais ce qu’il avait de plus remarquable encore, c’était qu’il ne laissait aucunement aux lecteurs l’impression d’une opinion tranchée sur le chemin de fer. A tout moment, dans l’avenir, le rédacteur en chef serait en mesure de mentionner cet article avec autant de fierté, que le chemin de fer devienne une grande réalisation internationale ou qu’il connaisse la déconfiture, au milieu des bagarres sordides d’une horde d’escrocs. In utrumque paratus*, l’article était mystérieux, allusif, amusant, bien informé (cela allait de soi pour l’Evening Pulpit) et avant tout, ironique.
*Prêt à toute éventualité.
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Il y a cinquante ans , même si un juif pouvait légitimement prétendre à être considéré aussi bien qu'un chrétien, il n'était pas assurément considéré comme tel. La bonne société lui était fermée, sauf dans des circonstances particulières, de même que tous les privilèges d'une situation élevée. Mais cela a changé. Votre père n'accepte pas ce changement ; mais moi, je pense qu'il ne le voit pas, parce qu'il ne veut pas le voir.
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Elle était personnellement au-dessus de tous les préjugés de cette nature. Juif, turc, ou incroyant, cela n'avait pas d' importance pour elle. Son expérience du monde était suffisante pour qu'elle sache que son bonheur n'était pas dans cette direction, et qu'il ne pouvait absolument pas dépendre de la religion de son mari.
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