Mon avis :
L'auteur, diplômé d'Histoire et ancien élève de Science-Po Paris, travaille dans sa zone de confort, puisque ce roman historique, malgré ce qu'en dit la quatrième de couverture, traite essentiellement de l'aspect politique de cette société du début du XIXe siècle.
On y rencontre
George Sand, il est vrai, mais plus que de son oeuvre littéraire, c'est de son engagement politique et social qu'il est surtout question. Les autres artistes cités dans le résumé ne font pratiquement que de la figuration, et même si on peut lire deux ou trois anecdotes à leur propos, l'art n'est pas vraiment l'ingrédient principal de ce roman. Avec un tel titre, je m'attendais à ce qu'il occupe une place plus importante. Il est vrai que pour quelqu'un qui n'a pas lu les trois tomes précédents, il est un peu trompeur, ce titre… le personnage principal (fictif) n'est pas
George Sand, mais
Jeanne, sa voisine, et c'est donc de ses souvenirs à elle qu'il s'agit, dont une partie évoque sa relation avec l'illustre femme de lettres.
Cela énoncé, les lecteurs férus d'Histoire y trouveront sans doute leur compte : la description des événements qui jalonnent la période couverte est riche de détails et l'ambiance sociopolitique est bien restituée. Ceux qui suivent la saga auront certainement plaisir à retrouver ces personnages qu'ils connaissent ; ceux qui, comme moi, les découvrent ne seront pas perdus : les retours sur le passé sont suffisamment explicites, on n'a pas besoin d'avoir lu les trois premiers tomes pour comprendre.
D'ailleurs, y a-t-il quelque chose à comprendre ?
Ce roman présente une « carte postale » assez intéressante de la France de cette époque, mais l'histoire en elle-même manque cruellement d'aspérités auxquelles s'accrocher. En dehors de la courte aventure que
Jeanne a avec le duc de Nuys, et de la tension qui marque chacune de leurs rencontres par la suite, on ne se sent pas vraiment d'empathie pour cette femme qui semble n'être là que pour servir de fil rouge… On ne la voit pas vraiment vivre ni en tant que femme ni en tant que paysanne, et pas plus en tant que mère, du moins jusqu'à ce que son fils ait atteint l'âge adulte…
Jeanne Chapelin a la chance d'être intime avec
George Sand, de rencontrer les esprits les plus brillants de son temps, mais on a l'impression qu'elle n'est qu'un témoin invisible et muet, qu'elle ne participe à rien. Et elle ne rapporte pas grand-chose de ces rencontres avec ces artistes qui, comme je le disais plus haut, sont finalement ressentis comme des figurants.
De
George Sand, on suit de loin en loin son engagement social, on est au courant de ces parutions, mais uniquement à travers le témoignage de
Jeanne. Là aussi, avec l'héroïne du roman, on reste simple témoin.
Le duc de Nuys est finalement le personnage le plus intéressant… Bien qu'on soit loin d'avoir assez de matière pour vraiment l'apprécier, il semble néanmoins avoir bénéficié d'une attention particulière. Peut-être à cause de son implication dans la vie politique de l'époque, ce qui, comme je l'ai dit plus haut, est le véritable fond de cet ouvrage.
Sur la forme, l'usage systématique et parfois redondant de termes argotiques et du patois de l'époque fait un peu étalage et finit par lasser. Si cet emploi peut se défendre dans le cadre de dialogues, il est un peu lourd à digérer dans le corps de la narration. J'ai aussi relevé pas mal de maladresses syntaxiques et de vocabulaire. Je me suis même demandé à deux ou trois occasions, si l'auteur connaissait vraiment le sens de certains mots…
Autre point d'achoppement : si les dates concernant les événements majeurs de cette période de l'Histoire sont évidemment exactes (vu le parcours de l'auteur, manquerait plus qu'elles soient fausses !), l'ensemble du récit baigne dans un étrange flou chronologique. On voit, par exemple, le duc de Nuys qui semble découvrir la prison où est enfermé Louis-Napoléon
Bonaparte et on apprend quelques lignes plus loin qu'il y est déjà venu… le peintre Delacroix arrive chez
George Sand au chapitre 23, alors qu'il est cité bien plus tôt comme donnant des cours au fils de l'écrivaine… L'enfant de
Jeanne à onze ans en 1851, et seulement vingt-quatre en 1866… C'est du moins comme cela qu'on le comprend, à cause de ce manque de précision lorsque l'on passe d'une date à une autre. On a l'impression que
Guillaume Trotignon, dans son désir de nous donner un maximum de détail, avance par association d'idées en oubliant que le lecteur n'a pas forcément tous les codes pour bien replacer les événements.
Bref, mis à part une belle carte postale historique, rien, dans ce roman de plus de cinq-cents pages, ne m'a réellement convaincu. Si l'ensemble ne manque pas complètement d'intérêt, l'histoire et les personnages qui la vivent manquent de consistance, d'épaisseur.
L'auteur aurait sans doute excellé dans un roman recentré autour de ce qui le motive le plus et qu'il maîtrise : les magouilles, les complots économico-politiques, les luttes pour le pouvoir… Il aurait pu en tirer une espèce de polar ou de roman d'espionnage historique palpitant, au lieu de ça, il nous sert son sujet enrobé d'une histoire romanesque et régionaliste qui en brouille la lecture. Ce livre trouvera peut-être son lectorat chez les amateurs de romans régionaux, on ne peut pas lui enlever sa belle description du Berry du XIXe siècle (toujours le côté « carte postale »), mais pour moi, l'objectif n'est pas atteint.