Aujourd'hui je végète sur mon bord de trottoir en jouant au philosophe. Mais demain, qui serai-je ? Et comment, comme tout le monde, habiterai-je en même temps la vérité et le mensonge, la force et la lâcheté ? Quel soi-même on finit par être, au bout de quel parcours ? (p. 16)
Ce peut être une erreur de penser aux grandes choses en oubliant les petites. Souvent nous avions oublié le détail de la vie courante. Luttant dans l'espérance d'un kannjawou final, nous n'avions pas touché au réel immédiat. L'idéal est pourtant une chose qu'on devrait vivre au quotidien, mais nous n’avons pas su. Occupés à préparer l'avenir. Sans comprendre que les gens ont besoin de bonheur au présent, et qu'on ne peut pas toujours leur demander d'attendre.
Je me rappelle que je l'aimais beaucoup. C'était un frère de rue et de la bande des cinq. Aujourd'hui, je n'aime en lui que ce que nous étions hier. Et je ne sais pas ce qu'il aime.
C'est en suivant ses lignes de faille, quand on préfère aux choses l'apparence des choses, qu'on se trompe d'itinéraire et devient le clown de soi-même.
Comme le répète man Jeanne, quand on habite une rue qui finit chez les morts, on est bien placé pour savoir qu'il est proche le jour qui se lèvera sans nous. Et notre absence ne changera rien au vaste cours des choses. Le tout est de meubler ce presque en cherchant la juste mesure. Aujourd'hui pour meubler ce rien, je ne pardonne pas aux malheur. Aux employés de la fabrique du malheur. D'où qu'ils viennent. Qui qu'ils soient.
Tout le monde parle. Et la parole permet de gagner des bons points dans la course au paraître. ça s'appelle la démocratie. (p.25)
Tu sais comment on devient un militant ? Faut commencer par être humain. Et un humain, ça parle des autres en s'excusant.
Nous sommes tous dans les livres, comme les preuves que les personnages qu'on y trouve existent vraiment.
Mais parfois ceux qui survivent n'ont pas moyen de survivre. Survivre peut être un travail à plein temps qui consomme toute leur énergie. Quand tu ne sais comment va finir le jour, il n'y a dans ta vie ni hier ni demain, ni rêve ni mémoire. Ce peut être pour cela qu'il y a moins de monde dans les cortèges. Occupés à ne pas mourir, les vivants n'ont plus le temps d'accompagner les morts.
« Nous (Popol et le narrateur), de la bande des cinq, nous avons quand même eu la chance de découvrir très tôt le pouvoir du langage. Nous sommes tombés tôt sur les mots. Tous les gars et les filles des rues comme la rue de l’ Enterrement, n’ont pas vécu cette expérience. »
« Tous ces mots qui sont devenus notre passeport, tous ces mots qui ont fait de nous les ayants droit culturels de notre quartier, nous n’avons pas encore appris à en faire bon usage. Pour nous. Pour les petits gars de la rue de l’ Enterrement. » p.54
« Wodné a vite compris l’usage du tapage. Commence par aboyer, tu finiras leader »p.55