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Critique de Charybde2


Premier roman de 1996, montrant déjà la spécificité et la maturité d'un artiste unique.

Publié en 1996, le premier roman du Haïtien Lyonel Trouillot marquait d'emblée l'apparition d'un écrivain rare et plutôt unique, dans sa capacité à associer une écriture d'une extrême précision et d'une poésie permanente, d'une part, et une étroite imbrication d'un arrière-plan social et politique - très aisément encore plus universel qu'haïtien - dans une quête (ou des quêtes) intime(s), en sélectionnant toujours très soigneusement son utilisation des "motifs typiques" haïtiens pour se garder en permanence des clichés qui encombrent trop souvent la représentation de l'île.

Trois voix sont sélectionnées pour raconter, chacune à sa manière, une nuit terrible, emblématique de certains des malheurs haïtiens, nuit de répression féroce, d'arrestation d'opposants, de chasse à l'homme désordonnée et sanguinaire dans les rues de Port-au-Prince, nuit qui n'est volontairement pas située avec exactitude, mais qui déploie d'autant plus sa puissance, chaque fois que pauvres, laissés-pour-compte et gens "ordinaires" sont confrontés à une violence institutionnelle dévoyée, aveugle, les dépassant largement.

Récit halluciné d'un chauffeur de taxi pris dans l'émeute, battu et mutilé en échappant de très peu à la mort, en quête de sa Toyota abandonnée quelque part comme d'une unique planche de salut possible pour se raccrocher à l'existence, à la normalité. Récit nostalgique et lucide d'une mère maquerelle âgée, où la tendresse voisine curieusement, à chaque ligne, avec un détachement nécessaire. Récit terrible dans sa manifeste impuissance et sa focalisation à rebours sur des éléments abstraits ou anodins, d'un intellectuel relativement préservé du pire, mais toujours exposé et menacé, et ne sachant pas ou plus "que faire ?".

Un art magnifique du récit polyphonique, une création en mosaïque qui manie à chaque instant, avec un égal bonheur, l'élan débridé, fougueux, rageur et violent, et la voix off songeuse qui se garde toujours du discours et de l'essai, tout en donnant à voir la folie générale (qui est souvent, trop souvent, celle des "grands") et son impact sur les "petits".

Et ces premières lignes du prologue qui sont presque un manifeste dans leur sombre beauté.
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