C'est une enquête pour amateur d'Histoire et de sociologie que nous livre Olivier Truc en nous emmenant sur la spectaculaire Montagne Rouge. Et comme ce genre de sujet me passionne, je n'ai pas été gênée du tout par les longs développements explicatifs des personnages qui ont parfois dérangé d'autres lecteurs. L'aspect journalistique de sa série de romans fait son originalité .
On est en Suède, au sud du pays Sami, nouvelle affectation de la brigade des rennes. Un conflit oppose depuis des lustres éleveurs et forestiers. Il vire souvent au pugilat. Le mort découvert ce jour là , est mort depuis quelques siècles et savoir qui il est et depuis quand vraiment il repose dans l'enclos des rennes, serait un argument important dans un procès qui doit arbitrer le droit d'usage sur une terre.
Nina et Klemet plongent dans les archives et musées du pays. Les peuples aborigènes du monde entier, qui vivent en symbiose avec la nature, en se déplaçant laissent peu de traces. D'où la difficulté de nos enquêteurs confrontés aussi très vite aux politiques ségrégationnistes du passé, sources de spoliations diverses, et de discriminations durables, avec la caution de scientifiques douteux.
Olivier Truc nous fait voyager dans la complexité de la Scandinavie, loin de nos représentations naïves. Les Vikings ne sont pas plus des anges que les autres et les lois eugénistes du XXe siècle, après la fin du nazisme, font froid dans le dos, et nous disent beaucoup sur les dérives mortifères du nationalisme. Inquiétant ....
Toutefois, J'ai beaucoup aimé voir la nature sauvage grandiose au travers du regard de Petrus, le chef du sameby Balva, pour décoder le paysage, sur les traces de ses ancêtres.
Une petite nostalgie, c'est fini on dirait bien . Mais on peut espérer un peu...où va nous emmener la brigade des rennes maintenant ....en Finlande ? En Russie ? Mystère
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Polar du pays des rennes, avec en toile de fond la lutte entre les éleveurs qui veulent conserver le territoire pour faire paître leurs bêtes et les forestiers qui exploitent le bois.
Un sujet important pour l'avenir de la terre, le débat écologique, le difficile équilibre entre la conservation de la nature et l'économie. Et on ne peut pas si facilement départager les bons et les méchants. le voisin qui veut faire vivre sa famille en coupant le bois est un copain d'école de l'éleveur de rennes et ce genre d'affrontement ne fait souvent que des perdants qui cultivent leur haine.
D'autres thèmes ébranlent le mythe de l'idéal de la société suédoise, par exemple la stérilisation forcée des « inadaptés » qui dura jusque dans les années 50. Les plans d'eugénisme n'étaient pas malheureusement pas limités au régime nazi, des idées de ce genre circulaient partout dans le monde.
La recherche scientifique contribuait au racisme, essayant de mesurer les caractéristiques des individus pour les classifier et justifier le traitement odieux que subissaient les peuples colonisés. La biologie raciale qui avait la vogue au dix-neuvième et vingtième siècle est une page sombre de l'histoire qu'on ne peut faire semblant d'ignorer.
J'aime bien ce genre de polar qui, en plus d'une intrigue propre au genre, nous apporte le dépaysement de contrées lointaines et nous renseigne aussi des pages du passé, même s'il s'agit de pages douloureuses dont on ne peut être fiers.
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Durant l'abatage de leurs rennes, les éleveurs sont tombés sur un squelette... Ben elle est où, sa tête ??
Le cavalier sans tête aurait-il quitté Sleepy Hollow pour le pays Sapmi ou bien serait-ce l'oeuvre d'un règlement de compte à O.K Corral ?
Pour une fois, Klemet et Nina, les agents de la patrouille P9, ont affaire à un corps qui reposerait là depuis plus de 300 ans. Pas vraiment une affaire où on va se casser le cul et les méninges, a priori.
Et bien, détrompez-vous ! Ce squelette sans tête pourrait peut-être résoudre bien des problèmes de territoire, ce perpétuel conflit entre les Suédois et les Sami : qui était là le premier ??
Et quand on sait que l'État Suédois a tout faire pour spolier les Sami de leur territoire, leur faisant signer des papiers qu'ils étaient incapables de lire, qu'on les a traité comme des sous-hommes, des sous-merde, on se dit que l'État est un sacré fils de... sa mère, mais qu'accuser l'État revient à n'accuser personne en chair et en os.
Si ce tome prend plus de temps à se mettre en place, est lent de par son enquête qui ne sait pas trop dans quel sens elle doit aller, il est profond de par les thèmes qu'il exploite et grâce à sa brochette de personnages bien travaillés et dont certains sont plus attachants que d'autres.
Entre ces éleveurs de rennes, Sami, qui veulent que leurs bêtes puissent paître le lichen partout, entre ces forestiers qui eux veulent couper le bois et se foutent des bestioles des autres, entre les policiers qui ne savent plus à quel saint se vouer, entre ces archéologues et universitaires dont certains sont d'un racisme crasse, avec ce procureur un peu zinzin et ces vieilles dames qui arpentent la ville avec leurs pointes d'acier, on a une belle palette de personnages tourmentés, tracassés, jovials, au passé mystérieux.
Même nos policiers sont affectés par ce climat délétère, surtout Nango Klemet qui est tiraillé entre ses origines Sami, considéré comme un collabo chez les siens et comme un sous-homme chez les Suédois ou les Norvégiens car d'origine Sami.
Quand à Nina, ses soucis avec son père qui perd la boule font d'elle une personne aigre et souvent agressive envers Klemet. Ils sont torturés, nos policiers.
De plus, durant l'enquête et les tiraillements de nos deux enquêteurs préférés, nous aurons droit aux pages sombres de la Suède, des pages très sombres, même. À se demander si ce pays que nous admirons n'est pas qu'une belle façade cachant des horreurs... On a planqué la merde dans un joli bas de soie.
Au lieu de nous livrer un Truc indigeste, Olivier a choisi de nous expliquer tout cela aux travers de différents portraits, distillant les infos à son aise, faisant monter le suspense, les questions, le mystère, l'horreur. Tout le monde n'étant pas toujours ce qu'il veut nous faire croire, ici.
Dans ces pages, il y a des relents de racisme, de nazisme, d'eugénisme, du rejet de l'autre que l'on considère comme un frein à l'expansion du pays, de l'autre dont on a tout volé, tout pris, tout spolié et que l'on se permet encore de conspuer.
Ça se lit avec un arrière goût métallique dans la gorge car on sait que ceci n'est pas de la fiction, hélas.
Ceci n'est pas qu'un roman policier, loin de là ! Comme ces deux romans précédant, Olivier Truc va plus loin qu'un Whodunit, plus loin qu'un thriller, plus loin qu'un polar : il entre dans le roman noir, explore le contexte social, l'Histoire d'un pays et nous en sort ses plus belles horreurs, celles qui furent commises avec le sentiment du devoir accompli et d'avoir agit pour le bien de tous.
Un excellent roman noir qui ne vous laissera pas indifférent(e), sauf si vous êtes comme certains personnages abominables qui fraient dans ces pages...
Ne laissez pas passer ce roman où le travail de recherche est phénoménal et où un auteur donne la voix à ceux qui n'en ont pas, ou si peu.
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Encore un polar scandinave, peut-on se dire... Sauf que celui-ci est écrit par un auteur français qui respecte très bien les codes des polars du nord.
Et ces codes? La lenteur, l'écrasante lenteur du temps qui passe. Les éléments tour à tour déchaînés et cléments (pour annoncer encore plus de déchaînement...). La société lisse en apparence, qui se révèle âpre et rugueuse, comme la vie dans ces contrées encore fort sauvage.
C'est lent, donc, fort bien construit, érudit. J'ai lu que c'était "trop érudit", ou disons qu'il y avait des passages où le lecteur devait assimiler trop de choses, trop d'infos... Personnellement, je n'ai pas trouvé. Et de toute façon, devoir assimiler de l'info, c'est loin de constituer un point négatif pour moi. On n'est effectivement pas dans un page-turner où l'action prime sur la réflexion et qui se révèle creux au final (je ne vise personne...). On est dans un roman qui apprend des choses et qui se déroule pesamment, lourdement, car tels sont les secrets de famille, les secrets de clans, ou les secrets de la société elle-même.
Car Olivier Truc entremêle les trois dimensions: les Sami (les Lapons, donc) spoliés de leurs terres où faire paître les rennes, la société scandinave de ce welfare state qui s'effondre peu à peu, et l'histoire personnelle de Klemet, flic mal dans sa peau qui oeuvre dans la Police des Rennes.
Je reconnais qu'à force de vouloir trop embrasser, Olivier Truc étreint mal... selon le dicton. L'axe central est le conflit entre éleveurs de rennes et forestiers. Mais on a tout de suite la dimension "justice scandinave", lente et partiale. Puis le rapport parent-enfant, avec Klemet, mais aussi sa partenaire et un des éleveurs. Puis l'immigration avec un jeune chinois dont l'âge est contesté. Selon qu'il a plus ou moins de 18 ans, son cas sera traité (on en revient à la justice) différemment (alors que le drame humain reste le même). Puis vient se greffer un trafic de crânes, avec comme corollaire les pratiques des anthropologues des XVIII et XIXe siècles (voire du XXe), et l'habituelle problématique des amitiés nazies, sans oublier les stérilisations forcées...
Dites, Monsieur Truc, vous ne trouvez pas que cela fait trop? Et fatalement, certains sujets sont évacués de manière superficielle, alors qu'ils nécessiteraient un traitement plus profond.
Mais j'ai aimé, cela ne s'explique pas. J'ai aimé l'écriture fine, le sens de l'humain (tout tourne autour des hommes et des femmes chez Olivier Truc). J'ai surtout adoré les 5 dernières pages, humaines, essentiellement humaines, résolument humaines... OK, il faut tenir jusqu'à la page 489, mais cela se lit assez vite, en fait.
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