Un livre a ne pas ouvrir si vous êtes a deux doigts de passer à l'acte. Je ne voudrais pas ici être accusé d'inciter au suicide... Quoique la méthode homéopathique de soigner le mal par le mal peut faire son effet...
Neuf petites novelettes d'une noirceur de suie avec comme hypothétique espoir la révélation d'un monde vide de sens où le plus souhaitable est d'en finir le plus tôt possible.
Dans la nouvelle éponyme : La mer de la tranquillité, une conversation s'engage entre un vieil homme malade et un adolescent SDF . La conversation de l'aïeul n'est qu'une longue plainte : Job sur son fumier, l'homme se lève et part ; l'ado se cherche un coin dans le parc pour passer la nuit. C'est tout et c'est d'une tristesse désespérante : pas d'espoir , rien.
Trois autres titres pour l'ambiance : "La mort heureuse", "Epiphanies","Vaisseau négrier". Dans cette dernière (et la dernière du recueil) un homme atteint d'un cancer incurable écrit à son fils une lettre de mise au point , une lettre de diatribes acerbes et désespérées.
"Quoi que je fasse, je suis déjà un petit tas de cendres refroidies et je ne possède plus rien, ni ma terre natale ni l'eau de mon baptême, et j'exècre mon corps fait de restes d'humanité contagieux qui affleureront jusqu'en des pays lointains où l'on aura pas la moindre idée des poisons que le ciel charroie, mais où les miasmes de mon être reparaîtront comme des fièvres cérébrales ou des nodules nécrosés dans les viscères d'un homme qui ne ressemblera à personne et qui se demandera à son tour, dans la solitude de ses nuits et la désolation de son époque, s'il ne serait pas un pauvre déchet venu d'un temps où l'on ne possédait rien, ni sa terre natale ni l'eau de son baptême".
Vous en voulez encore ? Je ne connaissais pas cet écrivain canadien (Québec) , sa prose me fait penser à un
Houellebecq qui n'aurait même plus le plaisir masochiste de goûter sa dépression ("On se console souvent d'être malheureux par un certain plaisir qu'on trouve à le paraître" La Rochefoucault). Toutes ces nouvelles mettent en scène un jeune garçon, un ado qui se trouve confronté à un instant précis au grand dévoilement de la vie. Il y a la vie telle qu'on voudrait qu'elle fût (souvent racontée dans le Québec des années 60 par la religion catholique omniprésente) et puis le réel s'invite brutalement par un hiatus qui fait advenir LA vérité, c'est à dire, en gros pour
Sylvain Trudel, que le Monde est vide et se résume a une histoire de fou racontée par un aveugle.
A cet égard emblématique est la quatrième nouvelle : "Le quadrille à maman Maïs". Jano un ado idéaliste fugue de chez lui dans l'hiver Montréalais , il veut "sauver" une âme. Il rencontre successivement un clochard , une prostituée (Maman Maïs). Il paye à manger au premier et offre son manteau à la deuxième : " Jano sourit doucement, retira son parka et en enveloppa les épaules de Maman Maïs. "Faites attention à vous", dit-il, puis il s'enfuit à toutes jambes vers le centre-ville en se battant les flancs. Il courait mal, éperdu, sans se retourner vers son passé qui mourrait à mesure dans son sillage. Ses jambes se déboîtaient , ses bras se déglinguaient, on aurait dit un pantin désarticulé. Debout près de l'abribus, pensive comme une statue,la jeune femme vit la silhouette de Jano rapetisser peu à peu, jusqu'à s'effacer dans les lointains mornes et pluvieux, puis elle ôta le parka de ses épaules, le laissa pendre dédaigneusement au bout d'une phalangette, le renifla en faisant la grimace et le flanqua à la poubelle".
Pour combattre le mal par le mal je conseille de lire cet opus en écoutant de la musique triste, très triste....par exemple il y a de bons exemples dans les adagios des symphonies de Gustav Malher. Vous verrez ça ira tout de suite mieux !