Comme toujours pour mobiliser les masses, il avait suffi d’une grande peur et d’un grand mensonge. Pour lancer l’Eternity rush, on avait fait donner la mer des peurs – celle de la mort- et le plus antique des mensonges- celui de la jeunesse éternelle.
Comme tous tes distingués confrères. Vous vous rêvez docteurs en vie éternelle, vous finirez ingénieurs en mort douce.
Du fait de leur abandon, ces moribonds étaient de véritables mines d’or et les mois qui leur restaient à vivre se transformaient en calvaire médical.
Le problème du vieillissement de la population se posait à son pays avec plus d'acuité encore qu'au reste du monde... Si rien n'était fait, il y aurait près de quatre cents millions de vieillards en 2050. Xuan avait décidé "d'élaguer" le tiers le plus âgé.
En d’autres temps, soucieux, quoi qu’il en dît, de son image à l’étranger, le Parti eût fait preuve d’un semblant de retenue. Mais c’était après l’attentat du World Trade Center. De la Russie aux Amériques en passant par l’Afrique, le Moyen-Orient et la péninsule arabe, tous les Ubu de la Terre s’étaient saisis du prétexte du terrorisme pour légitimer leurs propres ignominies – intrusions dans la vie privée, suppression des libertés fondamentales et autres violations, plus ou moins marquées selon les latitudes, des droits élémentaires de leurs opposants. Les tyranniques géniteurs des princelings – qui depuis la tragédie de Tian’anmen avaient, sous la pression internationale, refréné leurs instincts sanguinaires – reçurent le signal du 11 septembre comme un feu vert libérateur, et c’est avec une ferveur de croisés, mais non sans arrière-pensées, qu’ils s’enrôlèrent sous la bannière de la lutte internationale contre le terrorisme. Arrestations illégales, tortures, massacres, tout redevenait brusquement licite, mieux : tout redevenait moral. « Terrorisme » donc, la dissidence des bouddhistes tibétains et celle des musulmans ouïgours, « terrorisme » les exercices hygiéniques de la secte Falungong, « terrorisme » encore les protestations des paysans accablés d’impôts illégaux, « terrorisme » toujours les occupations d’usines, et « terrorisme » bien sûr les défilés d’étudiants.
Ils avaient ainsi couru de chimère en mirage, épuisant talents, énergies et capitaux dans la bulle immobilière des années 80, la bulle des marchés émergents des années 90, et enfin, à l'article du XXIè siècle, la bulle internet. Chaque fois, ils avaient cru s'enrichir, chaque fois, ils s'étaient ruinés, et chaque fois, persévérants Sisyphe, ils avaient recommencé.....
....
La bulle suivante, l'Eternity Rush révélait son véritable visage, celui d'une gigantesque pompe conçue pour refouler les liquidités des niais vers les comptes off-shore des happy fews hors d'atteinte.
Mesdames et Messieurs, nous vous présentons une fois encore nos excuses pour ces mauvaises conditions de voyage indépendantes de notre volonté.
Benoît avait été informaticien, de la caste des ingénieurs réseau, ces vestales sourcilleuses veillant jour et nuit au bon fonctionnement du Net. Les ans avaient exacerbé chez ce grand dadais au visage ingrat le naturel taciturne, limite asocial, qui était aux gens de sa confrérie ce que le label AOC était aux fromages et aux vins : une garantie de qualité.
Un compromis intelligent… C’était l’argument officiel, maintes fois seriné lors de la campagne qui avait précédé le vote de la Loi de délocalisation du troisième âge. À prestations égales, le coût de la vie était six fois moins élevé en Chine. Y expédier les retraités permettait de leur offrir une fin de vie décente, à moindres frais pour la collectivité.