Il y a d'un côté le manga mainstream et il y a de l'autre le manga d'auteur, le manga patrimonial. J'adore le premier et je m'intéresse peu à peu au second depuis quelques années mais j'y vais sur la pointe des pieds. Avec ses splendides éditions reliées Cornélius en est parfois le pourvoyeur et à force de voir passer l'un de leurs auteurs phare :
Yoshiharu Tsuge, j'ai eu envie de découvrir l'oeuvre de ce dernier avec le titre qui me semblait le plus emblématique :
L'homme sans talent, une rencontre malheureusement ratée…
Paru originellement chez Ego comme X, ce volume unique a ensuite été réédité chez Atrabile afin d'être toujours disponible chez nous comme témoignage d'un certain type de manga. C'est la première édition que j'ai eu l'occasion de lire et dont je vais vous parler. Objet de qualité, sur papier bien épais, avec de beaux noirs et surtout une postface – préface pertinente, l'objet est de qualité pour qui souhaiterait acquérir ce manga patrimonial.
Appartenant au courant de la « bande dessinée du moi », l'auteur y déploie tout son talent de conteur d'une réalité vraie, d'un Japon cru et peu montré, d'hommes et femmes sans artifices. Ça passe ou ça casse. Je n'ai pas du tout adhéré pour ma part à ce trait très amer, qui n'était pas à mon goût, pour faire court : j'ai trouvé ça moche… et en plus la composition des planches était assez fade et classique, rien pour le sauver.
Côté histoire, je n'ai pas aimé non plus. J'ai trouvé ça long, mais long de suivre cet homme quasi apathique, qui rate tout ce qu'il fait dans la vie, de son travail à son mariage, en passant par son rôle de père. Je l'ai trouvé très antipathique, n'écoutant que ses désirs, ceux de se fatiguer le moins possible dans la vie, laissant toutes les galères à sa femme, devant ce pauvre fils dont il ne se préoccupait que trop peu. Alors ça se laisse lire, on suit sa vie de marchand raté de pierres trouvées dans une rivière voisine, pierres banales n'intéressant personne et donc ne se vendant pas. L'auteur nous fait le récit de ses galères, de ses pseudo trouvailles et de sa débrouillardise ratée, de son entêtement surtout, c'est vraiment le parcours d'un homme sans talent, comme le dit le titre, et en cela, il y a zéro tension, quasi zéro bon sentiment, c'est donc très très long, et très très ennuyeux...
Pourtant si on creuse un peu, on peut aussi y voir une métaphore de la vie de mangaka dans les années d'après guerre et là le récit se fait plus intéressant. Sorte d'autobiographie d'un auteur rêveur, qui refuse de se connecter à la réalité, qui préfère faire les métiers les plus farfelus plutôt que de répondre à une commande de la société. C'est également un portrait de la vie bohème et marginale dans un Japon pauvre, misérable, trop peu montré sous le prétexte d'un Japon en plein développement économique. On préfère cacher la pauvreté. Il y a également une dimension philosophique dans ce texte, avec une vision très zen de la vie. Ça parle de l'approche des pierres, des oiseaux, des rivières…
Cette lecture ne l'a donc pas fait pour moi mais cela ne veut pas dire qu'elle ne peut pas plaire à d'autres. Je suis restée hermétique à cause d'un héros que j'ai d'emblée trouvé antipathique même en sachant les métaphores qu'il incarnait pour son auteur. Ce fut trop dur pour moi de dépasser ce sentiment et le travail graphique trop plat à mon goût de Tsuge. Cependant, peut-être que la dimension sociale et philosophique du récit vous parlera à vous. Un titre donc à tenter si le manga d'auteur, le courant gekiga et « le manga du moi » vous intéresse 😉
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