Citations sur Douce France (40)
Il y a un moment, dans toute histoire d'amour, ou l'on sent confusément que nos résistances tombent. J'avais lutté, réfréné mes pulsions et je lachait prise.
Pourquoi cherchons nous à être aimés quand il suffirait qu'on nous tolère ?
Samir grattait le sol avec un morceau de bois. Il y avait dans ce geste toute la lassitude d'un homme qui aurait perdu la notion du temps. J'ai voulu m'approcher pour lui parler [...] mais Yuri m'a barré la route avec son bras d'un mouvement brutal. Il m'a dit : 'C'est qu'un Arabe'. Au centre [de rétention], le jeu social, loin d'être aboli, instaurait ses règles impitoyables, engendrait ses propres conflits et ce n'était plus une simple lutte des classes mais une rivalité profonde, un combat pour la survie, une compétition, chacun cherchant à défier l'autre, à l'abaisser à une condition inférieure, à paraître plus convenable, mieux intégré, chacun espérant supplanter l'autre dans la course à l'accession aux titres de séjour.
(p. 88-89)
Dans une démocratie, tu peux te moquer des vivants, pas des morts. Dans une dictature, c’est l’inverse.
Que signifient les racines quand aucun sol ne nous tolère ?
Quelle sorte de monstres à visage humain étions-nous devenus pour les chasser par la force, par le jeu inique des lois, par la tentation corruptrice de nos peurs, eux que nous abandonnions à la déshérence comme des terres infécondes, et qu’avaient-ils à nous prendre que nous ne pouvions leur offrir ? La liberté, nous l’avions dévoyée.
(...) tu as ta carte d'embarquement ? Tu crois qu'ils vont nous servir un petit déjeuner ? Allez, montez, au fond ! Non, je ne possède ni arme ni coupe-ongles ! les passeports et le fric ! Près du hublot s'il vous plaît avec vue sur le ciel, vous pisserez dans cette bassine, posez vos affaires sur le tapis merci, tu voyages en classe économique ? Tu as vu ma tête sur mon passeport ? J'ai visité le Mexique, l'Australie et la Chine, vous n'avez rien à déclarer ? On roulera sans s'arrêter. Je ne supporte pas le décalage horaire si les enfants crient, j'les fais descendre. Par ici s'il vous plaît, que voudriez-vous boire ? Dix heures d'avion, c'est long. Vingt-quatre heures de route, vous n'avez qu'à crever, j'en ai rien à foutre !
« Nous vous souhaitons un agréable voyage. »
___
[ parallèle entre un trajet en avion choisi par une personne libre, et le long parcours clandestin semé d'embuches de migrants...
... j'ai respecté la ponctuation de l'auteur ]
Lorsque j'apercevais des voitures de police, je bifurquais, changeais de route, j'avais des réflexes de gangster alors que j'étais un écrivain
sans antécédents criminels. Mes parents, des Juifs d'Afrique du Nord qui avaient émigré en France à l'âge de dix-sept ans, m'avaient élevée dans la crainte. Juifs, ils voulaient se faire discrets ; immigrés naturalisés au début des années 60, ils se sentaient inférieurs aux 'vrais' Français comme s'il en existait des faux. (...)
Je ne voulais pas avoir affaire à la police française, la Mémoire est une vieille Juive hystérique, tu lui dis de se taire, elle hurle encore plus fort, 'Souviens-toi ! Souviens-toi !' tu n'as plus d'autre choix que de Lui obéir avec la peur que ça recommence, pas de répit pour les Préposés au Devoir de Mémoire.
(p. 11-12 & 15)
Le temps s'écoulait, imposait son rythme lent - traitement inhumain et dégradant : l'attente.
De leur pays d'origine, mes parents parlaient peu (plus tard, en vieillissant, ils ont commencé à évoquer leurs souvenirs, à s'engluer dans la nostalgie: le passé, tel un maître chanteur réclamait le réglement d'une dette qu'ils croyaient avoir annulée en changeant de nationalité).