AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,02

sur 4658 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2019 #12 °°°

Quel livre magistralement construit !

Les quatre premiers chapitres sont autant de présentations des quatre principaux personnages : d'abord Claire, brillante essayiste féministe, puis Jean son ex-compagnon, journaliste politique vedette de la télévision, Adam Wizman, son nouveau compagnon et enfin Alexandre, le fils De Claire et Jean, étudiant prometteur à Stanford. Ces chapitres sont un régal par leur façon de caractériser de façon incisive et précise la psychologie des personnages, on cerne parfaitement leurs ressorts intimes, leurs failles éventuelles.

Et puis on attend tout en se délectant de cette radiographie très balzacienne du monde de nos élites intellectuelles. On attend la déflagration. Ou plutôt la "diffraction", titre de la première partie. C'est-à-dire le comportement des ondes lorsqu'elles rencontrent un obstacle, leur déviation du point initial. On connait la nature du choc qui va permettre cette diffraction. Karine Tuil l'a annoncée dès la première ligne comme une quasi prophétie : « La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre - fin de la mystification." Il arrive à la page 152 et à partir de là, le roman s'enflamme, le rythme s'emballe, les pages se tournent avec fébrilité.

Reste à savoir quel personnage va en être le déclencheur.

Reste surtout à savoir comment chacun va se diffracter et voir sa vie bouleverser par la violence du choc qui le touche directement ou indirectement. De Balzac, on bascule dans la tragédie grecque.

Et là, le roman prend une ampleur inouïe en brassant avec une acuité remarquable des thèmes terriblement contemporains « me too » - la question du consentement, du viol, de l'emballement médiatico-judiciaire – sans perdre de vue ses personnages et leur devenir. Tous sont d'une grande densité psychologique, mêmes les secondaires, toujours complexes, tour à tour attachants, détestables, lâches. Celui qui m'a le plus touchée est celui De Claire, féministe éclairée qui voit ses certitudes philosophiques ébranlées par la déflagration, voyant ses actes et pensées de crise contredire tout ce qu'elle a pu construire précédemment. Le lecteur ne peut qu'être profondément questionné sur son positionnement face à l'affaire, c'en est souvent dérangeant et malaisant.

Assurément, Les Choses humaines ( magnifique titre au regard de son contenu ), est un grand roman, une oeuvre de forte magnitude qui embrasse la complexité de la société française, la décrit, la décrypte, la décortique, fait réfléchir, et ce sans jamais tomber dans la caricature ou le cynisme. Puissant et intelligent.

Lu dans le cadre du Club des Explorateurs de la rentrée 2019 Lecteurs.com


Commenter  J’apprécie          26041
Les choses humaines, aimer, être aimé, jusqu'à l'inverse, jusqu'au point de non retour. Les erreurs... tant de choses humaines au final.

Karin Tuil nous offre lors de cette rentrée littéraire un roman puissant à son effigie : identité, société et psychologie. Elle fouille, creuse, tord ses personnages dans toute leur complexité, dans chacune de leur faille, et c'est ce travail d'orfèvre qui est fascinant avec elle. Pas de roman de pacotille, une grande oeuvre, un tourbillon au coeur de la société d'aujourd'hui dans ce qu'elle contient de plus redoutable.

Un couple, Jean et Claire. Deux personnalités médiatiques, le premier est un grand journaliste renommé, la seconde une littéraire au sommet des droits féministes. Leur fils, Alexandre.
Trois personnages clé qui nous apparaissent durant plus de 200 pages déshabillés de leurs travers. Orgueil, fibre maternelle, égo, compétition, amour, raison, autant de sentiments qui traversent ces personnages travaillés comme de l'or brut.
C'est immersif, on les voit, on les sent, on passe plusieurs heures à les regarder se débattre, se morfondre, piétiner l'un et l'autre, passer à côté de leur vie pour une carrière, pour un trauma vécu durant l'enfance. Une grande scène de vie que voilà. Jusqu'au jour du drame. Une histoire de vingt minutes d'égarement. Et tout bascule à cette plainte: viol.

La machine judiciaire se met en place. Et cette partie est absolument fascinante. On va suivre le procès, différentes vérités, l'auteur, la victime et l'interrogation. Admirable !

Ayant lu une garde majorité des romans de cette auteure, je constate qu'elle tient un grand rôle aux questions identitaires et toujours cette psychologie minutieuse et impeccable. J'accorde le carton plein pour L'invention de nos vies qui par son thème et la perfection littéraire autour d'un seul narrateur m'avait subjuguée. Dans les choses humaines, mon bémol serait peut-être qu'en seconde partie on perd un peu nos personnages au profit du procès. Même si cette partie se veut différente et axée sur la machine judiciaire, de ce fait tout à fait fascinant, je regrette une trop grande scission entre l'extérieur (les personnages, leur vie) et l'intérieur (le tribunal, vingt minutes d'égarement). Ce roman aurait été à mon sens parfait si l'extérieur et l'intérieur avaient continué à corréler ensemble.

Néanmoins, ça reste un roman intelligent qui nous mitraille de réflexions autour du consentement sexuel mais pas que. Pour arriver à vingt minutes d'égarement, il faut se rappeler comment et pourquoi le personnage en est arrivé là. C'est dans ce point que Karin Tuil excelle avec brio, talent et intelligence stylistique et narrative. Bravo.
Commenter  J’apprécie          16315
Les choses humaines ? Inhumaines surtout.

Inhumaine la violence psychologique et physique d'un viol.

Inhumaine la façon dont la victime est traitée depuis la nuit des temps.

Inhumaine la société qui pense qu'elle l'a bien cherché, finalement, habillée sexy, un p'tit coup dans l'nez, et puis qui l'a même suivi… c'est un sacré raccourci. (Parce qu'un homme qui n'a pas d'idée tordue derrière la tête est tout à fait capable de discuter avec une femme dans un coin sans lui sauter dessus, même derrière des poubelles).

Inhumaine la réalité des réseaux sociaux qui stigmatisent systématiquement,
même un présumé innocent. No sang.

Inhumaine la justice quand elle laisse en liberté des criminels du sexe, et c'est souvent.

Inhumaine les personnes dans le déni face à l'évidente culpabilité, au sein des familles.

Inhumaine la prison pour les innocents, mais sans prison encore du sang.

Inhumaine la sentence pour la violée : traumatisme à perpétuité.

Inhumaine la mafia des puissants qui protègent même les impuissants.

Tout est abordé dans ce roman finement construit, qui amène à la réflexion au-delà de sa lecture, et qui rend compte de toute la difficulté de rendre la justice. Malheureusement, ce roman est trop proche de la réalité, et l'analyse très subtile, car bien souvent, c'est la parole de la victime contre celle du violeur.

Un adulte qui commet un crime, quelles que soient les circonstances, est responsable de ses actes, et donc des conséquences.

Une victime n'a jamais demandé à l'être, et la sidération lors du viol peut malheureusement être interprétée comme une absence de défense, alors qu'en réalité, on passe un cran au-dessus : celui de l'espoir de ne pas être tuée après.
Beaucoup de psychologie dans cette oeuvre à lire à différents niveaux.
Commenter  J’apprécie          12340
En apparence, les Farel forment un couple on ne peut plus glamour, envié presque, à qui tout semble réussir. Jean est un célèbre journaliste politique, animateur et producteur de son émission. Alors en pleine gloire médiatique, et après son divorce, il épouse Claire, de 27 ans sa cadette. Si elle a renoncé à une carrière dans l'administration américaine, elle est aujourd'hui reconnue dans le monde littéraire pour avoir écrit des essais et des articles féministes. Si, au fil des ans, leur couple a perdu de son sens, lui menant une double vie avec Françoise depuis 18 ans, elle ayant rencontré Adam, un professeur de français, ils sont restés liés grâce à leur fils, Alexandre. À 21 ans, après Polytechnique, il est aujourd'hui étudiant à Stanford, en Californie, et est promu à un bel avenir. Si Claire décide de quitter Jean pour vivre pleinement sa relation avec Adam, c'est un tout autre drame qui va bientôt faire vaciller ce fragile équilibre familial...

« Les choses humaines » est un roman fort et poignant, à l'ère du mouvement #MeToo. Pendant plus de 150 pages, Karine Tuil prend le temps de nous présenter les différents protagonistes, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Et l'on se délecte de ce tableau qui peu à peu perd de ses couleurs et se craquelle. Jusqu'au point de rupture où tout va basculer. Dès lors, l'auteure nous entraine dans le rouages de la justice et dépeint, avec force et fracas, combien ce drame va bouleverser toute la famille Farel. Avec habileté mais aussi impartialité, elle énonce les faits tels quels et ce sera au lecteur de parfaire son opinion. Ce roman prenant, diabolique, déstabilisant parfois, et parfaitement maîtrisé aborde aussi bien l'univers médiatique, la famille, la sexualité, la notion de consentement, la domination masculine que les travers de notre société.
Un roman passionnant et tragique...

À noter que ce roman a été adapté au cinéma par Yvan Attal...
Commenter  J’apprécie          822
Alexandre, jeune adulte, est le fils de Jean Farel, un célèbre journaliste politique français et de Claire, une franco-américaine plus jeune que son mari. Tous deux ne forment plus un couple uni. Jean a une bonne amie depuis des années et Claire tombe amoureuse d'un professeur juif dans une école juive.
Alexandre étudie dans une université prestigieuse en Californie et quand il revient pour un séjour à Paris, il se retrouve seul dans l'appartement et se sent parfois mal.
De plus, avant de partir aux Etats-Unis, il avait vécu une histoire d'amour qui s'était mal terminée.
Il sort beaucoup avec ses copains et ce ne sont pas des petits chérubins. Les substances illicites sont généralisées lors de leurs sorties ainsi que des paris idiots, irrespectueux pour les filles.
Un soir, tout cela finit très mal et une fille de son entourage très proche l'accuse de viol et porte plainte.
Ses parents sont effarés, sa mère, surtout, n'y croit pas.
Elle, qui défendait les droits de la femme dans un cas de maltraitance surtout, se rend compte que c'est très difficile d'appliquer ses belles idées quand on est soi-même concerné.
L'enquête est très approfondie, sonde aussi bien la vie d'Alexandre que celle de ses parents.
Arrive le procès et devant les tribunaux la vie intime, familiale d'Alexandre, de son père, de sa mère sont exposées , surtout lors des plaidoiries, des rapports des psychologues, des témoignages.
Karine Tuil nous montre à quel point cela doit être pénible un tel déballage de détails mais il faut rendre la justice dans un contexte où beaucoup de femmes se révoltent contre des hommes maltraitants, usant de leur pouvoir.
La fin nous dévoile comment chaque protagoniste ressort de cette affaire et, de nouveau, l'auteure se montre très habile, loin de toute superficialité.
Une lecture passionnante.



Commenter  J’apprécie          765
Alexandre Farel est fils d'un journaliste politique célèbre et d'une féministe active. Plutôt précoce, impétueux, sûr de lui, il poursuit de brillantes études. Nous suivons chaque membre de cette famille peu ordinaire et dont les liens se sont peu à peu distendus. Des chapitres étoffés nous permettent de vivre dans cet environnement et de mieux cerner les personnages. Mais chaque lecteur les découvrira.

Alexandre est accusé de viol et se retrouve aux assises après avoir fait un séjour en prison en proie à l'acharnement et à la violence des autres détenus. Son procès dure cinq jours. Cinq jours pendant lesquels sa vie va être passée au peigne fin, livrée en pâture à un public friand surtout lorsqu'il s'agit du fils d'un couple célèbre. D'ailleurs parfois il vaudrait mieux être un peu plus anonyme.

Nous assistons au procès. le passé, le présent, l'avenir du jeune Farel est décortiqué, ses failles, ses dérapages, ses forces, ses faiblesses, les relations qu'il a avec ses parents, ses amis tout est exposé sous les projecteurs.
C'est le procès d'Alexandre mais c'est aussi le procès d'une caste privilégiée, un procès politique.
Karine Tuil établit en filigrane un état des lieux choc sur le rapport hommes-femmes mais aussi sur les chances inégales de s'en sortir devant de telles accusations si l'on est nanti financièrement, si l'on a des relations, une culture solide et une facilité d'expression.

L'auteure montre s'il en était besoin le caractère néfaste des réseaux sociaux qui viennent alimenter les courants d'influence, mettant à mort une cible, encensant une idée, trainant dans la boue un bouc émissaire ou sanctifiant un être juste parce qu'ils l'ont décidé.

Ayant été juré d'assises pendant environ un mois, j'ai assisté avec intérêt à cinq procès. J'ai retrouvé dans ce livre l'ambiance du tribunal, les manières d'intervenir, les chuchotements et les indignations de la salle, les silences lourds et les interventions des avocats qui concluent : « je n'ai rien à ajouter » Ce qui veut dire en clair : je pose une question clé. A vous de réfléchir et de rebattre vos cartes. Je me souviens de la pensée instinctive et sincère que j'ai eu en pensant aux accusés et aux victimes : C'est la première fois que je fais connaissance aussi profondément avec des êtres humains. Je me souviens du président qui nous disait : Vous connaissez tous des personnes qui ont les troubles psychiques qui vont vous être expliqués. La seule différence avec les prévenus c'est qu'ils ne sont pas passés à l'acte. Et c'était vrai……

Et lorsque des vies se déroulent avec autant de précision, rassemblant en quelques feuilles tout ce qui a pu servir à orienter ou désorienter une vie, tout ce qui peut la faire déraper. Lorsque l'on extrait les racines pour analyser leur enchevêtrement, la manière dont elles ont poussé, sont elles ont pris forme, forcément la culpabilité, la honte, les regrets, les remords, la souffrance jaillit de cet étalage public.

Je demanderai à l'avocat de la défense Maître Célérier de m'aider à conclure mon billet en citant Nietzsche, « La vérité n'existe pas. Il n'y a que des perspectives sur la vérité. ».
Un roman ou des vies sont « pelées à vif », à l'écriture aussi alerte qu'un passage à l'acte présumé, aussi rapide qu'une chute vertigineuse, aussi conséquente qu'une accusation, aussi émouvante que deux avenirs brisés.
Un très bon bouquin.
Commenter  J’apprécie          7616
Balance ton sort

Analyste subtile de l'époque, Karine Tuil signe avec «Les choses humaines» LE roman de cette rentrée. Ce procès pour viol, après l'affaire Weinstein, a tout pour séduire, y compris les jurys des Prix littéraires de cet automne.

Si vous ne deviez lire qu'un seul livre de cette rentrée littéraire, alors je vous conseille celui-ci, pour trois raisons. Tout d'abord parce que Karine Tuil ne déçoit jamais. L'insouciance, son précédent roman, était formidable. Les choses humaines est encore mieux! Ensuite parce que ce roman s'empare d'un thème universel, la sexualité et le statut des femmes en l'ancrant dans l'actualité la plus brûlante, celle qui à la suite de l'affaire Weinstein a libéré la parole et suscité un déferlement de témoignages et d'accusations, sans qu'il soit toujours possible de séparer le bon grain de l'ivraie. Et enfin, parce que le scénario – diabolique – conçu par la romancière en fait un page turner d'une efficacité redoutable.
La première partie nous permet de découvrir Claire et Jean Farel. Elle est essayiste et féministe, il est homme de médias, et notamment présentateur d'une émission politique suivie avec intérêt. Et bien que septuagénaire, il n'a pas l'intention de prendre sa retraite. Ils forment «l'un de ces couples de pouvoir que la société médiatique révérait». Après la naissance de leur fils Alexandre, ils essaient de surmonter l'usure du couple en concluant un pacte leur permettant quelques escapades. En fait, Jean mène une double vie avec Françoise Merle, lui promettant qu'un jour ils seraient ensemble. «Elle ne s'était pas mariée, n'avait pas eu d'enfant, elle l'avait attendu vai¬nement; il n'avait pas eu le courage de divorcer, moins par amour pour sa femme – il y avait longtemps que son intérêt pour Claire était circonscrit à la vie familiale – que par désir de protéger son fils, lui assurer un cadre stable, équilibré.»
Mais les tensions vont se faire plus vives au fil des ans jusqu'à atteindre le point de rupture. En 2015, leur séparation est actée. Claire part s'installer avec Adam Wisman, tandis que Jean profite de cette liberté pour batifoler avec une stagiaire, une liaison qui semble lui donner un second souffle. Et comme il est attendu à l'Élysée pour y recevoir la Légion d'honneur, il a toutes les raisons de se réjouir. D'autant qu'Alexandre, qui suit des études à Stanford, assistera à l'événement.
Alors que l'avenir s'annonce radieux, tout bascule soudain. Mila, la fille d'Adam Wisman dépose plainte pour viol et accuse Alexandre qui avait accepté qu'elle l'accompagne à la soirée étudiante à laquelle il était convié.
Les circonstances du drame restent floues, d'autant que les deux protagonistes ont bu et ont pris de la drogue. Mais la machine judiciaire est lancée et, s'agissant du fils de deux personnalités, les médias et les réseaux sociaux se déchaînent. La déflagration est d'autant plus forte qu'elle arrive après l'affaire Weinstein et que le cocktail, sexe, argent, et pouvoir ne peut qu'enflammer les esprits. La présomption d'innocence vole en éclats, la mise en examen vaut déjà condamnation. Aussi bien pour Alexandre que pour ses parents.
Karine Tuil décrit avec précision les étapes, de l'incarcération au procès, et met en parallèle les deux versions qui s'opposent, sans prendre parti. Ce qui donne encore davantage de force au roman. Comme le rappelle le juge aux jurés, «Il n'y a pas une seule vérité. On peut assister à la même scène, voir la même chose et l'interpréter de manière différente. "Il n'y a pas de vérité, écrivait Nietzsche. Il n'y a que des perspectives sur la vérité".» Au lecteur de se faire sa propre opinion, tout en constatant que la violence prend ici le pas sur la justice. Que personne ne sort indemne d'une telle épreuve. Qu'il ne reste rien des choses humaines.

Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          704
Sexe, pouvoir, médias, réseaux sociaux, opinion publique, justice.

Jean Farel est un célèbre journaliste - ou présentateur TV mordant, plutôt : davantage dans le show que dans l'investigation. Son épouse Claire, de vingt-cinq ans sa cadette, écrit des essais et des articles féministes. Leur fils Alexandre est promis à son tour à une belle carrière : bac à 16 ans, Polytechnique, Université de Stanford. Sa réussite est d'autant plus importante pour le père que lui-même est 'parti de rien'.
Bien sûr, derrière cette belle façade, la famille a connu des difficultés. Jean n'est pas exemplaire, ni comme époux, ni comme père, mais il a su se préserver des scandales en jouant de prudence, de discrétion, et grâce à ses relations. Un dérapage de '20 minutes' (sic) en pleine tourmente internationale #MeToo menace la quiétude familiale…

Dans ce roman à la fois simple et riche, Karine Tuil montre les rapports hommes-femmes dans notre société : ceux qui font scandale (inégalités professionnelles, harcèlement, viol...) mais aussi la domination masculine plus insidieuse, implicitement acceptée, voire utilisée par certaines femmes elles-mêmes. Cette domination est d'autant plus facile à imposer lorsqu'on est un homme célèbre, influent et/ou riche. Les exemples ne manquent pas dans l'actualité, où l'on voit en outre, comme dans cette histoire, l'importance des relations entre people du monde politique et de la presse.

Un maximum de cœurs/étoiles pour cet ouvrage admirable, plus efficace (explicite et subtil) qu'un essai de sociologue. Il n'assène pas de théories féministes, il présente des faits et invite intelligemment à remettre en question nos façons de penser et d'agir, notamment en matière de séduction et de sexualité. Grâce aux discours des juristes, et au regard de Claire, en particulier, à ses ambivalences de femme et de mère, on y voit combien la question est complexe.
Je souhaite le meilleur à ce roman en cette rentrée littéraire, et pour les prix :
- il le mérite
- et j'espère qu'il sera lu par de nombreux lecteurs & lectrices (à proposer dès 14-15 ans).
___

▪️ lu grâce à la critique élogieuse de Clara Bamberger dans 'Le Canard enchaîné' du 28/08/2019
Commenter  J’apprécie          677
Karine Tuil trouve son inspiration dans des sujets d'actualité qui interpellent, qui font débat, qui divisent. Elle sait en tirer des fictions percutantes, articulées autour d'évènements dramatiques impliquant des personnages aussi vrais que nature, qui ne peuvent laisser personne indifférent. J'avais beaucoup aimé son précédent roman, L'insouciance. Son dernier livre, Les choses humaines, est en piste pour les grands prix littéraires, ce qu'à mon avis, il mérite… et ce qui ne manque pas de susciter quelques grincements de dents germanopratins.

Principaux protagonistes de l'intrigue centrale du roman : Jean Farel, soixante-dix ans, un journaliste politique, vedette des médias depuis des lustres et qui tient à le rester ; Claire, sa femme – ou plus précisément sa future ex-femme, car ils divorcent –, beaucoup plus jeune, une essayiste féministe reconnue ; Alexandre, leur fils, vingt-et-un ans, un étudiant brillantissime, mais tourmenté ; Adam, pour qui Claire a quitté Jean, un quadragénaire issu d'un milieu juif orthodoxe et qui enseigne en banlieue ; Mila, dix-huit ans, fille d'Adam, une jeune femme effacée mal dans sa peau.

Dans une première partie, l'auteure dresse le portrait des personnages ; des portraits en mouvement, où l'on découvre l'évolution des projets, des rapports aux autres, des anxiétés. Leur statut privilégié et leur approche gourmande du lendemain valent aux trois Farel, Jean, Claire et Alexandre, d'occuper presque toute la place. Les obstacles qui les guettent et qu'ils ont bien l'intention de franchir sont à la mesure de leurs ambitions, de leur souci de « performance ». Leur tension est palpable et je l'ai fortement ressentie, presque comme pour moi-même. Car Karine Tuil, qui s'est voulue en narratrice qui ne juge pas, fait preuve d'une empathie communicative.

La tension se charge de violence dans la seconde partie, jusqu'à l'annonce d'une mise en garde à vue pour viol. On sent alors que tout va exploser. La configuration de la narration change. Les dialogues prennent une place prédominante. Perquisition, convocations, interrogatoires, confrontations. A ce jeu, les policiers sont les plus forts. Ils imposent un rythme étouffant, ils fouillent les âmes et les mémoires jusqu'au tréfonds de l'intime. Malgré les tentations de déni, qui peut résister ?

Troisième partie, cour d'assises. Dans une atmosphère surchauffée par les controverses #MeToo et #BalanceTonPorc, feu nourri de questions énoncées de façon banale, sereine, presque routinière ; des questions pourtant incisives, intrusives, cruelles. Quand la présidente se tait, les avocats prennent le relais et c'est encore pire. Devant eux, accusé, victime et témoins ne sont plus que des êtres humains mis à nus, contraints d'exhiber leurs chairs et de renoncer à toute pudeur. Violence de la recherche de la vérité. Et dans violence, le mot viol.

Les plaidoiries sont de tels morceaux d'anthologie que l'on pourrait croire à l'insertion de textes rapportés. Très longues et argumentées, aussi irréfutables les unes que les autres, elles témoignent de la rigueur intellectuelle de l'auteure. Elles n'expriment que des choses justes, des vérités, même si pour chaque partie, ces vérités sont antinomiques et inconciliables.

L'accusé d'un viol peut-il toujours bénéficier du doute, comme le prévoit le droit pénal ? Que valent les convictions d'une intellectuelle d'opinion, quand entre en jeu l'avenir de l'être qui lui est le plus cher ? le stress paranoïaque d'une star des médias en fin de carrière lui ôte-t-il toute humanité ?

Comme tout est complexe ! C'est le lot des choses humaines. Karine Tuil évite de prendre parti. En tant que femme, elle se déclare solidaire de la jeune femme victime, dont la vie est détruite. En tant que romancière, elle se place sous l'angle de la famille du jeune homme, dont la vie est aussi détruite.

Et moi, et vous, sommes-nous en mesure de juger ? le livre évoque bien d'autres sujets d'actualité. Les personnages sont justement stéréotypés, car l'objectif de la fiction est de montrer comment ils réagissent à un événement qui fracasse leur vie. Le livre est absolument passionnant, je ne l'ai pas lâché jusqu'à la dernière page. Et je suis encore remué.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          583
Trois jeunes stagiaires ont fait leur entrée à la Maison Blanche en 1995, l'une d'elle va entrer dans l'histoire et faire trembler les USA, bien-sûr il s'agit de Monica Lewinsky. La deuxième a eu plus de chance, elle a rejoint l'équipe d'Hillary et la troisième, celle qui nous intéresse, Claire Davis-Farel de père Américain et de mère Française s'en est mieux sortie, Clinton étant plus intéressé par les courbes voluptueuses de Monica. A quoi cela tient !!!

Claire, essayiste reconnue, a épousé Jean Farel, un homme de télévision, trente dans plus qu'elle, au moins, dans la toute-puissance, ses émissions politiques étant regardées pour tout un public de fans, les hommes politiques pressés de participer au show médiatique. Ils ont un fils, Alexandre, qui a grandi comme il a pu, avec des parents absent, un père hyper-exigeant qui lui demande toujours plus, violent, qui le rabaisse constamment. Alexandre, toujours premier de la classe, a fait des études supérieures brillantes, un grand avenir l'attend à Stanford puis un job dans les GAFAB.

Claire a fini par quitter son époux, au comportement sexuel débridé, il aime bien les stagiaires lui aussi… il a une double vie, toujours fidèle à Françoise, une femme de son âge pour une fois. Elle a rencontré le grand amour avec Adam Wizman, professeur de français dans une école juive qui a deux filles, traumatisées car elles étaient dans l'école juive où a eu lieu un carnage. Il est parti en Israël un an avec sa femme et ses filles, mais ne s'y est pas habitué. Au retour, sa femme est devenue pratiquante juive orthodoxe et s'enferme dans les rituels.

Et un jour, patatras, Adam propose à Alexandre d'emmener sa fille aînée, Mila, à une soirée, qui va dégénérer, avec alcool, drogue, paris stupides d'étudiants désoeuvrés avides de sensation qui décident d'organiser un « pari » : coucher avec une des filles de la soirée, et ramener un sous-vêtement comme trophée ! évidemment ses copains lui désignent Mila !

Dans ce roman, Karine Tuil évoque plusieurs thèmes, la notion de viol, le consentement ou non de la victime qui a eu le courage de porter plainte et à qui on va demander des centaines de fois d'entre dans les détails : la police, le juge, les avocats… Chacun, la victime comme le violeur, ayant le droit d'être entendu et défendu, dans un procès le plus équitable possible, où toute la vie va être fouillée pour tenter d'expliquer un passage à l'acte chez un jeune homme jusque là sans problème (enfin c'est beaucoup plus compliqué, c'est ce qu'on découvre au fur et à mesure que la lecture avance.

Il y a ceux qui sont persuadés de la culpabilité, qui s'improvisent juges sur les réseaux sociaux et déversent leur haine, gratuitement. Il y a ceux qui prennent conscience qu'ils ne respectent pas assez les femmes, comme l'organisateur du jeu débile, mais il aura fallu « me-too » et « balance-ton-porc » pour qu'il en prenne conscience, et ceux qui ont toujours considéré les femmes comme des proies comme le père d'Alexandre, convaincu qu'il s'agit de trophée de chasse auquel a droit tout homme de pouvoir, avec des allusions au passage à Dominique Strauss-Kahn. Ou encore Donald Trump qui pense qu'il « faut attraper les femmes par la Ch » …

Un autre élément entre en ligne de compte, le côté politisé, avec les montées au créneau des jeunes femmes qui contestent aux femmes le droit de se plaindre, en faisant référence aux évènements de Cologne, lors du réveillon du trente-et-un décembre où beaucoup de viols ont été commis par des réfugiés : pour elles il s'agit d'islamophobie quand on accuse les réfugiés syriens et le droit des femmes passe après (sic). On n'est pas loin de « Génération offensée » de Caroline Fourest. Claire en fait les frais et se fait inonder d'insultes.

J'ai bien aimé la manière dont Karine Tuil aborde tous ces thèmes, sans faire la moindre impasse, y compris l'évocation du doute qui peut envahir la mère d'Alexandre sur la culpabilité de son fils et tout le questionnement qui peut en résulter: est-ce de sa faute? et ce qui fait l'originalité de ce roman, elle décide de se placer sur point de vue de l'agresseur et de son entourage, et non de la victime. Pour cela, elle a suivi des procès d'assises de violeurs pour mieux comprendre, car il n'y a pas, dit-elle de témoignages d'agresseurs.

Ce roman est très fort, bien écrit et je l'ai lu d'une traite, y compris les plaidoiries de chacun lors du procès. J'ai déjà lu « L'insouciance » de l'auteure que j'avais trouvé très puissant aussi et bien construit. Elle a très bien capté l'évolution de la société et ses travers. J'ai encore « L'invention de nos vies » en réserve dans ma bibliothèque.

Ce roman a reçu le prix interallié 2019 et le Goncourt des lycéens et comme la plupart du temps je suis d'accord avec le choix des lycéens. Je suis ravie de l'avoir lu à distance de la rentrée littéraire et de l'avalanche de chroniques publiées à l'époque donc sans a priori ni arrière-pensée.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          563




Lecteurs (8994) Voir plus



Quiz Voir plus

Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

10 questions
562 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..