La frontière entre humour et provocation est parfois aussi difficile à établir que celle entre colère et chagrin.
Il y a des espaces de sa vie que l’on n’habite pas.
Un aéroport de nuit, c'est sinistre comme un parking de gare désert le dimanche en province. J'étais fatigué des arrivées qui n'avaient rien d'un retour, puisque personne n'attendait. Alors j'ai pleuré. Avec une lettre repliée dans la main. J'ai pleuré comme un môme en descendant de l'avion, tirant ma valise à roulettes, qui ne pèse rien. J'ai pleuré dans le taxi avec les informations en slovène à la radio, que je ne comprenais toujours pas. Je me suis arrêté sous l'oeil gêné du chauffeur qui me surveillait dans le rétroviseur et montait le son à chaque reniflement. Un entracte, quelques minutes. Et j'ai pleuré à nouveau à la maison en ouvrant le frigo.
Personne n'enseigne à regarder la vie qui s'efface. Alors on fait comme on peut.
Elle aurait aussi bien pu être morte. Ça n'aurait pas changé grand chose, au fond. Il aurait fallu s'organiser, voilà tout. Les pompes funèbres, les faire-part de décès, quelques poignées de mains contrites, j'aurais fait bonne figure et puis on aurait été quittes. Ça n'aurait pas été un drame. (Incipit)
J'exagère sûrement. C'est facile après coup. J'ai toujours considéré les femmes avec une envie trouble, mêlée de suspicion. Les hommes pouvaient faire preuve de douceur, je le savais par mon père. Pourtant il y avait bien quelque chose qu'elles seules, je le pressentais plus que je n'en faisais l'expérience, pouvaient offrir. Quelque chose comme un repos, imprimé dans la tiède mollesse de leur chair et la blancheur de leurs bras. Il est, me disais-je, des femmes comme des pays lointains où s'abandonner.
On n'a pas idée de ce que c'est qu'une chemise sans les épaules de l'homme qu'on aime. On n'a pas idée du monde infiniment plat et chiffonné, roulé en boule, qui reste quand l'autre déserte la vie, quand son corps est soustrait aux étoffes et aux caresses. L'existence n'a plus d'odeur. On marche le ventre en creux, encore et encore (...). On arrose quand même les fleurs une fois par semaine parce qu'elles n'y sont pour rien et que le monde est assez fané comme ça. (...)
C'est plus difficile de lutter contre les angoisses ennemies dans l'obscurité.
On n'a pas idée de ce que c'est qu'une chemise sans les épaules de l'homme qu'on aime. On n'a pas idée du monde infiniment plat et chiffonné, roulé en boule, qui reste quand l'autre déshabite la vie, quand son corps est soustrait aux étoffes et aux caresses. L'existence n'a plus d'odeur. On marche le ventre en creux, encore et encore. C'est raconté dans tous les livres mais Jacques, lui, n'avait jamais écrit ces lignes-là, et c'était lui que je croyais. On arrose quand même les fleurs une fois par semaine parce qu'elles n'y sont pour rien, et que le monde est assez fané comme ça. On boit son thé à la même heure et on attend. C'est le dernier effort dont on est capable, l'attente. Le vide glisse ses doigts entre chaque côte et serre. La douleur a des ongles et elle vous donne du corps. Elle vous raidit, c'est elle qui vous fait tenir debout. Et c'est elle qui plus tard sait quand peu à peu relâcher l'étreinte. Il fallait qu'elle tenaille pour qu'on n'oublie pas de respirer, mais le souffle parfois revient sans qu'on y pense. Le deuil est un sommeil, plus long que les autres. Le noir et blanc finit toujours par rendre l'âme, lui aussi.
Moi aussi, j'ai changé de pays. l'absence nous fait entrer dans une terre étrangère.
On n'a pas idée du monde infiniment plat et chiffonné, roulé en boule, qui reste quand l'autre dés-habite la vie, quand son corps est soustrait aux étoffes et aux caresses. L' existence n'a plus d'odeur.