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Critique de Foxfire


Un soir, une jeune femme se fait sauvagement poignarder en pleine rue, sous les fenêtres d'un immeuble d'un quartier résidentiel de New-York, un quartier sans histoires. L'agression dure une dizaine de minutes. La victime se débat, hurle, l'assassin la couvre d'injures, vocifère, abat sa lame à de multiples reprises. Les résidents de l'immeuble ont tout vu, tout regardé. Aucun n'a appelé les secours.

Si ce point de départ vous rappelle quelque chose, c'est peut-être que vous avez lu "est-ce ainsi que les femmes meurent ? " de Didier Decoin. En effet, les 2 romans (1986 pour "Victimes", 2009 pour "est-ce ainsi...") s'inspirent du même fait divers, le meurtre de Kitty Genovese en pleine rue, devant des dizaines de témoins cachés derrière leurs fenêtres. Si le point de départ est le même, les deux romans sont totalement dissemblables.

Là où Decoin livrait un récit plan-plan un brin prétentieux, Uhnak nous sert un polar, série B assumée et bien énervée contre les travers de la société. Si Decoin jouait l'originalité en choisissant comme protagoniste principal un des voisins, absent lors du drame, Uhnak fait dans le classique. On suit donc Miranda, jeune femme flic volontaire qui est chargée de l'enquête. Elle est accompagnée de Mike Stein, journaliste de renom, un peu désabusé, qui, lui, ne s'intéresse pas au meurtrier. Ce qui l'intéresse ce sont les témoins, tous ces gens qui ont vu, qui ont regardé, sans agir, sans même prendre leur téléphone pour appeler les secours. Eux, Stein veut les traîner dans la boue. Comme il dira à Miranda, le meurtrier est une ordure, bien sûr, mais il en a conscience. Ces témoins muets, ces salauds n'ont même pas conscience de ce qu'ils sont. Stein veut le leur rappeler. Et c'est vrai qu'ils sont abjects ces voisins qui n'ont pas bougé. Chacun y va de sa justification. Bien sûr, il n'y en a aucune de valable. Leurs excuses sont aussi dégueulasses que leur apathie. le chauffeur de bus qui devait bien finir sa tournée et est donc passé sans s'arrêter près de la jeune femme gisant dans une mare de sang. La vieille qui préférait s'occuper de son chien plutôt que d'une inconnue. le couple qui n'a rien fait parce que "ça ne nous regardait pas". Jusqu'à la propre mère de la victime, témoin elle aussi, qui pensait que "c'était juste cette petite espagnole" qui était en train de se faire trucider. Stein veut les faire payer et on le comprend. Mais pour ça, et aussi pour lui (il y a un bouquin et un film à la clé), il est prêt à tout, quitte à s'asseoir sur la vérité.

"Victimes" ne se résume pas à une simple enquête policière. Uhnak se sert de cette affaire et de ces rebondissements pour pointer les côtés sombres de notre société. Uhnak tire à boulets rouge, sur tout le monde, sur un système dans son entier. le début de l'enquête, sordide affaire de meurtre d'une triste banalité, lui permet de fustiger l'individualisme et la lâcheté des citoyens lambda. Elle dénonce également le sexisme généralisé qui gangrène la société dans son ensemble, la police en particulier. Ainsi, Miranda aura ces mots tellement vrais et toujours d'actualité :

"Ce qui me met hors de moi c'est ce qui se passe chaque fois qu'une femme est assassinée. Elle devient le point de mire, pas en tant que victime, en tant que femme. Sa conduite, ses faits et gestes, sa présence même à à un endroit donné à un moment donné, tout devient louche. Suspect. On se penche sur son cas et on viole son intimité, sa dignité. On fouille sa vie dans ses aspects les plus secrets, sans aucun rapport avec le crime. On essaie d'établir un lien entre elle et son meurtrier. Pas pour mettre la main sur le coupable. Pour la rendre responsable, elle, de s'être fait assassiner."

Puis, lorsque l'enquête prend une autre tournure, c'est la corruption généralisée qui est mise en lumière. Pas seulement celle qui touche un système mais celle qui concerne chaque homme, chaque femme, chacun d'entre nous. Tout le monde a un prix. Tout le monde ! Attendez-vous à être surpris, déçus même par certains personnages mais cela sonne si vrai, si juste. La seule à rester totalement intègre, attachée à la vérité envers et contre tout, c'est Miranda. Elle est un personnage qui tient du miracle. A l'inverse des autres protagonistes, tous d'une crédibilité, d'une imperfection si vraie, Miranda a tout pour elle. Belle, intelligente, honnête, volontaire, courageuse... Elle aurait pu apparaître comme trop lisse tellement c'est trop beau pour être vrai. Pourtant, on aime tellement ce personnage, on voudrait tellement croire qu'un être comme elle puisse exister, qu'on s'accroche à elle comme à une bouée dans un océan de noirceur. Elle est ce petit point de lumière qui laisse un espoir dans ce monde de ténèbres.

Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce roman. Il n'est tout de même pas exempt de défauts mais je n'ai pas envie de m'attarder dessus tellement ils sont insignifiants en comparaison de la puissance du livre. Cela faisait bien longtemps qu'un polar ne m'avait mis une claque comme ça. Et quand je vois que le Decoin compte 42 critiques sur Babelio alors que "Victimes" n'en compte aucune, ça m'attriste. J'espère sincèrement que cette critique donnera envie à quelques uns de découvrir ce roman coup de poing.

Challenge Multi-défis 2017 - 17 (item 21 : un livre qui compte moins de 5 critiques sur Babelio)
Challenge ABC 2016-2017 - 19/26
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