Moi quand on me vend un titre avec un singe en couverture et Darwin dans le titre, forcément ça ne peut que faire biper mes signaux d'amatrice de SF et de philosophie sur la nature de l'homme, l'humanité.
Avec une forme de classicisme relevant de l'art,
Shun Umezawa qui depuis ses premières productions se frotte à la science-fiction et au thriller, nous présente un très bon mélange des deux, dans un titre en cours de 4 tomes, désormais bien connu depuis qu'il a remporté le Prix Taishô cette année, alors qu'il n'est publié dans le Monthly Afternoon que depuis juin 2020. On comprend très bien ce prix précoce dès qu'on entame notre lecture.
Shun Umezawa officie depuis une dizaine d'années et si on ne le connaissait pas vraiment à l'étranger, il a dû faire ses armes au Japon, car on sent dès les premières pages une très grande maîtrise, maîtrise de sa narration, maîtrise des genres qu'il va exploiter, maîtrise de ses personnages et idées. Concrètement, je n'ai pas trouvé de défauts à ce premier tome.
J'ai été happée par le récit d'entrée de jeu. On est dans une ambiance très américaine, rappelant nombre de séries à tension de ce pays qui ont su nous passionner. On y découvre un monde légèrement futuriste qui pourrait très bien être le nôtre hormis quelques avancées qui sont parfaitement inscrite dans le récit. On y sent donc l'influence d'une SF d'anticipation très proche de nous et ça fonctionne à merveille.
Le thème général nous embarque dans un monde où le héros est mi-humain, mi-chimpanzé, avec le meilleur côté de chacun, l'intelligence de l'un et la force de l'autre. C'est un personnage singulier qui réfléchit beaucoup, ce qui le rend marquant et attachant. Mais forcément une telle créature dérange et suscite des intentions et ambitions. le premier tome pose donc les enjeux : des terroristes qui se disent vegan, qui utilisent cet idéal de vie pour semer la terreur et qui compte bien utiliser notre héros, Charlie. Avec lui et ses parents, un scientifique et une avocat qui l'ont adopté et élevé, il est justement question de ce qu'est la vie d'un vegan et de la réception par des gens en face qui sont souvent opposés et braqués.
L'auteur touche donc des sujets sensibles : le terrorisme, la haine de l'autre, la différence : représentée par Charlie et par les vegan, mais aussi la question de la définition de l'humanité telle qu'on peut la retrouver posée depuis la Controverse de Valladolid. Et il manie ces concepts avec une aisance, une finesse et une justesse rare. Je trouve qu'il pose à chaque fois la bonne distance. Il pose les bonnes questions, trouve les bonnes réponses qui parfois n'en sont pas et c'est normal. J'ai beaucoup aimé. J'ai aimé les réflexions derrières, j'ai aimé la liberté des échanges, j'ai aimé les libertés de choix.
L'ensemble mélange développements sur les progrès scientifiques avec ce que peut être Charlie, des réflexions philosophiques sur nous et les êtres pensants qui nous entourent, mais aussi une ambiance de thriller à l'américaine palpitant et stressant, avec en prime un touche adolescente et familiale. C'est très riche.
Le dessin est peut-être, et je dis bien peut-être, le point le plus faible ici car il est assez passe partout, parfaitement dans la norme seinen, sans rien qui dépasse, sans point saillant remarquable le faisant sortir du lot. Cependant, est-ce qu'on peut le lui reprocher ? Absolument pas car il est très propre, très bien fait, avec de vraies gueules qui sortent des caractéristiques asiatiques pour vraiment coller à l'ambiance américaine, et surtout il y a deux-trois planches vraiment saisissantes avec Charlie et son regard globuleux, qui happent et font froid dans le dos.
Je me doutais avant d'entamer cette lecture que j'allais aimer Darwin's Incident mais je ne pensais pas que ce serait à ce point. On est dans un hommage très actuel de la Planète des singes avec des réflexions philosophiques et de société qui parlent aux gens des années 2020, le tout dans un format classique mais parfaitement maîtrisé, qui est plein de tensions et de mystères, qui pousse à la réflexion et qui percute. Je n'en demandais pas tant. J'ai adoré !