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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je vais le dire je pense à chacun de ces livres, mais une histoire particulière s'est nouée entre cette auteure est moi. Je l'ai découverte par un recueil de nouvelles et j'ai depuis suivi son parcours, attendant chaque prochaine étape avec impatience. Nous voici à celle du deuxième roman, étape essentielle s'il en est, presque aussi importante que le premier. L'étape de la confirmation, de l'installation dans ce genre qui reste phare dans notre littérature, cette capacité à s'installer dans une histoire longue, à y emmener avec elle son lecteur.

Telle une championne olympique de littérature, Beata transforme l'essai (oui je sais c'est au rugby qui n'est pas olympique, mais l'auteure a fait sa vie en France à Bordeaux, donc le lien est aussi logique). Après la lecture de Tous tes enfants dispersés, je n'avais plus la crainte du passage à la forme longue. Ici, pour le coup, elle prend ses aises, gagne encore une centaine de pages sans en avoir l'air, conserve toute la force de sa phrase que j'aime dire complexe dans sa simplicité.Ce style contamine d'ailleurs heureusement ses thématiques, puisque d'un résumé qui pourrait paraître simple, abordant majoritairement les questions du métissage et de la migration, elle y mêle des passages essentiels sur la façon dont on traite nos ainés (précédant sans doute le scandale Orpea vu le temps que prend la rédaction d'un livre), sur la maladie d'Alzheimer, sur le burn out et la reconversion, sur le voile, sur le multilinguisme...

Alors que dans le premier roman on pouvait identifier assez aisément les parts autobiographiques, Beata brouille un peu les pistes, se diffusant au sein de son histoire en laissant prendre à ses personnages le premier plan, qu'il s'agisse d'Astrida la grand-mère isolée dans son EHPAD, de Ramata la Sénégalaise rêvant tellement d'intégration qu'elle s'en est désintégrée, de Consolée l'enfant métisse du Rwanda qui donne son titre au livre et sa conclusion à l'histoire. Comme dans le premier roman, la narration à plusieurs voix convient bien au style comme à l'histoire. On met du temps à comprendre le sens de l'enquête de Ramata auprès d'Astrida alors qu'on a l'impression d'avoir déjà tout compris en lecteur omniscient... mais les boîtes de photos cachent bien des secrets qui ne nous seront d'ailleurs révélés qu'à nous, parce que contrairement à ces personnages enfermés dans le petit monde qu'elle a créé, nous avons de notre côté l'insigne honneur de vivre dans le même monde que Mme Umubyeyi Mairesse (oui je reprend la solennité du nom de famille pour la fin).

J'espère fortement qu'elle me fera le plaisir de revenir à la Comédie du Livre en 2023 après son passage uniquement virtuel (cause COVID) à celle de 2021. J'ai quatre livres à faire dédicacer, des conversations rêvées sur le sens des prénoms et des noms de famille, sur la vie à Lille et à Bordeaux (deux villes que le hasard a mis sur nos deux routes) et surtout sur les émotions dans lesquelles son écriture me transporte à chaque lecture.
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1954. Ruanda-Urundi. Consolée, jeune métisse, est arrachée à sa mère à l'âge de sept ans. Elle est placée dans un orphelinat à Save, qui regroupe tous les mulâtres et mulâtresses du coin afin de les "civiliser".
2019. Quelque part dans le Sud-Ouest de la France. Ramata, cinquantenaire sénégalaise en pleine reconversion professionnelle, effectue un stage en art-thérapie dans un EHPAD, la résidence "Les Oiseaux". C'est là qu'une des pensionnaires, Astrida Papailiaki, attirera son attention : atteinte de la maladie d'Alzheimer, cette dame en a oublié son français et baragouine une langue que personne ne comprend. de fil en aiguille, Ramata finit par comprendre qu'elle n'a de belge et de grec que ses prénom et nom. Elle est en fait l'une de ses enfants métis qui ont été expatriés en Belgique à la veille de la décolonisation...

Beata Umubyeyi Mairesse, grâce à "Consolée", évoque un pan de l'Histoire encore trop peu connu de nos jours, celui des destins des enfants dits mulâtres ou mulâtresses, nés d'un père Blanc et d'une mère Noire, qu'on a arrachés à leur famille maternelle et réunis dans des "colonies scolaires pour enfants mulâtres", des orphelinats pour enfants qui ne sont pas orphelins... Rejetés par les Noirs car pas assez noirs, rejetés par les Blancs pour leur peau trop foncée, ces enfants n'ont leur place nulle part, ils dérangent. Rassemblés dans ces colonies, ils passent plus inaperçus... À la veille de la décolonisation, on ne sait qu'en faire, certains sont expatriés en Belgique, adoptés ou employés, en fonction de leur âge et de leurs savoir-faire.

Consolée, dont on est prévenu dès le départ qu'elle est un personnage fictif, fait partie de ces enfants. L'autrice nous conte son histoire, de la séparation d'avec sa mère et son grand-père à son arrivée dans cet EHPAD où elle se perd à petit feu. Sa vie, très mouvementée et souvent terrible, nous est pourtant racontée tout en douceur et sensibilité. La plume de l'autrice se veut poétique, enchanteresse, mélodieuse, à l'image des chants et vols des oiseaux que Consolée guette sur son banc en solitaire. J'ai été subjuguée et conquise immédiatement.

Le contexte historique (histoire du Rwanda/Burundi, décolonisation, génocide) est plutôt bien développé. L'autrice aborde également d'autres sujets tout aussi appétents, tels que l'appel à la main d'oeuvre étrangère dans les années 1970, les difficultés d'intégration au sein d'une population qui ne les accepte guère, les difficultés qui se présentent aux générations suivantes, toujours considérées comme des immigrés et donc comme des étrangers. Elle évoque également le manque de personnels dans les EHPAD, le peu de temps accordé à chacun des pensionnaires, le manque de reconnaissance pour les uns comme pour les autres.

Quels que soient la période ou le lieu où se déroulent les événements, quel que soit le personnage auquel est consacré chacun des chapitres, tout est parfaitement bien emboîté.

Pas de suspense ici, on sait et comprend quasiment tout assez tôt. Mais il n'est aucunement utile pour nous tenir en haleine : le personnage de Consolée, qu'elle soit toute gamine ou bien plus âgée, est attendrissant, très attachant, et suffit à nous garder éveillés du début à la fin. L'histoire de Ramata, issue d'une famille d'immigrés sénégalais, est également intéressante.

Un roman merveilleusement bien écrit, percutant, bouleversant, captivant.

Un joli coup de coeur !
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La mémoire des mots
Ramata est en reconversion professionnelle : elle qui occupait un poste à très hautes responsabilités, se destine maintenant à l'art thérapie. Il ne lui reste qu'un stage à faire pour valider sa formation, et c'est dans l'Ehpad « Les Oiseaux » qu'elle va l'effectuer. Accueillie très fraîchement par la directrice, Ramata a bien l'intention de mettre en place des ateliers avec les résidents, notamment ceux qui sont atteints de la maladie d'Alzheimer et qui perdent, peu à peu, la mémoire. Lors du premier atelier, l'attention de Ramata est attirée par l'une des pensionnaires : Madame Astrida. Peut-être parce qu'Astrida est la seule de l'Ehpad a ne pas avoir la peau blanche… Ramata est elle-même noire, d'origine Sénégalaise. Astrida semble être un mystère pour tout le monde aux Oiseaux. Elle est très calme, reste des heures assise à l'extérieur, et s'exprime dans une langue que personne ne comprend. D'ailleurs, Astrida perd peu à peu l'usage du français qu'elle parlait pourtant parfaitement à son entrée dans la résidence. Avec l'aide de Claude, la psychologue de l'établissement, Ramata va peu à peu tenter de percer l'énigme Astrida et de remonter le fil du temps, jusqu'aux années 50 au « Ruanda-Urundi ».
L'histoire de Madame Astrida est tragique. Dans les années 50, le Rwanda était une colonie belge. Les enfants nés de pères blancs et de mères noires étaient on ne peut plus gênants… Ces petits métisses (qu'on appelait « mulâtres ») trop blancs pour leurs familles maternelles vivaient souvent cachés, jusqu'au jour où ils devaient brutalement quitter les leurs pour un orphelinat catholique (https://information.tv5monde.com/international/ni-noirs-ni-blancs-les-enfants-metis-durant-la-colonisation-belge-1521). Un comble pour ces enfants qui n'étaient nullement orphelins… On leur vole tout, leur famille, leur culture, leur langue, jusqu'à leur nom… A la veille de l'indépendance, ces enfants sont exfiltrés en Belgique où certains seront adoptés.
En alternant habilement les temporalités, les histoires de Consolée-Astrida et de Ramata s'entremêlent, car toutes deux ont en commun plus qu'on pourrait le croire.
Roman poignant sur l'immigration, l'exil, la mémoire, Consolée est aussi une histoire passionnante que l'auteure a su ancrer dans le passé à travers le destin de Consolée-Astrida et inscrire dans le présent, avec le personnage de Ramata qui a fait de l'intégration un emblème.
Beata Umubyeyi-Mairesse nous fait également visiter l'envers du décor de ces Ehpad, appelés pudiquement « maisons de retraite » où nos anciens terminent leurs jours (enfin, s'ils en ont les moyens).
J'ai beaucoup aimé ce roman écrit avec une grande sensibilité, les passages les plus touchants étant ceux qui racontent l'enfance de Consolée.
Ce livre m'a bouleversée, à plus d'un titre et j'ai eu plusieurs fois la larme à l'oeil…
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Avec Consolée, Beata Umubyeyi Mairesse remonte encore davantage le temps qu'avec Tous tes enfants dispersés, et nous conte cette fois une autre part sombre du Rwanda, faisant partie à l'époque, en 1954, de la colonie belge nommée Ruanda-Urundi, dans laquelle les enfants issus de femmes rwandaises et d'hommes principalement belges, mais aussi grecs, italiens..., étaient retirés à leur mère pour être envoyés dans des institutions destinées à les éduquer à la mode occidentale.

Ainsi de Consolée, petite fille qui devra quitter subitement sa mère, plus encore son grand-père adoré, pour devenir l'une de ces enfants mulâtres sans famille, qui va découvrir un autre univers, bien plus dur, et plus que déshumanisant. Dans le même temps, soixante-cinq ans plus tard, Ramata, devenue depuis peu art-thérapeute suite à un burn-out alors qu'elle était cadre dans une administration, rencontre dans l'EHPAD où elle réalise son stage Astrida, vieille dame à la maladie d'Alzheimer, qui parle de plus en plus en raison de sa maladie une langue inconnue, et qui va rapidement l'intriguer.

Avec ce nouveau roman, j'ai été une fois de plus bercée par la beauté poétique dont sait si bien faire preuve l'autrice pour nous conter pourtant tout sauf la beauté, du moins dans le sort qui a été réservé à ces enfants, car ce roman, au contraire du précédent, est profondément moins violent : la douceur d'Astrida, contrebalançant une partie de la vie volée de Consolée, y est peut-être pour quelque chose. de même que l'alternance des voix entre les trois femmes/enfant centrales de celui-ci, qui décrit avec beaucoup de justesse la condition noire - Amata est d'origine sénégalaise - ou métisse, soulevant les mêmes préjugés, les mêmes remarques, les mêmes comportements plus ou moins consciemment racistes, au fil des époques, aborde toutes ces thématiques avec une certaine douceur paradoxale, et invite à la réflexion avec beaucoup de justesse et de sagesse.

Troisième lecture, troisième superbe découverte. Vivement le prochain !

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Très bon livre à 3 voix: celle de Consolée, jeune métisse rwandaise qui en 1957 est retirée de sa famille noire pour être placée dans une institution avec d'autres enfants "mulâtres", cette même personne qu'on retrouve sous le nom de Madame Astrida dans un Ehpad en France et enfin Ramata, d'origine sénégalaise qui effectue un stage dans ce même Ehpad.

Ramata va chercher à connaitre l'histoire d'Astrida, qui atteinte de la maladie d'Alzheimer, n'arrive plus à s'exprimer en français mais uniquement dans une langue inconnue.

Ce roman est magnifique par sa douceur tout ne traitant de sujets graves comme la colonisation, le déracinement violent des enfants métis et du problème de dialogues des personnes immigrées qui sont atteintes de maladie neuro-dégénérative et qui ont plus de facilité à échanger dans leur langue d'origine.

Ce livre décrit également les différents générations d'immigration et leurs différences de vision d'une intégration plus ou moins réussie.

C'était donc une très belle découverte et je me ferai un plaisir d'acheter d'autres livres de cette autrice.
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Quel beau roman! J'avais lu précédemment EJO de la même auteure et avais déjà été plus que ravie de cette lecture et là, plonger dans l'Histoire du Rwanda via l'histoire d'une enfant mulâtre sous la domination belge des années 50/60 est extrêmement intéressant et touchant aussi.
Ramata, la cinquantaine, sort d'un burn-out et s'est engagée dans une reconversion professionnelle pour être art-thérapeute. Elle effectue un stage dans un EPHAD, Les Oiseaux, à Bordeaux. Et c'est dans ce lieu qu'elle rencontre Madame Astrida, perdue dans ses pensées et le nez tourné vers le ciel, en attente de quelque chose. Madame Astrida est atteinte de la maladie d'Alzheimer et cette femme va intriguer Ramata par plusieurs biais. Aider de la psychologue de l'EPHAD et de sa famille, Ramata va chercher à comprendre Madame Astrida, car celle-ci, à cause de sa maladie, ne se souvient que très peu du français appris et parle de plus en plus dans sa langue primaire. Mais quelle est-elle?
C'est un roman sur les racines, sur l'intolérance induite de la colonisation, de l'intégration forcée, du racisme "ordinaire". Ces enfants mulâtres existent jusqu'à un certain point et leur histoire familiale volée réapparait au fur et à mesure des archives ouvertes.
C'est aussi un formidable roman sur l'influence de l'immigration dans son attitude au quotidien pour s'intégrer mais aussi jusqu'où également peut-on accepté la "dissolution" dans le nouveau pays d'accueil?
Le personnage de Madame Astrida est extrêmement touchant et celui de Ramata et de sa fille sont puissants et révélateurs de ce qui peut se passer aujourd'hui dans notre société.
Il apporte beaucoup de matières à réflexions ce roman, j'ai vraiment beaucoup aimé me confronter à ce regard et ces mots qui posent tant de questions sociétales.
Laissez-vous emmener dans l'histoire de Madame Astrida, ça vaut le coup!
Merci aux Editions Autrement et à Masse Critique Babelio de m'avoir offert cette lecture si enrichissante!
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J'avais acheté ce livre lors d'un salon du livre d'occasion en octobre dernier, pour quelques euros, attirée par sa couverture et par l'enthousiasme de la vendeuse. Depuis, il attendait sagement son tour, je l'avais un peu oublié et j'ai profité des vacances pour revisiter ma pile de livres en attente ! C'est encore sa couverture originale qui m'a interpelée. Je me suis plongée dans cette lecture et j'ai terminé le livre en quelques jours. J'ai beaucoup aimé cette histoire qui réussit à raconter une belle histoire romancée sur un fond de faits historiques et sociétaux réels, ce qui un gros point positif pour me séduire !
Consolée est née au Rwanda d'une maman rwandaise et d'un homme blanc (d'origine grecque). Elle grandit jusqu'à ses 6 ou 7 ans avec sa mère, son grand-père, une cousine. Auprès du grand-père, elle apprend à regarder et à aimer la nature qui l'entoure, surtout les oiseaux. Un jour, ses oncles décident de l'arracher à sa famille pour la confier à une institution, car en tant que métisse, ou comme on le dit à l'époque, mulâtre, elle n'a pas sa place parmi les Noirs. Elle est donc recueillie dans une institution tenue par des religieuses belges. LA vie n'y est pas facile, mais elle y reçoit une éducation, va à l'école et grandit. Lors des massacres des Tutsis par les Hutus, les autorités belges décident de protéger ces enfants et les font venir en Belgique. Consolée, rebaptisés Astrida par les soeurs belges y est adopté et continue sa vie…

Des années plus tard, on retrouve Astrida, atteinte de la maladie d'Alzheimer à la fin de sa vie, aux Oiseaux, une maison de retraite. Elle croise alors la route de Ramata, femme d'origine sénégalaise en reconversion professionnelles d'art- thérapeute après un burn-out. Rama se prend d'affection pour Astrida qui perd l'usage de français pour se réfugier dans la langue de son enfance. Ramata va accompagner Astrida et tenter de reconstituer son parcours, ce qui va l'amener à questionner sa propre vie, ses choix, son intégration, celle de ses enfants, ses racines. Face à l'engagement de sa fille pour le féminisme et contre toutes les discriminations, tout en revendiquant et affichant son appartenance religieuse par le port du voile, Ramata s'interroge et s'inquiète.

C'est un beau roman qui pose des questions très actuelles : la colonisation et ses répercussions, le racisme, l'intégration des réfugiés, le choix pour les immigrés de transmettre ou non leurs traditions, leur langue et leur histoire à leurs enfants pour permettre leur meilleure intégration, la prise en charge des personnes âgées par la société et par les institutions, la tolérance, le poids du passé et des a priori, la place des femmes d'une part, et des femmes d'origine étrangère en particulier…
J'ai beaucoup aimé ces regards croisés de femmes de différentes origines et générations, le tout dans un style très fluide, avec toujours un regard bienveillant sans être mièvre, une approche intelligente et sensible, prenant le parti de la tolérance, de l'ouverture d'esprit et de l'espoir.

Lien : https://deslivresetmoi72.wix..
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Mon année littéraire 2019 s'était achevée sur un énorme coup de coeur grâce à Tous tes enfants dispersés (2019), le premier roman de l'autrice franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse. Je vous laisse imaginer ma joie lorsque j'ai appris la publication de son deuxième roman.

Avec Consolée (2022), Beata Umubyeyi Mairesse (1979) signe un nouveau roman très fort et bouleversant d'humanité autour de ses thèmes de prédilection que sont d'une part l'exil, la perte de repères et la quête/crise identitaire et d'autre part, le langage, la mémoire, la filiation et la (non) transmission familiale.

Consolée se déroule en partie au sein d'un établissement d'hébergement bordelais pour personnes âgées dépendantes et s'articule successivement autour du quotidien de deux femmes venues d'ailleurs, la première étant une résidente septuagénaire métisse atteinte de troubles du langage et d'un début de démence, la seconde une stagiaire quinquagénaire noire en reconversion professionnelle.

A travers l'histoire de Consolée/Astrida Papailiaki qu'elle relate à la troisième personne du singulier en alternant son enfance dans les années cinquante au Ruanda-Urundi (actuel Rwanda) et sa fin de vie dans un Ehpad bordelais en 2019, Beata Umubyeyi Mairesse revient sur un pan méconnu et particulièrement sombre de l'histoire coloniale belge.

Des milliers d'enfants métis issus en grande majorité d'unions entre hommes blancs et femmes noires furent en effet victimes de la politique de ségrégation instaurée par la Belgique au sein de ses colonies africaines. Ces enfants furent volés, arrachés, à leurs mères noires pour être enfermés dans des missions religieuses où ils devaient renier leurs racines en oubliant leurs noms, leurs familles et leurs langues. Au moment des indépendances, ces milliers d'enfants furent rapatriés de force en Belgique où beaucoup d'entre eux, à défaut d'être mis sous tutelle comme annoncé, vécurent une vie de misère. En 2015, ce scandale d'Etat et d'Eglise longtemps tenu secret éclata en Belgique et fut porté devant les politiques par les Métis de Belgique regroupés en association.

Aujourd'hui, Consolée/Madame Astrida est une vieille femme à « la mémoire emmêlée » perdant progressivement l'usage du français. Elle ne s'exprime plus guère qu'en borborygmes et les quelques mots qu'elle prononce encore le sont dans une langue inconnue des soignants. Une stagiaire en art-thérapie, intriguée par la seule résidente « à la peau cuivrée », prend à coeur de découvrir l'histoire de cette femme solitaire délaissée par les soignants et de l'aider à sortir du silence avant qu'il ne soit trop tard, « que la maladie efface [sa] vie de femme, toute la mémoire d'une histoire dont elle était peut-être la dernière dépositaire, la seule survivante ».

Parallèlement à l'histoire de Consolée, Beata Umubyeyi Mairesse relate, à la première personne du singulier, le parcours de vie de Ramata Barry, une quinquagénaire française d'origine sénégalaise en reconversion professionnelle. Après son « grand effondrement », cette ancienne directrice dans une collectivité territoriale a ressenti le besoin de repartir de zéro pour reprendre sa vie en main et c'est en tant que art-thérapeute auprès des personnages âgées dépendantes qu'elle a choisi de se reconstruire.

A travers le parcours professionnel et familial de Ramata, l'autrice questionne de façon très intéressante les thématiques de la migration, de l'intégration et de l'assimilation. Bounty aliénée à la « mentalité de caméléon », Ramata se retrouve bien malgré elle confrontée aux difficultés d'être noire en France aujourd'hui. Bien qu'elle ait longtemps (sur)vécu grâce à une « armure, de diplômes d'abord, d'assurance ensuite, de négation enfin », toutes ses certitudes ont été progressivement remises en cause après son burn out, dans son nouveau milieu professionnel bien sûr mais également et de façon bien plus difficile au sein de sa propre famille. En effet, malgré sa lucidité nouvellement acquise, elle ne réussit pas à se positionner aux côtés de sa fille militante et encore moins à comprendre et accepter la décision radicale que celle-ci a prise.

A travers cette jeune femme qui revendique haut et fort ses racines sénégalaises et algériennes et se définit avec fierté comme une afro-descendante, Beata Umubyeyi Mairesse évoque la « politique de respectabilité », le « poids de l'illégitimité » et questionne le modèle d'intégration imposé à leurs enfants par les migrants de la première génération désireux de se fondre dans la masse sans faire de vagues. Si la mère est d'avis qu'il faut tourner la page de la colonisation et de l'esclavage, qu'il faut pardonner pour avancer, la fille remet fermement en question l'ascenseur social et la réussite professionnelle de sa mère. Au prix de quels renoncements et de quels mensonges a-t'elle réussi? En obéissant sans broncher aux injonctions d'effacement et d'excellence inculquées par ses parents, sa mère en apparence parfaite s'est trahie, reniant l'essence même de son existence.

« La religion de l'amnésie, c'est bien ton truc ça. Vous avez tous réussi votre vie, c'est clair! C'est pour ça que tu as pété un câble à ton boulot, que tu as dû te faire licencier pour inaptitude. Toi inapte? Toi le bourreau de travail qui faisait passer tes dossiers avant ta famille, qui as tant sacrifié -tes cheveux, ton sommeil, ton identité- pour gagner la respectabilité de ces gens qui à la première faille t'ont mise au placard puis à la poubelle? Wéééé, elle me fait pas envie ta réussite, maman, ta Lafrance là c'est un beau mirage. »

En confrontant le vécu de Consolée avec celui de Ramata, Beata Umubyeyi Mairesse aborde les questions douloureuses des racines, de l'appartenance culturelle et de la quête et/ou la crise identitaire. Si elles ont des parcours totalement opposés, Consolée et Ramata sont pourtant liées entre elles par une même aliénation familiale, culturelle ou encore linguistique. Alors que Consolée est confrontée à « l'effritement de sa mémoire » et cherche autant que possible à se raccrocher à des bribes de son enfance au Ruanda-Urundi, Ramata en revanche a volontairement occulté toutes traces de son passé et de ses racines. Paradoxalement, c'est pourtant elle qui démarre des recherches visant à faire la lumière sur le passé de Consolée.

Enfin, en situant son roman dans un Ehpad bordelais, l'un de ces nombreux « mouroir pour déglingués », l'autrice aborde le sort des personnes âgées et dénonce le « business de la vieillesse ». Elle met ainsi en exergue les mesures d'économies crasses prises au détriment de la santé des résidents, les mensonges révoltants servis aux familles, les réalités abjectes cachées derrières les images dorées.

Elle évoque par ailleurs les problèmes linguistiques croissants des résidents âgés dont le français n'est pas la langue maternelle et qui perdent progressivement l'acquisition de cette langue et s'interroge sur la pertinence de dispenser les soins gérontologiques en y intégrant une dimension interculturelle. Elle écrit de magnifiques passages sur l'importance de la langue en tant que vecteur social et culturel, sur la douleur liée à la parole sacrifiée et sur le besoin, en fin de vie, de retourner aux racines, à la langue d'origine.

Consolée est un roman d'une très grande richesse et d'une profonde et bouleversante humanité, un roman intelligent et lucide, sensible et généreux, un roman porté par une voix poétique, une voix qui me bouleverse et me touche à chaque fois en plein coeur.

Beata Umubyeyi Mairesse a encore une fois écrit un roman précieux, d'une beauté douloureuse, qui restera gravé dans mon coeur.

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Lien : https://livrescapades.com/20..
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Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre mais certainement pas à ça, j'ai adoré cette lecture, j'ai été touchée par ces femmes, Mme Astrida bien entendu mais aussi Ramata. Avec des mots très simples et une histoire sans fioritures, l'auteure nous montre le parcours de deux femmes qui ont ou cherchent toujours leur place dans la société ou dans un pays.

Mme Astrida est une femme métisse dont on va découvrir la vie au fur et à mesure du roman, les abandons auxquels elle faut fasse, les souvenirs qui s'effacent, qui reviennent, les regrets. Comment ne rien ressentir pour cette femme qui à la fin de sa vie retrouve ce qui lui a été arraché et qui attend le signe. oui, vous vous doutez j'ai pleuré comme une madeleine face au récit silencieux de Mme Astrida. Comment ne pas être émue face à cette femme qui perd la langue apprise au profit de sa langue originelle, une langue que personne ne connait et qui semble resurgir d'un passé oublié, comment ne pas se questionner, et si mes grands parents avaient eu cette maladie, auraient ils perdus eux aussi le français, est ce que pour les comprendre j'aurais dû apprendre ces langues dont j'ignore tout ou presque? Vous vous doutez bien que si je me suis posée ces questions, je ne suis pas seule, et c'est une bonne transition je pense pour vous parler d'un autre personnage, Ramata.

Ramata, née en France mais d'origine sénégalaise, ses propres enfants ne connaissent pas le dialecte dans lequel elle a grandi. Sa rencontre avec Mme Astrida va continuer de changer sa vie et la vision de sa vie. Pour beaucoup, hélas, elle n'est pas d'ici, mais elle ne sent pas non plus de là bas . Avec beaucoup de vérité, l'auteure nous livre un message toujours dur à entendre à notre époque, même si tu es né ici, tu seras toujours considéré comme de là bas.

J'ai aimé ces deux femmes, j'ai pleuré mais croyez moi, ce livre, tout en simplicité est tendre, touchant. On ne tombe jamais dans l'excès ou le « pathos ». C'est un roman plein de réalisme sur de beaucoup de points, en plus de la vie de ces femmes: les soignants, les maisons de retraite…

C'est un livre coloré, émouvant et vrai, une superbe découverte.

Lien : https://loeildesauron1900819..
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Je n'sais plus qui je suis ici-bas, mais je suis la petite fille qui…
Ramata est en reconversion, anciennement cadre dans une collectivité territoriale, elle a fait un burn out. Elle choisit de se reconvertir pour travailler au coeur de l'humain, donc elle pratique l'art thérapie.
En stage dans un Ehpad du Sud-Ouest, elle fait la connaissance avec une dame isolée, atteinte d'Alzheimer, elle marmonne dans une langue inconnue de tous.
Ramata étant noire, immédiatement ses collègues pensent qu'elle parle peut-être la même langue.
Préjugés basiques qui ont la vie dure.
« Elle parle à peine et quand elle le fait c'est la moitié du temps incompréhensible. Elle oublie petit à petit le français et nous sort des trucs dans une langue inconnue. Peut-être que tu arriveras à la comprendre toi, tiens ! Si ça se trouve elle parle ton dialecte. »
Ramata sait immédiatement qu'elle veut faire le lien avec Madame Astrida, elle se dit qu'elle veut « prendre langue » avec cette grande dame un peu voûtée. Elle se rapprochera de Claude Mouret psychologue de l'établissement, un lien très fort se fera entre elles.
Le lecteur sera immergé dans le fonctionnement de ces établissements pour vieux, mais sous la plume de l'auteur, des constats en évitant les pesanteurs.
Claude apprendra à Ramata, que Madame Astrida a commencé à perdre la langue française au profit de son dialecte, lorsque Paola, sa seule amie dans l'établissement, a été expulsée faute de moyens financiers suffisants.
Nous lecteurs, nous entrons dans ce puzzle et progressons à reconstituer des vies.
La voix de Consolée en 1954, vibre aujourd'hui des hurlements de ce pensionnat de Sauve, où une petite fille mulâtre était soustrait à sa famille pour être matée dans cette institution.
Ramata et Astrida sont aimantées par l'histoire, au sens de magnétisme mais aussi dans le sens amour de son prochain.
Beata Umubyeyi Mairesse nous dit avec intelligence et finesse cette résonnance entre l'histoire coloniale et les générations suivantes, les traumatismes des non-dits. Il faut tisser le lien entre passé et présent pour mettre en phase. Ne pas dire c'est irriguer les traumatismes des enfants d'immigrés.

Le passé n'est jamais passé et ne pas dire fait que le passé reste coincé, il ne passe pas et ne passera jamais.
Ces établissements de fin de vie, regorgent d'histoires individuelles qui ont fait l'Histoire.
Un roman finement analysé, une écriture envoûtante qui sait dire les musicalités différentes selon l'époque évoquée.
Une histoire dans une langue qui tisse le lien entre les personnages et les lecteurs. Pas besoin d'être d'une génération exilée pour se sentir concerné.
Au moment de partir, oui, au moment de mourir, cet oubli de la langue d'une vie pour retrouver la langue de la page vierge que chacun a été. Ici c'est la langue, mais cela peut être autre chose. Se draper de la virginité de l'enfance avant de…
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/08/25/consolee/

Lien : https://jai2motsavousdire.wo..
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